En octobre dernier, les Français apprenaient qu’ils étaient sous le régime du couvre-feu. Le protocole de lutte contre la Covid-19 a fait ressurgir la mesure d’exception, affichant cette fois sa visée sanitaire. Inédit dans l’histoire guerrière de cette disposition restreignant les libertés.
Au départ le couvre-feu n’est en rien un terme guerrier. Au Moyen Âge les maisons étaient en bois et on s’éclairait à la bougie, se chauffait et cuisinait au feu de bois. Nombre de villes ont été détruites à cause d’une bûche laissée dans l’âtre pendant la nuit pour se réchauffer. Ainsi, dès le XIIe siècle les autorités municipales imposent de« couvrir le feu », c’est-à-dire d’éteindre les bougies, les lanternes et les braises dans les cheminées le soir venu. Le couvre-feu militaire est apparu à la fin du XIXe siècle. En France, ce sont les Prussiens qui l’ont imposé dans les villes occupées en 1870. Il s’agit de confiner les populations chez elles dès la tombée de la nuit, tout simplement parce que la résistance peut plus facilement s’organiser, passer inaperçue et attaquer l’occupant à la faveur de l’obscurité. Les nazis imposeront d’ailleurs le couvre-feu dans la zone occupée française dès le 14 juin 1940. Le braver est risqué : emprisonne-ment, voire être fusillé sur place. François Truffaut en a même fait un film : Le Dernier Métro.
La guerre d’Algérie
Mais si les couvre-feux avaient jusque-là été imposés par les occupants, lors de la guerre d’Algérie c’est cette fois le gouvernement français qui le décide. La loi d’avril 1955 permet d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté
. De 1955 à 1962, cette mesure d’exception sera imposée par trois fois en Algérie. Mais aussi en octobre 1961 par le préfet de police de Paris, le triste-ment célèbre Maurice Papon, annonçant, après une première fois déjà en 1958, qu’il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs musulmans algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne
. Ce couvre-feu se soldera par un drame lors de la manifestation du FLN le 17 octobre 1961 faisant plus de cent morts. Vingt-quatre ans après, l’État ressortira la mesure, en janvier 1985 en Nouvelle-Calédonie, à la suite des violences entre les Kanaks du FLNKS et les Caldoches. Début novembre 2005, alors qu’à la suite de la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois les banlieues s’embrasent, donnant lieu à plusieurs nuits d’émeutes urbaines, l’exécutif réactive la loi d’avril 1955 permettant aux préfets et aux maires de décider d’un couvre-feu. Un décret considérera que vingt-cinq départements sont potentiellement concernés, le couvre-feu sera toute-fois en vigueur dans peu de villes et de départements.
En 2014, des couvre-feux ont été appliqués aux mineurs à partir de treize ans dans certaines villes à cause de la multiplication d’actes de vandalisme et du développe-ment du trafic de drogue : Béziers, Asnières, Montgeron, Lisieux, Cézac, Nice, Orléans, Cannes… Sans grand succès.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly