Une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques pointe une déconnexion inédite entre le pouvoir d’achat des ménages, en moyenne en hausse entre 2019 et 2023, et les salaires qui diminuent. Si le niveau de vie moyen des Français a augmenté, cette hausse est bien plus liée aux revenus du patrimoine et aux baisses de fiscalité qu’aux revenus du travail.
Entre crise du Covid et inflation galopante, le pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des Français depuis plusieurs années. De plus en plus de ménages voient leur niveau de vie baisser, leurs dépenses augmentant plus vite que leurs revenus – ce qui se reflète lors de négociations annuelles en entreprise souvent houleuses. Dans une étude parue mi-février, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE, cercle de réflexion lié à l’Institut d’études politiques de Paris) décortique un phénomène : entre 2019 et 2023, le pouvoir d’achat des ménages a augmenté de 1,9%, alors que le salaire moyen par tête s’est pour sa part contracté de 2%.
Autrement dit, une déconnexion inédite a eu lieu ces quatre dernières années. « Ce découplage entre la dynamique du salaire et celle du pouvoir d’achat indique clairement que le revenu réel des ménages est tiré par d’autres composantes du revenu que le salaire », indiquent les auteurs. Si le niveau de vie des Français s’est – en moyenne – amélioré, ce n’est donc pas grâce aux revenus du travail.
Le dynamisme de l’emploi a, d’une part, compensé au niveau macroéconomique la baisse des salaires réels entre 2019 et 2023 analyse l’étude. Ce qui signifie que la hausse du pouvoir d’achat liée aux revenus du travail concerne en fait principalement les chômeurs qui ont retrouvé un emploi (1,1 million de postes créés entre 2021 et 2023). Mais sur ces deux dernières années, en revanche, les salaires réels ont en quelque sorte un effet négatif sur le au pouvoir d’achat moyen, car « les salaires ont été moins revalorisés que l’inflation malgré la prime de partage de la valeur » (dite prime Macron), pointent les auteurs. Les travailleurs indépendants ont tout particulièrement pâti de cette chute de revenus (- 12% entre 2022 et 2023). Les causes de la hausse du pouvoir d’achat global sont donc à chercher ailleurs.
Selon que l’on a, ou pas, du patrimoine…
Sur les quatre années observées, le pouvoir d’achat par unité de consommation (dans un ménage, le premier adulte compte pour une UC, chaque personne de plus de 14 ans compte ensuite pour 0,5 UC et chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3 UC) a donc augmenté de 180 euros en moyenne annuelle. « Mais il a été très largement tiré par les revenus du patrimoine (230 euros) et les baisses successives de fiscalité (100 euros) », détaille l’étude.
Les baisses nettes de prélèvements directs sur les ménages s’élèvent ainsi selon l’OFCE à 22 milliards d’euros : « 12 milliards de taxe d’habitation, 5,4 milliards de baisse d’impôt sur le revenu, 3,2 milliards de suppression de la contribution à l’audiovisuel public, 0,7 milliard de baisse de cotisations des indépendants, 0,7 milliard de relèvement de 10 % du barème de l’indemnité kilométrique… ».
Quant aux revenus du patrimoine, ils ont augmenté encore davantage après la crise du Covid-19, entre 2021 et 2023 : « 390 euros par an et par UC […], dont plus de 60% sont liés à la hausse des dividendes et intérêts nets reçus. » Un dynamisme six fois supérieur à celui des revenus du travail ! L’analyse macroéconomique selon laquelle le pouvoir d’achat des Français est en hausse ne rend donc pas compte des fortes disparités en la matière, selon que l’on possède du patrimoine ou non.
Inflation : le choc pour les plus modestes
La hausse des prix fait mécaniquement plus de dégâts au sein des ménages pour qui l’alimentation et l’énergie représentent une part importante du budget global. « D’après nos calculs, le choc est différencié parmi les ménages, indiquent les chercheurs. Si l’inflation au niveau macroéconomique s’établit à 12,3 % entre septembre 2021 et décembre 2023, pour 10 % des ménages le panier de consommation se serait renchéri de moins de 10,7 %. Mais le renchérissement du panier de consommation serait supérieur à 13,9 % pour 10 % des ménages, les plus exposés au choc. »
L’inflation qui dure depuis deux ans est donc vécue de façon très différente selon le niveau de vie, la zone d’habitation et le statut vis-à-vis de l’emploi, souligne l’OFCE. « Globalement, le choc inflationniste est plus marqué en zone rurale qu’en milieu urbain, chez les ménages les plus modestes que chez les plus aisés, pour les retraités que pour les actifs en emploi. » Exception faite des retraités appartenant aux 10% des ménages les plus aisés qui, eux, ont vu leur pouvoir d’achat décoller grâce aux revenus du patrimoine.
Baisse de pouvoir d’achat pour 60% des ménages
La répartition inégale de cette hausse de pouvoir d’achat devient limpide si on l’observe avec des lunettes microéconomiques. Les 20% de ménages les plus aisés ont ainsi connu la plus forte augmentation (entre + 0,4% et + 1,2% de pouvoir d’achat en plus) entre 2021 et 2023. Les 10% les moins favorisés affichent quant à eux une hausse de pouvoir d’achat limitée à 0,3%. « Cependant, ces ménages ayant en moyenne un taux d’épargne négatif, leur gain de pouvoir d’achat n’est pas un gain de revenu disponible en euros mais une moindre dégradation de leur situation financière », précisent les chercheurs. Autrement dit, les comptes bancaires des plus précaires sont simplement un peu moins dans le rouge à la fin du mois.
Les 60% des ménages restants, entre les plus pauvres et les plus favorisés, ont pour leur part connu en moyenne des baisses de pouvoir d’achat entre 2021 et 2023 (entre – 0,3% et – 0,8%). Les données macroéconomiques positives cachent donc une réalité bien plus contrastée, où seuls les plus aisés bénéficient réellement d’une hausse de niveau de vie.
Pas d’inversement de la tendance en 2024 !
Dans ses prévisions pour 2024, l’OFCE parie que cette déconnexion entre salaire et pouvoir d’achat devrait moins se faire sentir. Les salaires réels devraient repartir à la hausse (+ 0,8% en moyenne). Cependant, « la contraction de l’emploi [moins de postes créés] et la baisse des revenus des indépendants feraient plus que compenser cet effet positif », estiment les chercheurs.
De fait, si le pouvoir d’achat moyen des Français devrait connaître une nouvelle hausse (+ 380 euros en moyenne sur l’année) … ce sont à nouveau, et fortement, les revenus du patrimoine qui (à hauteur de 190 euros) soutiendraient cette augmentation. Et toujours pas les revenus du travail.