Dans un monde en proie à une crise sans précédent depuis le début du 20e siècle, crise sanitaire, mais aussi par contre-coup économique et sociale, les États sont appelés à la rescousse.
Signe des temps, le mot « nationalisation » n’est plus totalement tabou. L’Italie a ainsi annoncé la renationalisation de sa compagnie aérienne Alitalia dès le 17 mars. Le gouvernement britannique a repris temporairement le contrôle des lignes ferroviaires. L’Allemagne s’est donné la possibilité de nationaliser partiellement et provisoirement certaines entreprises. Pour ce faire et pour financer d’autres mesures destinées à faire face aux conséquences économiques de la pandémie, l’État fédéral allemand, de façon totalement inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, a fait sauter tous ses verrous budgétaires et violé sa propre règle constitutionnelle du frein à l’endettement
. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral a fait savoir le 26 mars qu’il pourrait prendre des participations dans les compagnies aériennes.
Le marché est mis sur pause
Interrogé par l’Agence France-Presse, l’économiste en chef de l’assureur Allianz, Ludovic Subran, s’inquiétait il y a quelques jours de la place redonnée aux États : C’est très bien que les acteurs publics aient fait ces annonces d’aides, mais vu la taille de ces interventions, on a du coup une économie administrée dans beaucoup d’endroits et sur beaucoup de segments. L’État remplace tous les échanges, le marché est mis sur pause […]. Les signaux de prix, le baril de pétrole… Les marchés ne donnent plus vraiment d’informations.
L’obsession de tous les États est que l’activité puisse redémarrer après la crise […] et ils sont les seuls à pouvoir jouer un rôle à ce point systémique
, a souligné de son côté Pascal Cotte, économiste au sein du cabinet de conseil en gestion Boston Consulting Group (BCG).
Nous n’hésiterons pas à utiliser la pleine autorité du gouvernement pour faire face à cette crise
, Donald Trump, le 27 mars
De fait, les États qui se sont de plus en plus désengagés au fil des dernières décennies, notamment en matière de stratégie industrielle et de soutien aux secteurs publics, sont aujourd’hui amenés à multiplier leurs interventions dans le cadre de la lutte contre la propagation du Coronavirus.
Et cet infléchissement de trajectoire concerne aussi les gouvernements réputés être les plus libéraux. Le 27 mars, après tout de même quelques jours de tergiversations, le président américain Donald Trump s’est résolu à adopter un décret qui contraint le géant du marché automobile General Motors à produire des respirateurs artificiels dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus. L’administration américaine s’est ainsi décidée à utiliser une loi datant de la guerre de Corée (1950-1953), le Defense Production Act, qui, dans des circonstances exceptionnelles, permet de mobiliser le secteur privé industriel pour les besoins de la sécurité du pays. Nous n’hésiterons pas à utiliser la pleine autorité du gouvernement fédéral pour faire face à cette crise
, a lancé Donald Trump, une fois sa décision prise.
Face à la crainte que les marchés financiers fassent défaut, les banques centrales entrent en scène
Mais les États sont avant tout appelés à la rescousse pour absorber
les pertes du secteur privé, comme l’a rappelé l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, dans une récente tribune publiée par le Financial Times.
Les vingt premières puissances économiques ont donc promis d’injecter plus de 5 000 milliards de dollars dans l’économie, à l’issue d’un sommet virtuel du G20, réuni en urgence le 26 mars. Elles le feront dans le cadre de politiques fiscales ciblées, de mesures économiques et de plans pour contrer les impacts sociaux, économiques et financiers de la pandémie
.
Pour tenir ces promesses, les États vont devoir s’endetter, à l’instar de nombreuses entreprises. Dans ce contexte, les banques centrales ont pour tâche, elles, de tout faire pour leur permettre de le faire dans les meilleures conditions possibles tout en rassurant les marchés financiers et éviter qu’ils ne freinent les possibilités de crédit par crainte de ne pouvoir être remboursés.
La Banque centrale des États-Unis, la Fed, a ainsi commencé à inonder le marché financier de liquidités et de dollars dès le 16 mars et a baissé ses taux directeurs, désormais compris entre 0 % et 0,25 %. Le 31 mars, elle a annoncé le lancement d’une nouvelle facilité d’accès à des liquidités en dollars pour les banques centrales étrangères. Celles-ci pourront échanger leurs avoirs en bons du Trésor américain contre des prêts de dollars au jour le jour.
