Ce livre est un ouvrage collectif réunissant 18 auteurs sous la direction de Tanguy Perron, historien de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales, Paris), spécialiste des rapports entre le mouvement ouvrier et le cinéma.
Il a eu la très bonne idée de se faire préfacer par Costa-Gavras, cinéaste grec que l’on ne présente plus et qui a toujours dénoncé les dictatures, tant à l’Ouest (Z, État de siège), qu’à l’Est (L’aveu). Gavras est un enfant de la guerre civile grecque (1946-1949) et un combattant acharné de la dictature des colonels (1967-1974), mais aussi un fin connaisseur de la société française.
Sa préface est un excellent résumé du sujet : Il n’est pas nécessaire de rappeler la place unique et privilégiée qu’occupe le cinéma français dans le monde. À quoi tient son rayonnement ? À un exceptionnel système de financement public, à l’existence de grandes écoles de cinéma, du festival de Cannes, du régime de l’intermittence
. Et d’ajouter très justement : Le Front populaire ne se résume d’ailleurs pas à la conquête de formidables acquis sociaux (la réduction du temps de travail, le droit aux congés payés, les conventions collectives), il fut aussi une période d’émancipation sociale et culturelle : pour la première fois, le peuple eut la possibilité de se voir à l’écran. Pour la première fois aussi, les spectatrices et spectateurs plébiscitèrent un acteur, Jean Gabin, qui incarna avec tant de talent un chômeur, un cheminot ou un métallo, tandis que le mouvement syndical se mettait à produire des films pour montrer au peuple son histoire
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De la « vieille maison » au noyautage communiste
L’ouvrage est divisé en quatre parties chronologiques : Front populaire, guerre-résistance, libération, guerre froide. Durant le Front populaire, la CGT de Léon Jouhaux eut un rôle important dans l’organisation des travailleurs du cinéma, mais aussi dans l’apparition du monde ouvrier à l’écran. Si durant l’occupation, nombre de grands acteurs français iront se promener, tous frais payés, à Berlin, les syndicalistes du monde du cinéma, eux, passeront à la résistance. N’oublions pas que le premier festival de Cannes aurait dû avoir lieu en 1939 pour contrer le festival de Venise mussolinien.
Mais à la libération, les choses vont se gâter. Le parti communiste français reçoit l’ordre de Staline de ne pas prendre le pouvoir politique, mais d’étendre son influence. Pour ce faire, il va faire main basse sur la majorité de la CGT, mais aussi s’implanter dans le monde des arts et chez les intellectuels. C’est ce que l’on appelle « les compagnons de route ». La jeune CGT-FO ayant peu de militants dans ce monde, elle sera longtemps mise à l’écart et avoir une influence réduite, d’autant que les communistes vont utiliser la tentative de « colonisation » du cinéma français par Hollywood. C’est ainsi que l’on verra nos grands acteurs, non plus prendre le chemin de Berlin, mais celui de Moscou, tous frais payés là encore. Il faudra attendre l’écrasement du printemps de Prague en août 1968 pour que les yeux s’ouvrent, avec vingt ans de retard.
L’Ecran rouge. Syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo. Sous la direction de Tangui Perron, préface de Costa-Gavras, Les éditions de l’Atelier, 2018, 240 p. |
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly