L’union départementale FO du Morbihan a invité le 1er octobre dans ses locaux l’écrivain-ouvrier Joseph Ponthus pour une soirée-débat. Son premier roman A la ligne, paru en janvier dernier aux éditions de la Table Ronde, est une sorte d’épopée poétique qui raconte ses trois années d’intérimaire dans l’agroalimentaire breton. Il avait été chroniqué dans l’inFO militante n°3310. La rencontre, qui a duré près de trois heures, a été l’occasion d’échanges sur les thèmes du travail et de la précarité et bien sûr de l’intérim, secteur dans lequel se déroulent actuellement des élections professionnelles.
Je suis éberlué de savoir qu’on peut se syndiquer en tant qu’intérimaire, lâche Joseph Ponthus. On ne te le dit pas. Pourtant à l’abattoir, quasiment tous les titulaires étaient syndiqués
. L’écrivain-ouvrier, auteur d’A la ligne, a passé trois ans à enchaîner des contrats de quelques jours à quelques semaines pour trier des crevettes, égoutter du tofu, pousser des carcasses…
L’intérim, au début, on te file des contrats d’un jour ou deux car tu dois faire tes preuves avant d’obtenir des missions plus longues
, raconte-t-il. Son livre raconte trois ans dans la peau d’un intérimaire à se demander chaque semaine si son contrat sera renouvelé, à accepter sans broncher les changements d’horaire de dernière minute, les heures supplémentaires et les tâches les plus ingrates. Il raconte ainsi sa première mission longue, charrier des tonnes de bulots à la pelle avec un autre intérimaire, l’horreur. Je n’avais pas d’échappatoire, poursuit-il. A 40 ans il n’y a pas d’embauche en interne. Et après 9 heures de boulot, on n’a plus la force d’envoyer des CV.
L’intérimaire ne travaille pas pour l’usine mais pour une agence d’intérim qui sous traite la production. A-t-il senti une différence de traitement de la part des titulaires ? Quand tu bosses et que tu fermes ta gueule, tu es plus accepté par tes collègues qu’un titulaire qui ne bosse pas, explique-t-il. Tu trouves encore une vraie camaraderie. Mais à cause du bruit et des bouchons d’oreille elle se joue dans le silence, par les regards et l’attention à l’autre.
On sait que si on craque, on n’a plus de mission
L’an dernier, 2,8 millions de personnes ont travaillé en intérim en 2018, pour 700 000 équivalents temps plein (ETP). Près de 500 000 d’entre eux qui remplissent les conditions (avoir cumulé 455 heures sur la dernière année de travail) sont appelés à élire d’octobre à décembre leurs représentants aux CSE des entreprises de travail temporaire. Mais il y a très peu de syndiqués et d’élus. Les plus de 20 000 permanents des agences d’intérim sont également appelés aux urnes.
Pour nous la syndicalisation des intérimaires est un vrai défi, ce sont les plus fragiles, et c’est notre rôle d’être à leurs côtés
, a expliqué en ouverture de la soirée-débat Pierrick Simon, secrétaire général de l’union départementale FO du Morbihan, à l’initiative de cette rencontre.
Pour les syndicats, l’une des difficultés est de parvenir à entrer en contact avec l’intérimaire. Ils sont très vulnérables et quand ils nous voient, ils pensent qu’ils se mettent en danger, ils ont peur d’être mal vus, a expliqué Mathieu Maréchal, délégué central FO chez Randstad et coresponsable de la branche FO-Intérim, une structure créée il y a deux ans par la fédération FEC-FO. Et quand finalement ils nous appellent, il est souvent trop tard
. Il a rappelé que les délégués syndicaux sont les seuls à connaître les intérimaires en entreprise. On organise des journées intérim dans les UD pour les informer
a-t-il expliqué.
A l’heure des échanges, Michel, jeune intérimaire de 58 ans
, a apporté son témoignage de travailleur handicapé. Il a notamment expliqué qu’il était possible d’obtenir des conditions de travail adaptées.
Autre difficulté, la méconnaissance de leurs droits par les intérimaires, et notamment en termes d’action sociale. L’intérim est pourtant l’une des branches avec le plus d’avantages sociaux grâce au Fastt
, a expliqué Mathieu Maréchal. Joseph Ponthus a appris au bout de six mois qu’il avait droit à des vacances. Il a aussi évoqué dans la discussion les problèmes de transports quand l’embauche se fait très tôt, ou la nuit, et que l’usine n’est pas à proximité. Selon la situation, on trouve un vélo de location, un bus, un covoiturage ou on achète une 205 pourrie, explique-t-il. On sait que si on craque, on n’a plus de mission.
Il raconte qu’un matin, un changement d’horaire de dernière minute a fait tomber à l’eau son covoiturage. J’ai dû prendre le taxi pour aller à l’usine, explique-t-il. Je me suis dit si je n’allais pas travailler, je serais grillé à l’usine et à l’agence d’intérim. Et comme j’étais démissionnaire de la fonction publique, je n’avais pas droit au chômage.
Nouvelle sidération de l’écrivain quand Mathieu Maréchal lui explique qu’en tant qu’intérimaire, il aurait pu louer une voiture pour 10 euros par jour, jusqu’à 60 jours par an.
FO veut améliorer le CDI intérimaire
Il raconte aussi qu’il est impossible pour un intérimaire de se mettre en grève avec les titulaires, s’il veut garder son boulot. Au contraire, le patron te demande de commencer plus tôt
, lâche-t-il.
FO se bat pour une égalité de traitement totale et effective entre les salariés en intérim et les salariés permanents des entreprises. Pour la campagne des élections CSE, une autre revendication forte porte sur le CDI intérimaire (CDII). La confédération s’était opposée dès 2013 à la création de ce contrat hybride. Elle souhaite désormais améliorer ce contrat avec la reconnaissance d’un coefficient d’ancienneté et une vraie grille de salaire. Actuellement, il n’y a pas d’évolution de salaire possible, sauf quand l’intérimaire obtient une mission plus intéressante que la précédente, a expliqué Mathieu Maréchal. Mais ça marche dans les deux sens. En changeant de mission, il peut aussi perdre jusqu’à 30 % de son salaire brut. Et les primes et avantages comme les indemnités de déplacement ou les tickets restaurant ne rentrent pas dans le calcul
.
Selon le militant FO, un salarié en CDII a tous les inconvénients d’un intérimaire, sans les avantages. Il peut être envoyé à 50 km de chez lui, et il ne peut pas refuser plus de deux missions sinon il est viré, a expliqué Mathieu Maréchal. Il ne perçoit plus de prime de précarité et touche le Smic en intermission. Et il n’y a pas de rupture conventionnelle possible.
Il a aussi évoqué la réforme de l’Assurance chômage, qui va entrer en vigueur en novembre, et sera catastrophique
pour ceux ayant réalisé seulement quelques missions dans le mois. La question de la retraite aussi est cruciale. Ce sera encore plus dur pour les intérimaires car la précarité va peser
, a alerté Pierrick Simon.
Alors que la participation moyenne dans l’intérim aux dernières élections professionnelles n’a pas dépassé 2%, FO Intérim appelle à voter et faire voter FO pour celles qui arrivent.
FO Interim se tient à la disposition de tous pour atteindre ce but : https://fecfo-services-interim.fr/
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly