Les sanctions pécuniaires à l’encontre d’un salarié sont interdites en droit français (art. L 1331-2 du code du travail). La chambre sociale de la Cour de cassation vient illustrer par un arrêt du 20 mars 2024 (Cass. soc., 20-3-24, n°22-20569) ce qui peut être constitutif d’une telle sanction.
Les faits sont les suivants : une partie du personnel appartenant à une catégorie déterminée doit suivre une formation afin de conserver sa qualification et ses compétences. Certains des salariés concernés, sont arrivés à la formation avec du retard, et pour d’autres ils n’étaient pas en possession de documents à jour.
L’employeur refuse à ces salariés de suivre la formation, et leur retient une journée de salaire.
Des syndicats présents dans l’entreprise décident alors d’attaquer l’employeur pour obtenir des dommages-intérêts en alléguant de l’atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession en raison des sanctions pécuniaires infligées aux salariés concernés.
En appel, l’employeur est condamné à payer aux syndicats demandeurs, des dommages-intérêts. Les juges du fond estiment que l’employeur ne démontre pas en quoi le retard imputé aux salariés, ainsi que leur absence de documents à jour, les empêchent objectivement de suivre la formation. Les juges relèvent que la retenue opérée sur le salaire ayant excédé la durée d’absence des salariés, l’employeur leur a infligé une sanction pécuniaire prohibée.
L’employeur forme un pourvoi en cassation.
A l’appui du pourvoi, il argue que les salariés n’avaient pas exécuté leur prestation conformément aux directives données par lui, ceux-ci ne pouvaient donc prétendre au versement de leur salaire pour la journée litigieuse, et que par ailleurs la retenue opérée ne s’analyse pas en une sanction pécuniaire interdite.
La Cour de cassation donne raison aux juges du fond, et déboute ainsi l’employeur. Elle énonce que si une retenue opérée par un employeur sur le salaire en raison de l’absence du salarié et à proportion de la durée de celle-ci ne constitue pas une sanction disciplinaire, le fait pour un employeur d’opérer, sur le salaire de ses agents, une retenue motivée par l’exécution défectueuse de leurs obligations ou excédant la durée d’absence imputable au salarié, constitue une sanction pécuniaire interdite.
La réponse de la Cour n’appelle pas spécialement à un commentaire. La règle est donc qu’une exécution défectueuse du travail par un salarié ne peut motiver, de la part d’un employeur, une sanction pécuniaire. De même qu’une retenue sur salaire excédant la durée d’absence d’un salarié s’analyse en une sanction pécuniaire prohibée.
La solution est classique, la Cour avait déjà tenu la même position dans un arrêt du 7 février 2008 (Cass. soc., 7-2-08, n°06-45208) dans lequel elle énonçait que le fait pour un employeur de reprocher à un salarié de ne pas avoir effectué son travail, ne peut justifier une retenue sur salaire.
Dans un autre arrêt du 20 octobre 2010 (Cass. soc., 20-10-10, n°09-42896), la Haute juridiction affirme que l’exécution défectueuse ne peut justifier une retenue sur salaire. Cette fois-ci, l’employeur avait retenu une somme d’argent sur la rémunération fixe d’un salarié VRP au motif que ce dernier n’avait pas réalisé un chiffre d’affaires suffisant. Ici encore, l’employeur a été condamné.
Autre apport de l’arrêt commenté dans ce focus, la Cour de cassation rappelle encore une fois qu’un syndicat ne peut agir en justice pour demander la régularisation des situations individuelles. L’invocation de l’intérêt collectif de la profession est un argument inopérant. L’action en rappel des salaires des salariés concernés en l’espèce, ne pouvaient donc être intentée que par eux-seuls.
L’arrêt de la cour d’appel est cassé sur ce point, celle-ci ayant fait droit à la demande des syndicats tendant à régulariser la situation des salariés concernés.
On retiendra de cet arrêt, que le pouvoir de direction d’un employeur connaît des limites dont il est fondamental de rappeler l’existence.