La loi de partage de la valeur, transposant un accord national signé par FO, ouvre aux salariés de nouvelles possibilités de redistribution. Au cours des Assises du social qui se sont tenues le 11 juin, Frédéric Souillot, secrétaire général de FO, est revenu sur les conditions de mise en œuvre de cette loi.
Partage du capital ou partage de la valeur ? La question peut paraître scolaire mais elle est en fait très concrète. Frédéric Souillot, secrétaire général de FO, en débattait le 11 juin lors des « Assises du social », organisées à Paris par le média spécialisé AEF. Le sujet est en effet très concret puisqu’il s’agit des droits des salariés. En l’espèce ceux inscrits dans loi sur le partage de la valeur dans l’entreprise, votée le 29 novembre 2023.
Cette loi est une transposition de l’accord national interprofessionnel du 10 février 2023, négocié dans un contexte de forte inflation. FO a signé l’accord, consciente que toute mesure en faveur du pouvoir d’achat constitue un plus pour les salariés. Même si la hausse des salaires lesquels génèrent du salaire différé, contrairement à la participation, reste LA revendication syndicale, de FO particulièrement. Il est d’ailleurs bien précisé, dans l’accord, que les versements au titre du partage de la valeur ne se substituent pas au salaire.
Pour remplir son frigo, demander un emprunt immobilier à son banquier, ou lorsqu’on est malade, ce qui compte, c’est le salaire, a rappelé Frédéric Souillot au cours des débats, auxquels participaient également Hortense Gebel, avocate spécialisée en épargne salariale, associée au cabinet Lusis avocats, et Nicolas Huet, directeur général des établissements Peugeot frères, la holding du groupe familial Peugeot.
Le principal apport de la loi de partage de la valeur est de rendre accessible la participation aux salariés des entreprises de moins de 50 salariés. Le dispositif était déjà obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés ; il devient commun à tous. La loi crée en outre de nouveaux cas de déblocage anticipé de l’épargne salariale, la possibilité de placer la prime de partage de la valeur (« primes Macron ») sur un plan d’épargne salarial ou retraite, de même qu’un dispositif facultatif permettant aux salariés de percevoir une rémunération proportionnelle à la variation de la valeur de l’entreprise sans pour autant en être actionnaires (plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE)). La loi créée aussi l’obligation d’ouvrir des négociations sur le partage d’un bénéfice exceptionnel le cas échéant.
Il manque encore des décrets, où en sont-ils ?, s’interroge Frédéric Souillot. Ces décrets, portant sur l’affectation de la prime de partage, le PPVE et les déblocages anticipés, ont été présentés aux interlocuteurs sociaux avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Invité aux Assises, l’ancien ministre du Travail Olivier Dussopt aurait peut-être pu donner quelques indications sur leur devenir, mais le désormais ex-député a annulé sa venue en raison de la situation politique.
Sur le fond, la loi de partage de la valeur de 2023 ne révolutionne rien. C’est la suite de la première loi fixant l’intéressement en 1959, rappelle Frédéric Souillot. La participation est arrivée un peu plus tard, en 1967. L’objectif de la loi est, comme son nom l’indique, de partager la valeur créée par les salariés. Et par ailleurs, ce que certains pourraient assimiler à un partage du capital de l’entreprise, la loi rehausse les plafonds d’attribution des actions gratuites pour les salariés.
Mais, Les salariés ne veulent pas entrer au capital de l’entreprise, c’est une proposition qui vient en général des directions, constate Frédéric Souillot. De fait, l’actionnariat salarié n’est pas très répandu et la question de sa généralisation ne se pose pas, constate l’avocate Hortense Gebel. L’actionnaire et le salarié ont des rôles différents, explique de son côté Nicolas Huet, qui dirige la holding familiale de Peugeot. L’actionnaire doit être prêt à perdre, les salariés sont des épargnants, relève-t-il. Et si les salariés n’ont pas voix au chapitre comme les actionnaires, ils peuvent s’exprimer dans les institutions représentatives du personnel (IRP).
Pour Nicolas Huet, l’actionnariat salarié possède toutefois la vertu de stabiliser le capital de l’entreprise. C’est également la qualité que Frédéric Souillot concède à ce dispositif. Dans la tempête, les salariés [actionnaires] tiennent, analyse-t-il, citant ceux de Bouygues en exemple. Mais d’une manière générale, FO n’est pas engagée dans une demande d’actionnariat salarié.
Pour le secrétaire général de FO, les salariés créent la valeur, ce qui compte, c’est son partage. Nicolas Huet le rejoint sur cet objectif, quoique pour des raisons différentes. Le partage de la valeur est inéluctable, sinon le capitalisme ne sera plus accepté, analyse-t-il. Après le salaire, nous serions plutôt favorables aux plans d’épargne entreprise ou retraite, car on sait où est le capital, analyse Frédéric Souillot. Mais comment calculer la valeur à redistribuer ?
L’important est de se mettre d’accord sur ce qu’est la valeur de l’entreprise et sur la manière d’atteindre la valeur visée dans le plan stratégique, explique Hortense Gebel. Il faut quelques indicateurs simples, que chacun puisse apprécier : chiffre d’affaires, bénéfices, consommation d’eau ou d’électricité…, déclare de son côté Nicolas Huet. Des indicateurs simples suivis avec les IRP, afin de créer un intérêt commun, renchérit Hortense Gebel. Mais cela suppose de la transparence de la part de l’entreprise. C’est le même problème que pour la transparence des comptes, l’opacité ne vient pas des DRH mais d’au-dessus, constate Frédéric Souillot. Selon lui, la transparence d’une entreprise sur la création de valeur est une continuité du dialogue social qu’elle pratique.