Plusieurs enquêtes ont mis en lumière les dérives et abus du système privé dans la gestion des crèches et des Ehpad. De son côté, FO avait déjà tiré la sonnette d’alarme et depuis longtemps. Pour l’UNSFO, union nationale FO de la Santé privée, il est urgent de mettre en place un service public de la petite enfance et du Grand âge. Ainsi qu’une revalorisation des métiers du « care », les métiers des soins au quotidien, d’autant que ce secteur professionnel est confronté à un manque d’effectifs.
Que dire d’une société qui en vient à maltraiter ses bébés et ses personnes âgées ? Depuis plusieurs années, Force Ouvrière, notamment via son Union nationale de la Santé privée, n’a de cesse de tirer la sonnette d’alarme concernant les conditions de travail tant des salariés des Ehpad que ceux employés dans les crèches. Ces derniers mois, la publication de livres enquêtes révélant divers scandales, notamment celui d’Orpea et plus récemment révélant des scandales dans les crèches privés ont donné raison à l’UNSFO. On pourrait dire, hélas.
La première cause de cette maltraitance se résume en quelques mots et chiffres : les personnels formés manquent cruellement. Il manque entre 200 000 et 300 000 postes pour que les ehpad fonctionnent bien rappelle Franck Houlgatte de l’UNSFO. Du côté des crèches, Sylvie Beck, responsable du secteur petite enfance pour la FNAS FO (fédération FO de l’Action sociale), estime à 10 000 le nombre de postes manquants.
Une crise d’attractivité des métiers
Ce manque de personnels s’explique en premier lieu par la crise d’attractivité dans ces métiers que l’on surnomme parfois ceux de la deuxième ligne. Si ces personnels sont bien vus dans l’opinion publique, cela ne va pas plus loin, regrette Franck Houlgatte. On applaudissait durant le Covid avant de les transformer en boucs émissaires, notamment en raison du refus de certains personnels de se faire vacciner. Au cœur du problème du manque d’attractivité de ces métiers : sans surprise, les salaires. Particulièrement faibles. Difficile donc d’attirer de nouveaux professionnels.
Dans les crèches associatives, plus de la moitié des salariés sont au Smic, voire en dessous, alerte Sylvie Beck. Pour Éric Gautron, secrétaire confédéral en charge du secteur de la protection sociale collective, il devient urgent de revaloriser substantiellement les métiers de la petite enfance. Ces professions ont été délaissées depuis des années. Cela ne tient plus, il faut un réel effort financier et politique souligne-t-il.
Cet effort est une demande des professionnels issus de tous les secteurs, lucratif comme associatif ou public. Le 13 septembre dernier, les agents de la direction des familles et de la petite enfance (DFPE) de la ville de Paris ont fait grève pour protester entre autres contre leurs salaires trop faibles. Dans les structures publiques, malgré la dernière revalorisation du point d’indice des agents, une auxiliaire de puériculture démarre sa carrière à 1 700 euros nets, un salaire trop peu attractif pour une ville comme Paris. En grève, les agents ont dénoncé le fait d’avoir été exclus du Ségur de la santé signé en 2020. Dispositif qui a conduit à une augmentation de 189 euros nets pour les professionnels de santé dans le public. Si cette mesure a été étendue aux Ehpad et aux personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, le secteur de la petite enfance en reste exclu.
Une maltraitance insupportable
De fait, dans les crèches, le manque d’attractivité des métiers entraîne un déficit en personnels et au final cela dégrade les conditions de travail. Si vous parlez aux professionnelles, elles vous diront toutes qu’elles sont épuisées, témoigne Sylvie Beck. Malgré cela, elles ne s’arrêtent pas de travailler pour les enfants, au risque de problèmes de santé. Lesquels sont de plus en plus patents dans les métiers du care, les métiers des soins apportés au quotidien. Ces métiers revêtent des tâches très diverses et usantes. Ainsi, que l’on s’occupe de très jeunes enfants ou de personnes âgées, les métiers sont physiques. Il faut chaque jour porter des charges de manière répétées, parfois lourdes lorsqu’il s’agit d’adultes, s’accroupir en permanence pour se mettre à la hauteur des enfants, donc travailler dans des positions peu agréables, parfois aussi travailler de nuit… Dans ces professions, les accidents du travail et les troubles musculo-squelettiques sont courants, résume Éric Gautron.
