– Jean-Claude Mailly, les chiffres du chômage sont tombés jeudi soir : ils ne sont pas bons… François Hollande parle d’une « évidente décélération ». Est-ce qu’on peut le croire ?
Ca dépend avec quelles lunettes on voit les choses. Effectivement, il y a l’effet du bug du mois dernier qui joue sur ces statistiques de chômage, mais en même temps, on est dans une période de croissance économique faible, et ça se traduit par une augmentation du chomage. Alors on peut dire qu’il y’a une « décélération » de l’augmentation, mais ça devient compliqué. En tout cas le chômage augmente, c’est ce qu’il faut retenir.
– Est-ce que vous croyez au renversement de courbe promis depuis des mois par le chef de l’Etat ?
J’ai toujours été sceptique là-dessus. A un moment donné, sur un mois, hors bug informatique, il peut y avoir, du fait des emplois aidés, une stabilisation en fin d’année. Mais pour que le chômage baisse sérieusement, il faut que ça soit sur plusieurs mois. Il faut que ce soit une vraie tendance et là on en est vraiment loin.
– L’emploi c’est d’abord la croissance, comment on fait pour relancer la croissance ?
Déja, il n’aurait pas fallu signer le pacte budgétaire européen et se mettre dans l’entonnoir de l’austérité. Ensuite il faut soutenir plus activement l’activité économlique. Quand on regarde les leviers dont dispose le gouvernement, par exemple sur le pouvoir d’achat, il n’en a utilisé aucun depuis mai 2012.
– Quels leviers par exemple ?
Le SMIC ! C’est un levier à disposition du gouvernement, il peut très bien décider de donner un coup de pouce au SMIC, ce qu’il n’a pas fait depuis qu’il est en place. L’Etat ne l’a pas fait non plus en tant qu’employeur, vis-à-vis de ses agents, idem dans les collectivités locales ou les hôpitaux. L’Etat pouvait augmenter le point d’indice, de salaire. Là, en 2014, on sera à la cinquième année de gel du point d’indice. Je ne dis pas que ça règle tout le problème, mais ce sont des éléments qui permettent de soutenir la consommation, qui patine. Les gens commencent à tirer sur leur épargne pour pouvoir consommer.
– Est-ce que le travail du dimanche, dont on parle beaucoup en ce moment, pourrait faire baisser le chômage ?
Non, non. Pour que le travail du dimanche fonctionne sur le plan économique, il faut que vous soyiez ouvert et que tous vos concurrents soient fermés. A partir de là, vous leur piquez de là clientèle. Mais si tout le monde est ouvert, ça répartit la clientèle, et ça ne marche pas. On [le patronat] utilise des chiffres qui viennent d’études américaines, on fait des extrapolations, tout ça c’est du pipeau ! Car il peut aussi y avoir des pertes d’emploi avec les ouvertures dominiciales. Notamment dans les commerces de proximité. Vous pouvez ouvrir des grandes surfaces, et puis vous avez les commerces des villes ou des villages qui ferment. La règle le dimanche, c’est la fermeture (sauf dans les loisirs, les hopitaux, etc.). Dans le commerce, il faut fermer le dimanche, c’est la règle. L’ouverture c’est l’exception. Ce qui justifie d’ailleurs que les salariés qui travaillent le dimanche gagnent plus. Si c’est banalisé, ils ne gagneront pas plus.
– La réforme des retraites a été votée par les députés. C’est fini, circulez y’a rien à voir ?
Ah non, ça a été voté par les députés, mais juste ! A peine une vingtaine de voix d’avance pour une grande réforme soi-disant juste, c’est pas terrible. Je ne suis pas sûr que le Sénat la vote…
– Le texte a été rejeté en commission au Sénat il y a deux jours
Je ne suis pas sûr que la réforme passe au Sénat, même si l’Assemblée aura le dernier mot. Je pense que le gouvernement fait une erreur, que je qualifie d’historique, parce que le Président de la République ne peut pas dire : « ma priorité c’est la jeunesse » et dire dans le même temps aux jeunes « vous allez avoir une retraite, peut-être, mais bosser jusqu’à 67 ans ». Moi, j’y vois une contradiction.
– Dans le département, il y’a une problématique qui inquiète beaucoup, c’est la concurrence des salariés étrangers qui viennent travailler en France. Que peut-on faire pour lutter contre ça ?
Ce sont les modalités de la construction européenne qui sont en cause. Nous sommes européens à Force Ouvrière, mais critiques sur la manière dont les choses se font, et sur ce qu’on appelle la « directive détachement ». Il faut imposer que tout salarié européen qui va travailler dans un autre pays européen ait le même niveau de salaire, de protection sociale, et de conditions de travail. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Vous avez des agences de travail temporaire installées dans d’autres pays, ex-Europe de l’Est notamment, Roumanie et autres, qui passent des accords avec des chefs d’entreprises, les salariés gagnent 400 ou 500 euros par mois, les agences de travail temporaires se font du bénéfice, et en même temps ça fait du dumping social. C’est tout ça qu’il faut interdire.
– Un mot sur cette grève annoncée dans le monde du foot, les clubs qui protestent contre la taxe à 75%. Est-ce que c’est compréhensible ?
La taxe à 75% c’est quand même pas terrible, c’est pas une grande réforme fiscale. Ce qu’on peut comprendre, c’est qu’il y a des gens qui gagnent très bien leur vie, mais sur une période tres courte. Il ne faut pas l’oublier. On peut toujours discuter du pognon dans le foot, et il y en a trop, c’est évident, mais les carrières sont courtes. Je pense qu’il faut une grande réforme fiscale, que tout le monde paie selon ce qu’il gagne, et que plus on gagne, plus on paye. C’est l’objectif, et il faut que tout le monde soit concerné. Là on est sur du « touchisme » comme on dit en matière fiscale.
– Ce matin sur France Bleu Roussillon, on ouvre le débat sur l’utilité des syndicats. En quoi votre organisation est utile ?
Elle est utile d’abord syndicalement : nous négocions des accords. Si le syndicat n’existait pas, y’aurait pas de système d’assurance-chômage comme il existe, pas de Sécurité Sociale. Nous avons aussi dans les périodes de crise, et je parle de tous les syndicats français, un rôle important de résistance, quand on s’exprime. Quand il y a des difficultés dans les entreprises, dans un secteur, on dit les choses. Si on n’existait pas, je ne sais pas où la société en serait.
– Vous avez encore les moyens de faire plier les patrons ou le gouvernement ?
Bien sûr ! Il faut faire la distinction entre un dossier particulier, où on peut ne pas gagner (ça c’est la vie), et sur le temps long. Les pays où il n’y a pas de syndicats, ce sont des dictatures. Les syndicats quand ils existent, ça suppose que le pays soit une démocratie.