Depuis toujours des hommes ont voulu une société plus juste, plus égalitaire, sans exploitation, avec une juste répartition des richesses, de meilleures conditions pour les travailleurs. Rêve ou réalité… Certains prennent part au mouvement des Utopistes.
Même si cela est simpliste, réducteur et surtout loin d’être exact, l’histoire a voulu retenir que Platon fut le premier Utopiste, écrivant en 380 av. JC « La République ». Même si les Grecs ont inventé la démocratie, il y avait encore fort à faire dans ces cités États où les Métèques (les étrangers résidant dans la cité athénienne) et les femmes n’avaient pas le droit de participer aux débats publics et à la direction de la Cité.
Il faut attendre la Renaissance et l’émergence de l’humanisme pour voir l’apparition des Utopistes contemporains. Le plus connu est Thomas More (1478-1535) qui a publié en 1516 L’Utopie [1] à l’âge de 38 ans. Très lié à Érasme, il fait partie d’un dense réseau d’humanistes qui cherchent à réformer l’église et la société. Il sera décapité par Henri VIII en 1535, premier martyre des Utopistes.
Au XVIIe siècle deux personnalités émergent. Le moine dominicain et philosophe Tommaso Campanella (1562-1639) qui publie La cité du soleil en 1623. Plus connu, le scientifique, homme politique anglais Francis Bacon (1561-1626) qui écrit en 1627 La nouvelle Atlantide.
Dans son ouvrage Histoire des Girondins sorti en 1847, Alphonse de Lamartine (1790-1869) définit l’utopie : Les utopies ne sont que des vérités prématurées
. Quant à Walter Benjamin (1892-1940), dans son Paris, capitale du XXe siècle, publié en 1935 : Dans le rêve où chaque époque se dépeint la suivante, cette dernière apparaît mêlée d’éléments venus de l’histoire primitive, c’est-à-dire d’une société sans classes
.
La révolution industrielle va faire apparaître deux nouvelles sortes d’utopistes.
Socialisme et utopie
Avec la révolution industrielle qui commence au début du XIXe siècle, certains pensent que les innovations technologiques et les progrès scientifiques vont délivrer l’homme de ses anciennes servitudes. Bien au contraire, elle a engendré une classe ouvrière aux prises avec la misère et la surexploitation.
Face à ce terrible constat sont publiés en 1823 Catéchisme des industriels de Claude-Henri de Saint-Simon, en 1829 Le nouveau monde industriel et sociétaire de Charles Fourier, en 1837 Propositions fondamentales du système social de Robert Owen, en 1838 De l’égalité de Pierre Leroux et en 1840 Voyage en Icarie d’Étienne Cabet.
Ce courant de pensée a donné naissance au Saint Simonisme et au Fouriérisme. Il s’agissait alors d’améliorer la condition des ouvriers. Concrètement, c’est la construction des phalanstères, comme celui de l’industriel idéaliste Jean-Baptiste Godin en 1851 à Guise. Dans un même lieu sont regroupés la fabrique, l’habitation, mais aussi l’éducation, les soins et même les loisirs. Ce concept va aussi servir de base à une certaine forme de paternalisme industriel, dénoncé par la jeune CGT.
A l’ère industrielle, sont publiés Qu’est-ce que la propriété de Pierre-Joseph Proudhon en 1840 ou encore Philosophie de la misère en 1846, Organisation du travail de Louis Blanc la même année et L’union ouvrière de Flora Tristan en 1843. Marx s’oppose à ces textes, notamment ceux de Proudhon, et rétorque en 1847 par Misère de la philosophie. Quant à Engels, dans son livre, Socialisme utopique et socialisme scientifique, paru en 1880, il parle même de fantaisie pure
!
C’est ainsi qu’apparaissent deux courants : socialistes utopistes face aux socialistes scientifiques. Quelques années plus tard, on parlera de socialistes libertaires et de socialistes autoritaires, puis enfin d’anarchistes et de marxistes.
Pourtant des hommes et des femmes vont réaliser leurs rêves utopiques. Au début du XXe siècle des militants anarchistes italiens et espagnols iront créer des colonies libertaires autogérées en Amérique latine, qui vivront le temps que les gouvernements locaux les toléreront [2]. D’autres, espagnols, réussiront à faire tourner les usines pour le compte des ouvriers et rendront la terre aux paysans. Cette expérience, essentiellement en Catalogne et en Aragon, ne durera que deux ans, prise en étau par les franquistes et les communistes.
[1] Le titre exact est : Du meilleur état de la chose publique et de l’île nouvelle d’Utopie, un précieux petit livre non moins salutaire que plaisant .
[2] Voir le film de Jean-Louis Comilli La Cecilia en 1975.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly