À l’occasion des grandes crises économiques mondiales, les gouvernements n’ont d’autres choix que de mettre en place des plans de relance pour éviter de périr corps et âme. À quel prix et au profit de qui ?
Les crises planétaires des XXe et XXIe siècles sont d’origine économique et politique. Mais pour la première fois depuis le Moyen Âge est apparue, l’hiver dernier, une crise majeure d’ordre purement sanitaire, du moins à son origine. Plus largement, dans l’histoire moderne, l’effondrement des économies a touché le système capitaliste, tout comme le communiste. Pour cela, nombre de plans de relance ont été mis en place : New deal, plan Marshall, NEP, Pérestroïka, avec des succès divers. En 1929, comme en 2008, les banquiers ont tellement spéculé que leurs châteaux de cartes se sont effondrés, plongeant des millions de travailleurs dans la précarité.
Aux États-Unis, un certain jeudi 24 octobre 1929, la Bourse de Wall Street a connu un krach cataclysmique. En quelques semaines, le taux de chômage a grimpé à 25 %. Les soupes populaires sont apparues dans les grandes villes industrielles et les paysans ont connu la famine [1]. F.D. Roosevelt (1882-1945), président nouvellement élu, a alors lancé le New deal, rompant avec le capitalisme libéral pour se rapprocher des théories de l’économiste britannique J.M. Keynes (1883-1946). Les banquiers flibustiers d’un capitalisme sauvage, sans foi ni loi, ont été sauvés par l’État, sans laisser trop de plumes.
Le président a lancé une campagne de grands travaux permettant d’embaucher deux millions de chômeurs. Il a subventionné l’agriculture, permis aux associations de consommateurs de porter plainte contre des prix trop élevés, aboli la prohibition sur l’alcool qui enrichissait les mafias et jeté les bases d’une sécurité sociale et d’un système de retraite, mais pour une toute petite minorité.
Phénomène moins connu, Roosevelt, pour contrecarrer les dérives du capitalisme sauvage, s’est appuyé sur les syndicats. Il a officialisé la liberté de se syndiquer et permis la mise en place de conventions collectives, tout en luttant contre les « syndicats maison » aux mains des nervis du patronat et de la mafia. Le taux de syndicalisation passe alors de 9 % en 1930 à 33 % dix ans plus tard.
D’une crise à l’autre
La crise de 29, touchant l’Europe dès 1930-1931, a eu comme effet dévastateur de faire exploser le système de sécurité collective mis en place au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’historien Luc Thanassecos parle de dépression économique et désintégration du pouvoir
[2]. C’est ainsi que la Seconde Guerre mondiale est en partie fille du krach de 1929 !
En 1945, une grande partie de la planète est exsangue. L’Europe est détruite. Il faut un nouveau plan de relance. Une nouvelle fois, il vient des États-Unis : le fameux plan Marshall. Mais cette fois il ne s’agit pas simplement de relancer l’économie. Les arrière-pensées politiques sont évidentes car nous sommes dans les prémices de la guerre froide.
Washington veut stopper l’emprise de Staline sur l’Europe. Truman, le successeur de Roosevelt, lance le 12 mars 1947 sa doctrine d’endiguement du communisme. Pour ce faire, il met en œuvre son volet économique le 5 juin, le plan Marshall. Il s’agit d’un vaste plan d’aide économique pour relever toute l’Europe de ses ruines.
Les Américains pensent que la prospérité économique va éloigner les travailleurs des sirènes des partis communistes, sortis renforcés de leur participation à la Résistance. Tous les pays européens, sauf l’Espagne de Franco, sont invités à la conférence de Paris des 12-16 juillet 1947. Flairant le piège, Staline interdit aux pays de l’Europe de l’Est et à la Finlande d’y participer. L’aide américaine n’ira donc qu’à l’Europe occidentale, permettant ainsi la reconstruction de ces pays [3].
L’URSS aussi aura ses plans de relance, sans succès. En 1921, la Russie, au sortir de la guerre civile, est exsangue et la famine fait des ravages. Cette année-là Lénine lance officiellement la NEP (Nouvelle économie politique). Mais en réalité elle a été pensée et mise en place par Nicolaï Boukharine (1888-1938).
Les bolcheviks redonnent la terre aux paysans et libéralisent le petit commerce. Ce plan de relance permet à la jeune URSS de sortir économiquement la tête de l’eau. En 1928, Staline va la lui replonger. En 1985, Gorbatchev va lancer sa NEP, appelée Pérestroïka (Reconstruction). Idem, terre aux paysans, ouverture des petits commerces et autonomie des banques et des grandes entreprises d’État. Mais le système était tellement rongé par la bureaucratie corrompue qu’il ne pouvait être réformé.
[1] John Steinbeck : Les Raisins de la colère.
[2] Luc Thanassecos : Chronologie des relations internationales 1914-1971, éditions Mouton, 1972, 690 pages.
[3] Plus de 10 milliards de dollars sont donnés et prêtés d’avril 1948 à juin 1951, dont 2,7 pour le Royaume-Uni, 2 pour la France, 1,2 pour la RFA, 1 pour l’Italie, 0,9 aux Pays-Bas, 0,5 à la Belgique, 0,5 à l’Autriche, 0,4 pour la Grèce et 116 millions pour des destinataires « non désignés ».
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly