DANS LA COURSE AU « NOUVEAU MONDE » : A VOS MARQUES, PRÊTS, « MARCHÉ » !
Depuis mai 2017 qu’a été entamée une transformation profonde du pays à marche forcée, tout est prétexte à la destruction de notre modèle social et républicain : dans cette vision idéologique, nos acquis et valeurs mais aussi nos pratiques comme la négociation collective sont autant de freins dont il faudrait se défaire dans la course vers le « nouveau monde ». Sous couvert de modernité, les contre-réformes s’enchaînent telle une impérieuse nécessité, comme pour anticiper à un rythme précipité une disruption inéluctable. L’ultra-libéralisme au pouvoir fait de la France une « start-up nation » lancée à toute vitesse, ignorant dans le rétroviseur un passé fait de conquêtes sociales aujourd’hui piétinées.
FAIRE DE LA FRANCE UN GRAND « MARCHÉ » : UNE COURSE EFFRÉNÉE AU LIBÉRALISME
L’itinéraire choisi est clair : celui d’une politique menée pour les entreprises – ou plutôt les employeurs et leurs actionnaires – capable d’attirer en masse les investisseurs et faisant de la France un grand « marché ». Ce nouveau paradigme repose sur un modèle d’économie financiarisée à l’extrême et régulée par la loi du marché. Le président de la République déploie depuis plus d’un an un projet de société ultra-libéral, qu’il conditionne à la force de l’économie française : la France de demain sera celle des entrepreneurs. Parce que la fin justifie les moyens, cette politique se traduit par une pluie de cadeaux fiscaux consentis aux investisseurs, aux grandes entreprises et aux plus riches : suppression de l’ISF et de l’exit tax, fin de la taxation de 3 % sur les dividendes, plafonnement de la taxation sur le capital, pour ne citer qu’eux.
Force Ouvrière condamne avec la plus grande fermeté cette mise en œuvre de la théorie du ruissellement qui, en plus d’être profondément inégalitaire, n’a aucun bien-fondé économique et va à l’encontre de ce qui devrait être fait en matière de lutte contre l’évasion fiscale – représentant entre 60 et 90 milliards d’euros de recettes publiques perdues chaque année ! Ces cadeaux fiscaux sont autant de recettes dont l’État se prive au profit d’une minorité de privilégiés, alors qu’elles pourraient servir à une meilleure redistribution des richesses et à un financement d’un Service public de qualité pour tous. FO ne peut accepter une politique menée dans l’intérêt exclusif des entreprises, dont la recherche accrue de flexibilité se traduit par une dérégulation synonyme de « déprotection » pour l’ensemble des travailleurs.
3, 2, 1, PARTEZ …ET QUE UBER GAGNE !
Pour libérer les freins à la croissance et maximiser leurs profits, les entreprises cherchent à contourner toute règlementation contraignante et se dédouaner de leurs obligations parfois les plus essentielles. C’est d’ailleurs pleinement dans ce cadre que s’inscrit l’actuelle loi PACTE par toute une série de mesures visant à libérer l’activité des entreprises d’une partie de leurs « contraintes » sociales, administratives et fiscales, se traduisant en premier lieu par un abaissement des seuils sociaux et une privatisation à tout-va. Dans la continuité des contre-réformes successives, l’heure est à la flexibilisation et la dérégulation du marché du travail : à un recours croissant aux formes atypiques d’emplois s’ajoute une ubérisation exponentielle. Comme réponse à une logique d’économie à la demande, les plateformes n’en finissent plus de se multiplier et, avec elles, un travail à la tâche digne d’un autre temps.
Considérant que le CDI à temps plein doit rester la norme de référence dans le secteur privé, Force Ouvrière dénonce en particulier l’usage frauduleux par les entreprises du statut de travailleur indépendant ou d’auto-entrepreneur, alors que les conditions de travail, le lien de subordination et la dépendance économique qui en résultent attestent d’un salariat déguisé. Se soustrayant à leurs obligations sociales, les entreprises privent par là même leurs travailleurs d’un droit du travail protecteur et de tout cadre collectif. FO voit dans l’ubérisation un détournement de l’outil numérique conduisant à la disparition progressive du travail salarié au profit d’une nouvelle forme d’exploitation.
Dans ce « nouveau monde », l’auto-entreprenariat sous toutes ses formes devient le sésame de l’accès à une activité souvent précaire pour des travailleurs enjoints de trouver des clients faute de trouver un travail. Inspiré d’une vision anglo-saxonne, l’effet « start-up » est une aubaine en matière de communication et de résolution fictive du chômage au profit d’une précarisation grandissante. Force Ouvrière revendique une reconnaissance pleine et entière de la protection et des droits collectifs dont ces travailleurs faussement indépendants sont actuellement privés. En lieu et place d’un travail à la tâche payé a minima, donnant lieu à un salaire de misère pour un temps de travail extensible à l’infini, FO exige de réelles créations d’emplois, assortis de la protection et des droits collectifs afférents.
PLACE A LA COMPÉTITION : UN CONTRE TOUS ET CHACUN POUR SOI !
Cette politique ultra-libérale est sous-tendue par une logique d’individualisation sans pareille, appuyée par un discours entrepreneurial faisant la part belle à la liberté et à l’autonomie de chacun. En réalité, si liberté il y a, c’est surtout celle de se débrouiller par soi-même : dans cette course effrénée où règnent compétition et concurrence de tous contre tous, c’est le plus fort qui gagne et malheur aux vaincus. Sous couvert de liberté, cette individualisation renvoie sur chacun les risques liés à son activité et la responsabilité de s’en sortir seul, indépendamment de tout cadre collectif.
Force Ouvrière réprouve cette vision quasi-philosophique du chacun pour soi, dans laquelle la liberté n’est qu’un miroir aux alouettes, masquant une responsabilisation individuelle porteuse d’inégalités. Par cette logique, on veut nous faire croire qu’un chômeur n’est pas chômeur faute d’emploi à pourvoir mais parce qu’il ne parvient pas à se vendre sur un marché du travail évolutif. Ce dont d’ailleurs il est le seul responsable, comme en atteste le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » – avait-on besoin d’une loi pour autoriser une telle liberté ? – qui laisse à chacun le soin de se prendre en main pour construire – subir ? – son avenir et s’assurer de son employabilité immédiate.
Cette vision est symptomatique de l’ensemble des contre-réformes menées actuellement, y compris en matière de retraite. La retraite par points nous est présentée comme devant permettre à chacun de décider de son départ en fonction du nombre de points acquis tout au long de sa vie professionnelle. Mais il ne faut pas s’y tromper : d’aucuns ignorent que cette « liberté de choix » n’en est pas une pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une carrière « linéaire » – mais ont subi des périodes d’inactivité – et qui devront s’ils le peuvent continuer à travailler pour prétendre à une retraite un tant soit peu décente.
La liberté est une valeur à laquelle Force Ouvrière est indéfectiblement attachée et sans laquelle l’idéal républicain ne saurait trouver son plein effet. Le syndicalisme libre et indépendant, dont FO se revendique, est d’ailleurs un prérequis indispensable à l’émancipation des travailleurs et des citoyens. Parce que la liberté implique la capacité de choisir, c’est la pervertir que de l’invoquer à des fins de responsabilisation et d’individualisation, étrangères à toute idée d’égalité et de solidarité.
D’un point de vue économique, la liberté doit être encadrée et ne pas prévaloir sur les droits sociaux : garant de l’intérêt général, l’État a un rôle essentiel et une responsabilité toute particulière à ne pas laisser se développer un libéralisme débridé. Force Ouvrière considère d’ailleurs que toute aide publique doit être conditionnée notamment à l’emploi, à l’investissement productif ou aux salaires.
UNE COURSE AU MOINS-DISANT : LA MARCHE ARRIÈRE DU PROGRÈS SOCIAL
Afin de faire de la France un grand marché libre de toute contrainte à la croissance des entreprises, s’est organisé un détricotage en règle du droit du travail. Force Ouvrière entend résister avec détermination à ce rouleau compresseur anti-social et autoritariste. Amorcée avec la loi « Rebsamen » puis la loi « Travail » avant d’être consacrée par les ordonnances « Macron » – que notre Organisation continue de dénoncer et de combattre – cette dérèglementation poursuit bien un objectif unique : celui d’une flexibilité accrue au bénéfice des entreprises. La tendance est à une décentralisation du niveau de décision à l’échelle de l’entreprise, là même où le rapport de force est le plus déséquilibré en raison d’une subordination plus marquée.
Force Ouvrière s’oppose à cette logique du « tout-entreprise » qui, sous couvert de souplesse, conduit à inverser la hiérarchie des normes – pensée pour assurer un degré de protection élevé des travailleurs – poussant à une course au dumping et au moins-disant social. Pour FO, l’inversion de la hiérarchie des normes et la réforme territoriale ont d’ailleurs ceci de commun qu’elles visent à remettre en cause les normes et les réglementations nationales au profit d’une gouvernance locale au niveau des entreprises ou des établissements. Aux mêmes causes les mêmes effets : une destruction des garanties collectives et statutaires, rompant avec l’égalité des droits et de traitement.
Cette suppression des cadres collectifs a pour corollaire une personnalisation des droits : de plus en plus, de pseudo-droits rechargeables et déchargeables sont attachés à l’individu plutôt qu’au statut de l’emploi. Le compte personnel d’activité (CPA) en est le réceptacle par excellence : un sac à dos pour « partir seul à l’aventure » – se former, chercher un travail, etc. – charge à chacun de se débrouiller par lui-même. Force Ouvrière considère qu’un droit individuel ne vaut que s’il est garanti collectivement et, en ce sens, la disparition progressive des garanties collectives au profit de droits individuels participe d’une logique grandissante de « déprotection ».
Cette individualisation des droits se généralise dans le privé comme dans le public. Dans le cadre du « programme Action publique 2022 », la volonté gouvernementale d’étendre l’individualisation de la rémunération et les recrutements précaires n’a pour finalité qu’une casse des droits et cadres statutaires. La fin du Statut n’est rien d’autre que la destruction idéologique d’un cadre protecteur, à laquelle Force Ouvrière s’oppose avec la plus grande fermeté, rappelant qu’il est de l’intérêt général de défendre la Fonction publique et ses agents comme l’un des piliers de notre République.
Comme corollaire à la responsabilisation croissante des travailleurs, les entreprises quant à elles se voient de plus en plus désengagées de leurs obligations sociales. A l’assouplissement de la législation s’ajoute une tendance à l’auto-régulation, propre à la logique de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Pour Force Ouvrière, la prise en compte des préoccupations sociales n’est pas optionnelle et ne peut se résumer à une démarche volontaire des entreprises, qui n’aurait pour effet que de renforcer encore un peu plus les disparités, dans le mépris le plus total de l’égalité de droit.
TOUT MISER SUR LA POLE POSITION : LA THÉORIE DES « PREMIERS DE CORDÉE »
Le projet de société que porte l’exécutif repose sur la mise en œuvre de la théorie des « premiers de cordée » [1] chère au président de la République : ceux-là réussissent et sont censés tirer vers le haut la dynamique économique du pays. C’est ainsi que la première année du quinquennat a vu se concrétiser le déploiement de mesures au bénéfice exclusif de ces 10% de privilégiés qui réussissent parce qu’ils en ont la capacité, les moyens ou la chance. La diminution de la fiscalisation sur le capital est en ce sens la parfaite illustration d’une politique pensée et menée pour les grandes entreprises et les plus riches. L’exit tax représente à elle seule un manque à gagner de 6 milliards d’euros, soit le quart des aides censées prévenir la pauvreté ! Il est aussi tout à fait révélateur d’apprendre que la France est le pays où les actionnaires touchent le plus de dividendes, à savoir 67% des bénéfices distribués par les entreprises du CAC 40 depuis 2009 [2]. Les salariés, réduits à vendre leur force de travail sur le « marché France », sont à coup sûr les grands perdants de la course …
Force Ouvrière se refuse à voir ériger en modèle de société une méritocratie illusoire – où il ressort de la responsabilité de chacun de s’en sortir seul par « le talent, l’effort, le mérite » [3] – servant à légitimer la domination d’une élite. Surtout, notre Organisation dénonce le choix d’une politique profondément injuste et inégalitaire : ce « nouveau monde » est en réalité un retour à l’Ancien Régime, fait de privilèges pour quelques-uns et de mépris pour le plus grand nombre. Force Ouvrière défend une meilleure répartition des richesses dans un sens plus favorable aux travailleurs, comme prérequis essentiel à une société plus juste, plus solidaire et porteuse de cohésion sociale.
Face à ces 10% de « premiers de cordée », les 90% de « derniers de corvée » sont livrés à eux-mêmes, laissés sur le bas-côté. Dire cela n’est pas un procès d’intention mais un constat : en un an, les différentes politiques du gouvernement ont distribué plus de 11 milliards d’euros aux 10% les plus riches, là où les 90% restants ont perdu 24 milliards d’euros en pouvoir d’achat comme en aides publiques et sociales. Hausse de la CSG, baisse du budget de l’État et de celui de la Sécurité Sociale, baisse du budget des collectivités locales, baisse des APL, gel des pensions de retraite et du point d’indice, etc. : autant de mesures, sans chercher à en dresser une liste exhaustive, qui impactent négativement le pouvoir d’achat des travailleurs et des citoyens. Les plus modestes sont la proie facile des réductions de dépenses publiques, comme le confirme l’annonce des grandes orientations budgétaires pour 2019, prévoyant notamment un gel des pensions de retraites et des aides sociales à l’instar des aides personnalisées au logement (APL).
Pour Force Ouvrière, l’ensemble des choix politiques faits depuis un an sont la preuve qu’il est vraisemblablement plus facile de s’attaquer à l’os qu’au gras. Ils conduisent à une bipolarisation de la société entre des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus pauvres, les classes moyennes venant alimenter les rangs de la précarité. Plus largement encore, le choix de l’individualisation aboutit à creuser l’écart entre la minorité de ceux qui réussissent – qui depuis longtemps ont coupé la corde à laquelle semble tant tenir le chef de l’État – et la majorité restante, dont l’échec est renvoyé à la responsabilité de chacun. La logique de méritocratie telle qu’elle est vantée comme pilier du projet de société jusqu’aux bancs de l’Ecole républicaine – du plus jeune âge à Parcoursup – entend assurer une apparente égalité des chances. Or, c’est oublier que, dans une course, la ligne de départ n’est pas la même pour tous …A l’alibi de l’équité, Force Ouvrière préfère l’égalité réelle et, en lieu et place d’une individualisation porteuse d’inégalités, défend la solidarité et l’action collective comme leviers indispensables du progrès social.
DANS LES TRIBUNES, UN ETAT SIMPLE SPECTATEUR
Grâce notamment aux cadeaux fiscaux faits aux plus riches, la perte de recettes pour l’État s’élève à 14 milliards rien que pour l’année 2018 – qui n’est pas terminée ! L’État s’appauvrit et n’a d’autre solution que d’invoquer la sempiternelle réduction des dépenses publiques pour justifier les économies à réaliser. Sans surprise, ces économies se font d’abord sur les moins aisés qui – cela n’aura échappé à personne – coûtent un « pognon de dingue » [4] en minima sociaux ! Le manque de ressources sert alors de prétexte à une déresponsabilisation de l’État, voyant son rôle réduit à la portion congrue, y compris dans ses missions régaliennes.
Victimes de coupes drastiques, le Service public est privé des moyens nécessaires à la réalisation de ses missions, ses dysfonctionnements sont invoqués pour justifier sa privatisation et à terme son démantèlement. Les catastrophes récentes – incendies en Grèce, effondrement du pont à Gênes – mettent en lumière des tragédies qui pourraient être évitées si le bien commun primait systématiquement sur les intérêts économiques court-termistes. Force Ouvrière réitère son opposition à toute privatisation – les dernières allant jusqu’à s’attaquer à des fleurons du patrimoine français – et rappelle l’importance d’un investissement public à la hauteur des enjeux du Service public. Pour FO, délaisser le service public de proximité voire l’abandonner à l’initiative privée, c’est compromettre la satisfaction de besoins parfois les plus essentiels, jusqu’à favoriser le client au détriment de l’usager, contredisant la raison d’être du Service public républicain.
Cette déresponsabilisation de l’État fait écho au discours vantant liberté et émancipation de chacun pour in fine ne garantir qu’un filet minimal de sécurité, à compléter selon le cas par une épargne individuelle, le recours à une assurance privée, etc. L’État ne protège plus : il n’est plus que l’arbitre du jeu de la concurrence sur un marché dérégulé au profit de la liberté d’entreprendre.
AVEC FO, FAIRE TRIOMPHER LE COLLECTIF ET L’ÉGALITÉ RÉPUBLICAINE !
Les politiques mises en œuvre depuis plus d’un an par le chef de l’État et son gouvernement ont pour effet de creuser plus profondément les inégalités existantes, au point de faire de l’inégalité un facteur structurant de la société. Les vainqueurs de cette course effrénée – peu nombreux – accaparent les richesses et les privilèges, tandis que les autres – condamnés à « n’être rien » [5] – sont réduits se contenter de toujours moins. Tout semble fait pour accentuer les disparités qui fracturent notre société, menaçant notre cohésion sociale et républicaine.
Pour limiter la grogne qui légitimement en résulte, pour éviter l’explosion sociale et l’éveil des consciences sur la réalité de ce « nouveau monde », l’affaiblissement des contrepoids et des contrepouvoirs s’impose comme un levier indispensable aux mains de l’exécutif. Au prétexte de les rendre plus libres, plus autonomes et plus responsables, l’individualisation qui sous-tend l’ensemble des contre-réformes a surtout pour effet de laisser les travailleurs livrés à eux-mêmes. Presque inéluctablement, l’individualisation induit l’individualisme et un déclin du collectif, le « chacun son choix » devenant le « chacun pour soi » dans une jungle d’inégalités.
Parce que nous ne voyons que trop clair dans ce « nouveau monde » qui se dessine, les organisations syndicales ont aujourd’hui un rôle historique à jouer pour que l’ensemble des travailleurs du pays prennent conscience de l’ampleur dévastatrice des politiques actuelles et de la nécessité de les combattre. Il en va de la préservation de notre modèle social, de nos acquis les plus fondamentaux et, plus largement encore, de l’unité de la République. Seule la force du collectif peut permettre de résister aux attaques tous azimuts pour préserver des acquis nés de conquêtes sociales et revendiquer comme négocier dans le sens d’une amélioration constante des conditions de vie et de travail. Le nombre est une force exceptionnelle que le syndicalisme libre et indépendant se doit de rassembler. Plus que jamais, Force Ouvrière entend s’ériger en rempart face au péril de l’individualisation et en bâtisseur d’un modèle qui – fondé sur les valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de solidarité – ne laisse personne au bord du chemin.
CONTRE LE PROJET DE SOCIÉTÉ « EN MARCHE OU CRÈVE » MOBILISONS-NOUS POUR DÉFENDRE NOTRE MODÈLE SOCIAL RÉPUBLICAIN !
Deux mois après la rencontre entre les organisations syndicales et le président de la République, la promesse d’un avant et d’un après 17 juillet par un rééquilibrage social de la politique se fait encore attendre. Au sortir de l’été, Force Ouvrière avait pourtant bon espoir pour que ses propositions soient enfin entendues et que les réformes ambitieuses promises dès septembre – notamment par l’annonce d’un plan pauvreté – incarnent les marqueurs forts de la politique sociale de ce quinquennat.
La désillusion aura été rapide, lorsqu’en cette rentrée, les grandes lignes de la loi de finances pour 2019 établissent un budget s’en prenant frontalement aux « derniers de corvée », avec notamment un gel des pensions de retraites comme du montant des APL et une possible dégressivité des allocations chômage.
Dès lors, la rénovation du modèle social, promesse de campagne présidentielle, laisse présager un flot continu de réformes régressives dans le droit chemin d’une logique de casse entamée depuis plus d’un an : détricotage du droit du travail induit par les ordonnances « Macron », casse du statut des cheminots en ballon-sonde d’une destruction du Statut général des fonctionnaires, et diminution des droits à la formation professionnelle prévue par la mal nommée loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».
Le visage d’un « nouveau monde » se dessine alors nettement : celui d’une République vidée de sa substance par la remise en cause brutale de ses valeurs pour laisser place à une société individualisée, où triomphe une vision portée sciemment au détriment de notre histoire et de toute réalité sociale.
VERS UN ETAT JUPITERIEN PROMOTEUR DU TOUT-MARCHE ET ORCHESTRE D’UNE JUNGLE ORGANISEE
Les politiques actuellement menées ont toutes pour objectifs communs d’individualiser le parcours professionnel, d’ôter tout frein au règne du marché et de supprimer l’ensemble des acquis sociaux et des protections collectives, en résumé l’ensemble des conquêtes obtenues par les organisations syndicales.
Ce projet de société suppose que les prérogatives de l’État soient réduites au minimum et qu’un exécutif fort incarne tout de même la continuité républicaine en la personne du chef de l’État, ce dernier estimant d’ailleurs que la France, orpheline, se cherche continuellement un roi [6]. Le « nouveau monde » s’inscrit donc dans un vieux logiciel monarchique où la fonction présidentielle pourrait se résumer à cette maxime royale remise au goût du jour « l’État, c’est moi. Moi, c’est le marché ».
De notre devise républicaine, c’est alors la liberté qui prévaut sur les valeurs d’égalité, de fraternité et de solidarité, liberté qui dans le discours actuel recouvre essentiellement celle d’entreprendre. Sous couvert d’égalité des chances tant vantée pour pallier les inégalités de destin, l’État s’affranchit de son devoir d’assurer l’égalité réelle garantissant à chacun les moyens de vivre dignement dans un environnement propice au progrès social.
Au contraire, on constate depuis plusieurs mois que l’objectif est de mettre en œuvre les règles du jeu de la concurrence pour faire de chaque individu un acteur du marché, vendeur à succès de ses compétences, comme en témoignent les mesures adoptées récemment en faveur d’une flexibilité accrue des contrats d’apprentissage et d’une sélection organisée du plus jeune âge jusqu’à l’Université via Parcoursup. Cette politique, prônant les bienfaits d’une méritocratie illusoire car aveugle aux déterminismes sociaux et aux aléas des parcours de vie, glorifie la compétition entre les individus rendus promoteurs d’eux-mêmes et responsables de leur stratégie marketing pour se démarquer et survivre dans cette « start-up nation » génératrice d’inégalités.
Dans cette conception restrictive de l’égalité, l’État voit ses prérogatives en matière de justice sociale réduites à peau de chagrin en laissant de côté la lutte contre les inégalités de richesse, vecteur pourtant incontestable de justice sociale pour Force Ouvrière.
Notre Organisation condamne et combat ce modèle de société ultra-individualiste, d’autant plus lorsque l’on sait que la fortune des 13 Français les plus riches a bondi de 12 % depuis janvier 2018 [7] alors même que l’on dénombre 9 millions de personnes pauvres en France, soit 14 % de la population.
Face à ce projet dogmatique, FO défend sans relâche la préservation du modèle social français envié dans le monde entier, à juste titre, puisqu’il permet après impôts et transferts sociaux [8] de réduire par 4 des inégalités de richesse entre les 10 % les plus riches et les 10 % les moins aisés.
Notre Organisation rappelle que la mise en œuvre d’un système social solidaire dans la sixième puissance économique du monde ne dépend ni de la conjoncture économique, ni du montant des dividendes versés aux actionnaires mais bien du niveau de répartition des richesses d’un pays. En ce sens, Force Ouvrière revendique de longue date une réglementation contraignante en matière de redistribution des richesses, grâce à la règle de répartition des bénéfices suivante : 1/3 pour les salariés, principaux créateurs de la richesse produite, 1/3 pour l’investissement, et enfin 1/3 pour les actionnaires et les dirigeants d’entreprise.
A rebours d’un projet de société rétrograde érigeant comme un idéal de vie la course au profit illimité et l’ambition de « devenir milliardaire » [9], FO défend ses revendications porteuses de progrès social dont celle d’un travail décent apportant sécurité, dignité et émancipation.
ABANDON DES MECANISMES DE SOLIDARITE A LA FAVEUR DU PRINCIPE DE CHARITE : « AIDE-TOI ET LE CIEL T’AIDERA »
Sous couvert de juger inefficaces et déresponsabilisants les mécanismes d’insertion sur le retour à l’emploi et la sortie de la précarité, les bénéficiaires d’aides sont individuellement pointés du doigt, rendus responsables de leur destin et de leurs échecs quand ils ne sont pas culpabilisés de leur situation d’exclusion. Tout cela est couplé d’un simulacre de communication, visant à faire croire par exemple que le coût des minima sociaux – qui ne s’élève pourtant qu’1 % du PIB – représenterait un « pognon de dingue », alors que les cadeaux accordés aux grandes entreprises et investisseurs n’ont eu de cesse d’être multipliés.
Force Ouvrière dénonce fermement la stigmatisation de ces personnes en réalité victimes d’un marché du travail rendu toujours plus précaire sous le coup de contre-réformes « déprotectrices » laissant sur le bord de la route 6,5 millions de chômeurs et 2 millions de travailleurs pauvres. La suppression ou la réduction des aides sociales, dont FO ne cesse par ailleurs de réclamer la revalorisation, se ferait ainsi au détriment des millions de personnes survivant simplement grâce à ces mesures, ou des classes moyennes à qui ces mécanismes permettent de ne pas sombrer dans la pauvreté lorsqu’elles sont confrontées aux aléas de la vie ou en période de crise économique.
Alors même que le « nouveau monde » suppose un État dont les prérogatives en matière de justice sociale seraient réduites au minimum, le gouvernement cherche paradoxalement à « étatiser » les organismes relevant jusqu’alors de la négociation interprofessionnelle, à savoir la Sécurité sociale et l’Assurance chômage, en transformant à la serpe leur mode de gouvernance. Mettre un terme à la présence des organisations syndicales dans la gouvernance de ces instances, c’est nier la notion même de salaire différé et la responsabilité qui incombe à juste titre aux interlocuteurs sociaux d’en être les garants.
Initialement financés par le prélèvement de cotisations sociales sur les salaires, ces organismes le sont de plus en plus aujourd’hui par la retenue d’un impôt que Force Ouvrière considère injuste, la Contribution Sociale Généralisée (CSG), dont le taux non progressif est sans cesse relevé [10] arbitrairement par les gouvernements successifs. Au nom de l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés rendue prétendument possible par le remplacement des cotisations sociales par l’impôt, l’État détient progressivement le contrôle sur les ressources des organismes paritaires, lesquelles se transforment en variable d’ajustement des dépenses publiques. Cette « étatisation » n’est donc pas contradictoire avec l’émergence du « nouveau monde » dans la mesure où l’État pourra, en fonction de ses choix idéologiques, poser ses conditions sur les règles d’indemnisation chômage par exemple. Une disposition de la loi « Avenir » permet d’ailleurs au gouvernement d’imposer aux interlocuteurs sociaux un document de cadrage définissant la trajectoire financière de l’Unédic à partir duquel les représentants des travailleurs, pieds et poings liés, n’auront plus qu’à négocier la longueur de la chaîne et le poids du boulet lorsqu’il s’agira de rogner sur les acquis sociaux.
Force Ouvrière ne peut que dénoncer la liquidation de notre modèle social fondé sur les droits collectifs basés sur les cotisations qui sont de fait un salaire différé. Ce serait passer de la solidarité à un système apparenté demain à un filet de sécurité minimal ou d’assistance publique [11] dans lequel seuls les plus démunis, stigmatisés, pourront à titre individuel implorer les faveurs de l’État. Ce dernier y répondra peut-être favorablement mais sous condition, dans l’esprit des expérimentations développées ces derniers temps dans plusieurs départements comme le Haut-Rhin où le RSA était accordé sous réserve que le bénéficiaire effectue 7 heures de « bénévolat » par semaine.
Dans ce nouveau paradigme, comme au XIXe siècle, chacun est invité à faire preuve de charité à l’égard de son prochain en difficultés et à s’assurer individuellement pour les « petits risques » qui ne sont plus pris en charge collectivement. Le modèle social républicain, auquel Force Ouvrière a contribué brique par brique, s’attache à reconnaître la diversité des besoins sociaux pour garantir la justice sociale pour tous grâce à des mesures d’insertion telles que le versement d’aides sociales et des droits collectivement acquis dans une logique assurantielle, comme l’indemnisation chômage ou encore l’assurance maladie. Le système contributif selon le principe « cotiser selon ses moyens et de recevoir selon ses besoins » est un mécanisme extraordinaire de solidarité visant à toujours plus d’égalité, que FO défendra coûte que coûte.
« JE PENSE DONC TU SUIS » OU LE FANTASME D’UN ORDRE NEOLIBERAL TRIOMPHANT D’UNE REPUBLIQUE A GENOUX
Dans ce nouveau modèle de société, les principaux médias, dont la liberté de ton est limitée, se font les relais d’une rhétorique orientée déformant parfois l’histoire jusqu’à disqualifier toute forme de contre-pouvoir ou de contre-poids comme en témoigne le « syndicalisme bashing » particulièrement à l’œuvre depuis plus d’un an.
En parallèle, de nombreuses notions sont détournées de leur sens premier – telles que « Protection sociale » ou « modèle social » – jusqu’aux valeurs républicaines, utilisées comme caution pour mieux dissimuler des réformes régressives qui ne disent pas leur nom. C’est en effet au nom de la Liberté, celle d’entreprendre, qu’est justifiée le plafonnement des indemnités prud’homales pour faciliter les licenciements, c’est au nom de l’Egalité qu’est motivée la casse des statuts en ce qu’ils constitueraient un privilège, et c’est enfin au nom de la Fraternité et de la Solidarité qu’est initiée la déconstruction de notre modèle social juste et émancipateur pour n’instaurer qu’un système proche de l’assistance publique.
La manipulation des esprits par un discours d’apparence implacable, la technicité des réformes et la vitesse du processus législatif rendent possible ce rouleur compresseur et l’anesthésie ambiante de la société. Force Ouvrière ne peut laisser faire et invoque à ce titre son rôle d’éveil des consciences pour que les travailleurs ne se laissent pas duper par la communication habile et orientée d’un gouvernement méprisant le sort réservé aux « derniers de corvée ».
SE MOBILISER POUR SAUVER LA SOLIDARITE REPUBLICAINE, CIMENT DE LA COHESION SOCIALE !
Ce modèle érigé il y a 70 ans, héritage historique fait de plus d’un siècle de luttes ouvrières et bâti sur des valeurs républicaines vieilles de 300 ans, ne peut être sacrifié demain sur l’autel du libre marché. Face à cette vision de société où chaque travailleur est livré à lui-même, Force Ouvrière et les autres organisations syndicales ont une responsabilité historique à assumer pour défendre nos valeurs républicaines, seuls remparts contre le délitement de la société et l’effritement de la cohésion sociale.
A ceux qui considèrent qu’il ne saurait y avoir d’autre choix de société possible [12], Force Ouvrière réaffirme qu’il ne peut y avoir de société démocratique sans valeurs fortes ni continuité historique : en aucun cas l’esprit de compétition et l’individualisme ne peuvent remplacer le ciment que constituent nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Au-delà de la préservation de nos acquis sociaux, nous devons agir pour que l’ensemble des travailleurs prennent conscience du moins-disant social des réformes en cours, qui font du « nouveau monde » en réalité un retour à un ancien monde, proche des conditions de travail des tâcherons du XIXe siècle.
Dans ces batailles qui s’annoncent, seul le collectif fait la force et Force Ouvrière est fière d’avoir en son sein des femmes et des hommes qui lutteront sans relâche pour la victoire de leurs revendications.
Plus que jamais nous devons résister, revendiquer, reconquérir !
[1] « Je crois à la cordée (…) Je veux qu’il y ait des femmes et des hommes qui réussissent pour tirer les autres », propos du président de la République lors de son entretien télévisuel du 15 octobre 2017.
[2] Rapport d’Oxfam, 2018 : « CAC 40 : Des profits sans partage. Comment les grandes entreprises françaises alimentent la spirale des inégalités ».
[3] « Le modèle français que je veux défendre exige que ce ne soient plus la naissance, la chance ou les réseaux qui commandent la situation sociale, mais les talents, l’effort, le mérite », discours du président de la République devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 9 juillet 2018.
[4] « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas », propos tenus par le président de la République le 12 juin 2018.
[5] « Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », propos tenus par le président de la République le 29 juin 2017.
[6] Citation d’Emmanuel Macron : Propos recueillis par Eric Fottorino, Laurent Greilsamer et Adèle Van Reeth, publiés dans le 1 du 8 juillet 2015 « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même ». « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au coeur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu. »
[7] « La roue de la fortune », Le Canard Enchaîné, 23 mai 2018.
[8] Source : Observatoire des inégalités : « Impôts et prestations sociales réduisent les inégalités de revenus de moitié » .
[9] Citation d’Emmanuel Macron, Interview des Echos, mercredi 7 janvier 2015.
[10] Le taux de la CSG est passé de 1,1 % à 9,2 % entre 1990 et 2018.
[11] Le chef de l’État l’a annoncé dès août 2017 dans une interview au journal Le Point, en disant vouloir passer du modèle d’assurance sociale dit « bismarckien » financé par des cotisations au modèle de solidarité via l’impôt dit « beveridgien ».
[12] Citation d’Emmanuel Macron, magazine Forbes, mai 2018.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly