Demander en justice la requalification d’une succession de CDD en CDI, demande du courage et une certaine maîtrise, ou du moins nécessite d’être accompagné, tant le parcours est semé d’embûches.
La Cour de cassation en fait une démonstration dans un arrêt du 12 juin 2024 (Cass. soc., 12-6-24, n°22-20473).
Les faits sont les suivants : un salarié est engagé comme chef de rang par une société organisant des événements. Il sera en CDD de 2013 à 2019. Le 16 octobre 2019, le salarié saisit la juridiction prud’homale pour demander la requalification de sa relation contractuelle en CDI.
Les juges du fond font droit à la demande du salarié, et requalifient les CDD en CDI pour toute la période, soit de 2013 à 2019.
L’employeur fait grief aux juges d’avoir statué en ce sens, et forme donc un pourvoi en cassation.
A l’appui du pourvoi, l’employeur rappelle, d’une part, la prescription biennale de l’action portant sur l’exécution du contrat de travail (ce qui est le cas d’une action en requalification), et d’autre part, le point de départ du délai de prescription de l’action en requalification fondée sur une absence de contrat écrit – qui est le jour de la conclusion du contrat.
En l’espèce, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 16 octobre 2019, la requalification ne pouvait donc porter que jusqu’ au 17 octobre 2017 selon l’employeur. Or, pour les deux années ayant précédé la saisine, l’employeur justifiait de contrats écrits signés par le salarié.
La Cour de cassation donne raison à l’employeur. Elle casse l’arrêt de la cour d’appel et fonde sa solution sur les articles L 1471-1, L 1242-12 et L 1245-1.
Par la combinaison de ces trois textes, il en résulte que l’action en requalification d’un CDD en CDI, lorsqu’elle est fondée sur une absence de contrat écrit, court à compter de l’expiration du délai de deux jours ouvrables laissé à l’employeur pour transmettre le contrat de travail au salarié. Il résulte également de ces textes, que lorsque l’action est reconnue fondée, le salarié peut se prévaloir d’une ancienneté à compter du premier contrat irrégulier, non atteint par la prescription.
On déduit de cet arrêt deux choses. La première est qu’un salarié engagé en CDD doit avoir en tête que s’il ne se voit pas remettre un contrat écrit au bout de deux jours ouvrables suivant l’embauche, il dispose de 2 ans pour agir à compter de l’expiration de ces 2 jours. Le salarié doit donc mémoriser la date d’embauche, et les deux jours qui suivent.
Enfin, « coup de sabre » porté par la Cour de cassation, lorsque l’action en requalification est fondée sur une absence de contrat écrit, la portée de la requalification pour ce qui est de l’ancienneté, ne peut excéder 2 ans.
La solution n’est pas inédite. La Haute juridiction avait déjà jugé en ce sens dans une série d’arrêts (Cass. soc., 11-5-23, n°20-22472 ; Cass. soc., 15-3-23, n°20-21774).
Ce qui est fatal pour le salarié c’est la période limitée pour laquelle il est possible de remonter pour l’ancienneté. En effet, en énonçant que le salarié peut se prévaloir d’une ancienneté à partir du premier contrat irrégulier non atteint par la prescription, la Cour fait perdre au salarié le bénéfice d’une ancienneté qui peut être bien supérieure à deux ans ; ce qui entraîne une conséquence directe en termes de rappel de salaires, ou d’indemnité de licenciement.
La solution rendue n’est donc, de toute évidence, pas favorable au salarié, mais à l’employeur, lequel voit le montant de son addition, limité.
C’est une mise en garde formulée à l’encontre du salarié. Si celui-ci compte agir contre son employeur pour absence de contrat écrit, il doit garder en tête comme point de départ pour agir, les deux jours ouvrables qui suivent l’embauche. Le salarié doit également savoir que s’il compte agir sur le fondement d’absence d’écrit, et que sa relation contractuelle perdure durant plusieurs années, malheureusement pour lui, les rappels de salaires et les diverses indemnités seront limitées à deux années en arrière.