Mais si dans ces métiers du care le nombre de personnels diminue, en revanche le nombre d’usagers faisant appel à ces services ne cesse de croître. Et c’est cette situation intenable qui conduit peu à peu à une la maltraitance de forme institutionnelle. Suite au décès d’un bébé dans une crèche à Lyon, une enquête a eu lieu. Le rapport de l’Igas (inspection générale des affaires sociales) montre que dans la plupart des cas de maltraitance, celle-ci est institutionnelle, observe Sylvie Beck. Pourtant c’est le salarié mis en cause qui risque d’être puni. Dans le secteur du grand âge, les salariés sont confrontés aussi à la difficulté de pouvoir réaliser un travail de qualité alors qu’il ne leur est pas apporté de moyens suffisants, notamment au plan des effectifs. Un collègue a quitté l’Ehpad pour l’usine, témoigne Franck Houlgatte. Pas pour un meilleur salaire ou de meilleures conditions de travail, mais parce qu’il ne voulait plus se coucher chaque soir en se demandant s’il avait tué quelqu’un dans la journée…
Pour ces personnels au contact quotidien avec des enfants ou des personnes âgées, devoir faire avec cette maltraitance institutionnalisée est insupportable. Ils aiment leur métier, c’est d’ailleurs pour cela qu’ils l’ont choisi. Mais on en vient à exiger d’eux de le faire mal. Dès lors, il est difficile, pour ne pas dire impossible de trouver un sens à son travail quand on est dans une situation contraire à son éthique, souligne Éric Gautron.
Des réponses politiques qui demeurent insuffisantes
Suite aux récentes révélations et scandales, le pouvoir politique a proposé des évolutions, dans le secteur des Ehpad comme celui de la petite enfance. Pour FO, ces réponses sont insuffisantes quand elles ne sont pas à côté de la plaque. En réponse au livre Les Fossoyeurs sur Orpea, le gouvernement a annoncé ainsi un programme de contrôle de 7500 ehpad français. Ces contrôles existent déjà, et l’on constate que cela ne fonctionne pas. Les établissements sont prévenus en amont, parfois un mois avant, ce qui leur donne la possibilité de se préparer, souligne Franck Houlgatte. Et ces contrôles sont diligentés par les Agences Régionales de Santé (ARS), qui financent une partie des Ehpad ! Nous ne sommes pas contre les contrôles, mais pour qu’ils soient efficaces, ces opérations doivent être menées dans de bonnes conditions. Il faut des contrôles inopinés menés par un organisme indépendant.
Du côté de la petite enfance, pour pallier le manque de professionnels, il est désormais autorisé que 15 % des personnels ne soient pas qualifiés. C’est la seule réponse que nous apporte le gouvernement : la dérégulation du recrutement, s’étrangle Sylvie Beck. C’est dangereux, alerte de son côté Éric Gautron. Ces personnes se retrouvent formées sur le tas par des professionnels qui croulent déjà sous le travail. Comment bien s’occuper des jeunes enfants dans ces conditions ?
Il faut sortir du système privé lucratif à tout-va !
Le gouvernement fait donc le choix d’apporter des réponses superficielles à des problèmes devenues structurels. On a ouvert au privé le secteur de la petite enfance et maintenant, près de 80 % des crèches sont privées. Est-ce que l’on peut confier les enfants à un secteur tourné vers la recherche des bénéfices ?!, interroge Sylvie Beck. Et sachant que toutes les crèches n’ont pas le même niveau de contrôle, abonde Éric Gautron. Concernant le grand âge, on a le choix entre un service public sous financé avec peu de places et un service privé qui fait la course à l’argent sans prendre en compte le bien-être des usagers ou des salariés !, ajoute Franck Houlgatte.
Pour Force Ouvrière, il est urgent de mettre en place un grand service public de la petite enfance et ainsi que du grand âge. Et FO le revendique depuis bien longtemps. Il faut sortir du système privé lucratif à tout-va !, appuie Éric Gautron. Ce service public pourrait également répondre aux problèmes d’accès, en proposant assez de places sur tout le territoire, souligne de son côté Sylvie Beck.
Mais pour cela, il faut sortir le carnet de chèques, précise Franck Houlgatte. Il faut payer décemment les salariés, qui seront formés et diplômés, afin de pallier le manque actuel de postes et les mauvaises conditions de travail. C’est le nerf de la guerre. Et cela implique des choix politiques. Si l’on trouve de l’argent pour les entreprises, pourquoi, interroge-t-il, n’en trouverait-on pas pour nos vieux et nos bébés ?.