Lors de la conférence nationale sur l’école inclusive organisée par la FNEC FP FO le 17 novembre, 230 délégués issus de tout le territoire ont dressé un tableau bien sombre de l’inclusion à tout prix. Souffrance, manque de reconnaissance… Enseignants, AESH ou encore personnels administratifs témoignent des difficultés de cette inclusion, qui plus est sans moyens supplémentaires. Un appel à une journée nationale de mobilisation le 25 janvier a été lancé.
Au fur et à mesure que les prises de paroles se succèdent, les mots « souffrance », « maltraitance » et « situations catastrophiques » se répètent. Le 17 novembre à la Confédération, 230 délégués venus de toute la France se sont réunis pour une conférence nationale sur l’école inclusive, à l’initiative de la fédération FNEC FP FO. Et pour le moins, ces délégués ont dressé un bilan plus que négatif de la loi Boisseau-Montchamp de 2005 qui prévoit la scolarisation en établissement ordinaire de tous les enfants.
Nous montrons également notre opposition à l’acte 2 de l’école inclusive qui se prépare, précise Clément Poullet, secrétaire général de la FNEC FP FO. Un appel à une journée de mobilisation nationale le 25 janvier a été lancé. Celle-ci sera préparée dans un cadre interprofessionnel avec les fédérations de l’éducation nationale et du médico-social, et par ailleurs aussi avec les parents d’élèves. Tant ces secteurs que bien sûr les parents d’enfants en situation de handicap sont impactés par l’école inclusive, laquelle induit des situations désastreuses. Ce dont ils sont venus témoigner le 17 novembre lors de cette journée organisée par FO.
La destruction des établissements spécialisés
Car derrière l’inclusion systématique, se cache la destruction des établissements spécialisés, pourtant indispensables pour la scolarité de tous, au même titre que l’école publique, s’indigne Patricia Drevon pour la confédération. A la tribune, des professionnels du secteur médico-social témoigneront de la dégradation de leurs conditions de travail. Tous comme vous, nous sommes concernés par l’acte 2 de l’école inclusive, raconte Pascal Corbex, secrétaire général de la FNAS FO. L’organisation du manque de moyens et de personnels qualifiés va à l’encontre de l’idée même de service public.
Yann Le Foll, venu de Saint-Brévin en Loire-Atlantique, témoigne de la situation que traversent les établissements médico-sociaux de Mindin. Nous avons plusieurs antennes pour accueillir les personnes en situation de handicap, et ce quel que soit leur âge. Le site a notamment un IME qui a des partenariats avec les écoles maternelles du coin. Toutefois, depuis quelques années, le site est menacé de délocalisation. Encore un signe de la volonté de dégrader la place de ces établissements spécialisés. Et derrière cette politique, il y a un vrai plan social, souligne Agathe Roux Michollet, de Haute Savoie. L’ancienne éducatrice spécialisée devenue AESH précise : sous couvert de bienveillance, le gouvernement nie le handicap en limitant l’accompagnement humain. Le gouvernement a prévu que, selon un système hybride, cent IME « pilote » ouvriraient d’ici 2027 au sein d’établissements ordinaires, a priori au sein de collèges. Le cahier des charges n’est pas encore défini.
Or, les établissements spécialisés sont « indispensables », tranche la secrétaire confédérale Patricia Drevon. Il faut mettre les moyens pour donner un accueil correct à ces enfants, en IME comme à l’école maternelle. Car la destruction des structures spécialisées impacte l’école publique. Dans le Val-de-Marne, le délai moyen pour avoir une place en IME est de 4 ans, témoigne Samia Ait Elhad, du Snudi FO. En Isère, 500 enfants attendent une place en IME, illustre Fabien Ducloy du Snudi FO-38. Ils sont donc scolarisés à l’école ce qui entraîne beaucoup de souffrance pour eux, pour les enseignants et pour les autres enfants. Arrêtons cette maltraitance !
La bienveillance, elle est de notre côté, contrairement à ce qu’ils disent
En Seine et Marne, Bruno Cottalorda du Snudi FO 77 évoque le cas d’un enfant, entré en moyenne section, sans avoir été scolarisé auparavant, et sans être accompagné par un AESH malgré une notification. Comment faire cours avec un enfant qui ne parle pas, qui crie, monte sur les tables, cherche à se sauver et lance des objets ? Cet enfant a besoin de soins, pas de pédagogie.
Dans beaucoup de classes où travaillent enseignants et AESH, leur travail se limite à assurer la sécurité car il y a des enfants incontrôlables, raconte Sandra Blangy de Lille. Elle enseigne dans un collège ou la 6e Segpa est devenu une 6e inclusion avec 30 élèves. Les élèves en situation de handicap sont pris en charge en petit groupe pour quelques heures par semaine. En plus d’être insuffisant, cela renforce leur stigmatisation.
Les enseignants sont nombreux à évoquer une culpabilisation de la part de leur hiérarchie. Lorsqu’ils évoquent les difficultés avec un enfant en situation de handicap, on leur rétorque qu’ils font mal leur boulot, c’est un management culpabilisant, s’indigne Jérôme Thiébaut en évoquant la pression de cette même hiérarchie qui se constate dans les visites des personnels ressources de l’académie. Pour celui qui a le mandat de la FNEC FP FO sur le sujet de l’éducation inclusive la bienveillance, elle est de notre côté, contrairement à ce qu’ils disent. Nous, nous voulons un accompagnement et un soutien plus fort pour ces élèves qui sont les plus fragiles.
Des AESH toujours sans statut
Aux côtés des enseignants, les AESH portent également le poids de cette inclusion systématique. Dans notre établissement, il y avait un élève particulièrement difficile. Les AESH de l’établissement le prenaient en charge à tour de rôle tellement c’était épuisant. Il mordait beaucoup, l’une d’elle me disait que les jours où elle s’occupait de lui, elle mettait deux pulls pour se protéger…, raconte Bruno Cottalorda. Les témoignages des AESH évoquent la dégradation de leurs conditions de travail depuis 2005, ainsi celui de Nathalie de Saône et Loire. En 12 ans de carrière, j’ai vu la situation se dégrader avec l’augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap mais sans l’augmentation des moyens pour faire face. Je suis comme un pion sur l’échiquier, allant d’un établissement à l’autre, d’un élève à l’autre. J’apprends chaque année mon affectation la veille de la rentrée.
Agathe Roux Michollet, l’ancienne éducatrice spécialisée devenue AESH indique, critique : lorsque l’on m’a recrutée, j’ai effectué la formation obligatoire de 60 heures qui m’a paru légère face aux compétences requises pour ce métier. Surtout, la jeune femme souligne un métier précaire On est au service de l’autre, dans un service de l’État, et l’État ne nous reconnaît même pas… Une absence de reconnaissance que constate également Tom Deschepper du SNFOLC-75 et AESH dans un collège du 13e arrondissement de Paris. 57 AESH de la capitale n’ont pas été payés depuis la rentrée. Lorsque l’on a posé la question au rectorat, on nous a rétorqué Sur 1 000 AESH que compte la capitale, ce n’est pas beaucoup. Pour eux, nous ne sommes que des chiffres !
Samir Alioua, de la FCPE Île-de-France, insiste sur la nécessité d’un vrai statut et d’une vraie rémunération pour ces agents qui s’occupent de nos enfants. Des mobilisations voient le jour contre la précarité des AESH, comme le témoigne Charles Thonon, AESH dans le Bas-Rhin. Face à notre isolement, nous avons créé une conversation WhatsApp entre AESH de notre académie. On a vu naître une envie de s’engager. Cela s’est traduit par l’adhésion à FO de 170 AESH. Et le 3 octobre dernier, nous nous sommes retrouvés sous la bannière du syndicat devant le rectorat.
Toute l’école est impactée par l’inclusion systématique
Dans le Second degré, les établissements d’enseignement professionnel et agricole accueillent une part d’élèves en situation de handicap plus importante que celle accueillie dans les autres lycées de l’éducation nationale. Pour les lycées agricoles, la question de l’inclusion se pose aussi hors du temps scolaire puisque beaucoup d’élèves sont internes, souligne Christine Heuzé, secrétaire générale de FO-Enseignement agricole. C’est une charge importante pour les équipes et les camarades de ces jeunes. Alors que la voie professionnelle accueille cinq fois plus de jeunes en situation de handicap, et notamment dans les CAP, on n’a pas les moyens supplémentaires pour faire des petits groupes et les accompagner au mieux, déplore Laurent Hisquin du Snetaa-FO.
Outre les enseignants, d’autres personnels de l’éducation nationale sont impactés par l’école inclusive, notamment le personnel médical. Notamment les infirmières scolaires, précise Sandra Marques, qui exerce dans le Gers. Il y a une incohérence administrative, avec une prime spécifique pour le personnel infirmier qui s’occupe d’enfants lourdement handicapés. Mais dans la grande majorité des cas, lorsque les collègues demandent cette prime, le ministère leur refuse !, s’indigne l’infirmière scolaire. Si le manque de professionnels de santé au sein de l’école n’est pas nouveau, l’école inclusive souligne ce manque et participe à l’aggraver. Il y a un médecin scolaire pour 20 000 élèves, rappelle Christophe Decoker, du Smeden FO. On assiste à une libéralisation de la prise en charge du handicap avec l’entrée de professionnels de santé dans l’éducation. Ce qui contribue à la disparition de la médecine scolaire.
Représentante du Spaseen-FO, Laure Chabardy Banse témoigne de l’impact de l’école inclusive sur les personnels administratifs de l’éducation nationale. Cela se traduit notamment par une augmentation des charges de travail. Les secrétariats de direction doivent absorber des missions supplémentaires, notamment les contrats et la gestion des AESH, mais sans moyens supplémentaires. Alors que ces personnels administratifs ne reçoivent aucune formation sur le handicap, on se retrouve avec le chef d’établissement à décider de la répartition des heures pour les AESH mutualisés.
Une régression des droits, dans une simple logique d’austérité
Les inquiétudes se concentrent également sur le PLF 2024, qui risque d’aggraver encore la situation. Au lendemain d’Arras (un enseignant tué en octobre dernier, Ndlr), Gabriel Attal a dit vouloir protéger l’école. Mais aujourd’hui, il impose à coup de 49.3 un budget qui prévoit la suppression de 2 500 postes pour la rentrée prochaine, s’indigne Clément Poullet. Jérôme Thébaut pointe l’article 53. Le texte budgétaire prévoit la création des pôles d’appui à la scolarité (PAS), qui doivent remplacer progressivement les Pial. C’est une reprise en main de l’Éducation nationale sur les notifications MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées), dénonce le militant. Dans ce contexte-là, le rectorat sera juge et parti puisqu’il risque de décider des heures d’accompagnement pour les enfants selon les AESH qu’il a. Et comment les personnels de rectorat pourraient connaître le handicap comme ceux de la MDPH, qui sont des professionnels ?, s’interroge Patricia Drevon.
Plus globalement, comme les précédents projets de budgets, celui pour 2024 ne fait pas exception et montre que la place budgétaire consacrée au handicap se réduit. On assiste à une régression des droits de ces personnes pour la simple raison que cela coûte cher, dans une simple logique d’austérité, lance Fabien Ducloy du Snudi FO-38. Venue de Saône et Loire, Frédérique Ducerf résume la situation : Les MDPH permettent de voir combien d’enfants ont des besoins particuliers, et de constater après que les enfants notifiés n’ont finalement pas d’accompagnement ! Et on détruit cet accompagnement. En fait, lorsque le thermomètre indique de la fièvre, la réponse de l’État n’est pas d’aller chez le médecin ou à la pharmacie mais de casser le thermomètre.
Un appel à une manifestation nationale le 25 janvier a été lancé pour la défense de l’enseignement spécialisé et adapté, le maintien et la création des places nécessaires dans les établissements sociaux et médicosociaux, un statut de fonctionnaire et un vrai salaire pour les AESH et le retrait de l’acte 2 de l’École inclusive et de l’article 53 du projet de Loi de Finances créant les PAS.