La Banque centrale européenne (BCE) va ainsi débloquer 750 milliards d’euros d’ici la fin 2020, en achats de dettes publiques et privées. En clair, la BCE garantit ainsi aux banques le remboursement des emprunts contractés auprès d’elles par les États et les entreprises, à hauteur de 750 milliards d’euros. Pour ce faire, la BCE a renoncé à la limite qu’elle s’était jusqu’ici imposée de ne pas détenir plus de 33 % du stock de dette en circulation pour chaque État.
La somme de 750 milliards d’euros peut paraître considérable. En réalité, on peut craindre qu’elle ne soit insuffisante, sachant par exemple que la dette italienne représente déjà à elle seule 2 500 milliards d’euros.
Les critères de convergence économique de l’Union européenne volent en éclats
Un autre levier est envisagé. Le Mécanisme européen de stabilité (MES), créé en 2012, peut en théorie prêter jusqu’à 500 milliards d’euros aux pays en crise. En pratique, il ne lui reste que 450 milliards d’euros dans la mesure où environ 80 milliards de prêts passés n’ont pas encore été remboursés. Surtout, ses statuts stipulent qu’il ne peut accorder des prêts qu’aux États qui s’engagent à réduire leurs déficits (comme cela a notamment été imposé à la Grèce dans le sillage de la crise de 2008). Or, la nécessité de lutter contre la pandémie oblige au contraire les États à sortir des clous budgétaires imposés jusqu’ici par les traités européens.
La Commission européenne a d’ailleurs dû annoncer, dès le 20 mars, la suspension du pacte de stabilité qui contraignait jusqu’ici les États membres de l’Union européenne à respecter coûte que coûte les critères de convergence économique, à savoir : un déficit public et une dette publique respectivement inférieurs à 3 % et à 60 % du PIB.
Autre idée défendue par certains États membres, notamment l’Italie et la France, mais vigoureusement rejetée par d’autres, à commencer par l’Allemagne : l’émission de Coronabonds, c’est-à-dire d’emprunts publics collectifs pour permettre aux États de mutualiser leur dette. Pour l’instant, les dissensions autour de cette question ne font que souligner le manque d’unité et de solidarité au sein de l’Union européenne. Un manque qui, lui, résiste bien à la pandémie.
Des États appelés à la rescousse dans le cadre de la lutte contre la pandémie, des marchés financiers à rassurer, des rivalités qui persistent, des milliers de milliards à trouver… L’affaire n’est pas simple. Qui plus est, une autre question émerge : quelles traces laissera cette crise une fois la pandémie enrayée ?
Les pays pauvres endettés devront se contenter d’un répit
Le 25 mars, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont demandé aux créanciers bilatéraux des pays les plus pauvres de geler les remboursements de dettes
, afin que ces pays puissent dégager de l’argent pour combattre la pandémie. Ce répit
permettra d’analyser la situation et les besoins de chaque pays, ont précisé les deux institutions de Bretton Woods dans une lettre commune. Elles ont également demandé au G20 de les charger de cette tâche d’évaluation, de façon à faire la liste des pays éligibles à une restructuration de leur dette.
Les banques européennes vont-elles renoncer à verser des dividendes à leurs actionnaires ?
Le 27 mars, le SESF (Système européen de supervision financière) a appelé les grandes banques de la zone euro à ne pas rémunérer leurs actionnaires pour les années 2019 et 2020, au moins jusqu’au 1er octobre 2020
. Les banques sont également invitées à ne pas racheter leurs propres actions, ce qui est un autre moyen de rémunérer leurs actionnaires durant la pandémie.
Renoncer à ces dividendes pourrait libérer 30 milliards d’euros de capital, a estimé l’institution européenne.
Les banques françaises à la traîne
Comment les banques ont-elles réagi à cette demande ? Le géant espagnol Santander a annoncé vouloir revoir le dividende
versé pour l’année 2020 et propose un dividende final unique
en 2021, précisant qu’aucun acompte ne serait versé en 2020. Plusieurs groupes européens se sont engagés depuis à ne pas rémunérer leurs actionnaires au moins jusqu’à octobre, à l’instar du groupe allemand Commerzbank, des trois principaux groupes bancaires néerlandais, ING, ABN Amro et Rabobank, ou encore de Banca Generali et UniCredit en Italie.
En revanche, les banques françaises, parmi les plus solides de la zone euro, rechignent visiblement à prendre de tels engagements. BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole ont indiqué avoir pris connaissance de ces recommandations mais n’ont pris aucun engagement à ce jour.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly