Dans plusieurs arrêts rendus le 11 décembre 2019, la Cour de cassation apporte des précisions très importantes en matière de représentation équilibrée femmes/hommes. Certaines nouvelles règles bouleversent les solutions jusqu’alors arrêtées !
Dorénavant, la Cour de cassation considère que si, en application de l’article L.2314-32 du code du travail, la constatation par le juge, après l’élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 2314-30 entraîne la seule sanction de l’annulation de l’élection d’un nombre d’élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d’hommes que celle-ci devait respecter, le tribunal d’instance peut être saisi, avant l’élection, d’une contestation relative à la composition des listes de candidats en application de l’article L. 2314-30 du même code et déclarer la liste électorale irrégulière au regard de ce texte, dès lors qu’il statue avant l’élection, en reportant le cas échéant la date de l’élection pour en permettre la régularisation
(Cass. soc., 11-12-19, n°18-26568).
Autrement dit, la Cour de cassation admet que les questions de « parité » peuvent faire l’objet d’un contentieux préélectoral contrairement à ce qu’elle avait laissé supposer dans une précédente décision.
Dans une affaire FO, elle juge que l’annulation, en application des dispositions de l’article L. 2314-32 du code du travail, de l’élection d’un candidat ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections est sans effet sur la condition du score électoral personnel requise, sous réserve d’un certain nombre d’exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2143-3, par le premier alinéa de ce même texte
(n°18-19379). En d’autres termes, si l’élu perd son mandat pour non-respect de la « parité », cet évènement n’a aucune incidence sur sa capacité à être désigné comme DS.
Dans cette même affaire, la Cour maintient sa position traditionnelle excluant la possibilité de présenter un candidat unique en présence d’une élection comportant au moins deux postes à pourvoir : lorsque trois postes sont à pourvoir, l’organisation syndicale est tenue de présenter une liste conforme à l’article L. 2314-30 du code du travail, c’est-à-dire comportant nécessairement un homme et une femme, cette dernière au titre du sexe sous-représenté dans le collège considéré
(Cass. soc., 11-12-19, n°18-19379). Sauf dans le cas exceptionnel où un sexe est ultra-minoritaire (pourcentage ne donnant droit à aucun siège en application de la règle de l’arrondi), une liste doit toujours comporter au moins un représentant de chaque sexe.
Traditionnellement, les Hauts magistrats considèrent que lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l’article L. 2314-30 du code du travail, c’est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté
(les dispositions de l’article L. 2314-30 du code du travail étant d’ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger). Dans un arrêt du 11 décembre 2019, la Cour de cassation apporte cependant une exception à cette règle : lorsque l’application des règles de proportionnalité et de l’arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l’un ou l’autre sexe il résulte de l’article précité que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues
(n°18-23513).
En d’autres termes, si les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste comportant nécessairement un homme et une femme lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, elles peuvent, lorsque la proportion de femmes et d’hommes dans le collège abouti à exclure l’un des deux sexes, présentées soit deux candidats du sexe majoritairement représenté, soit un candidat de chacun des deux sexes, soit un candidat unique du sexe surreprésenté
(n°18-26568). Pour rappel, le sexe sous représenté, c’est-à-dire normalement exclu, ne peut être positionné en tête de liste.
Dans deux précédentes décisions (Cass. soc., 9-5-18, n°17-60133 ; Cass. soc., 6-6-18, n°17-60263), la Cour de cassation a considéré que lorsqu’une liste comporte la bonne proportion d’hommes et de femmes mais ne respecte pas l’alternance dans l’ordre des candidats, il n’y avait pas lieu à annulation si toute la liste était finalement élue. Dans un arrêt du 11 décembre 2019, elle refuse d’étendre cette solution au cas où c’est à la faveur de ratures sur le nom mal positionné que l’ordre de présentation se trouve rétabli à l’issue de l’élection (n°19-12596). Autrement dit, le résultat final de l’élection ne peut régulariser, a posteriori, une liste initialement irrégulière.
Au final, il résulte, des différents arrêts rendus jusqu’alors par la Cour de cassation, que, sauf exceptions citées plus haut :
– il ne peut plus y avoir, s’agissant de listes présentées par les organisations syndicales, de candidature unique sur une liste ;
– s’il y a deux sièges à pourvoir, il doit y avoir obligatoirement un candidat de chaque sexe ;
– s’il y a plus de deux sièges à pourvoir, le syndicat qui présente une liste incomplète doit calculer le nombre de candidats femmes et hommes en ramenant au nombre de candidats présentés le pourcentage de salariés femmes et hommes représentés dans le collège électoral. Par exemple, si ce pourcentage est respectivement de 40% et 60%, et que le nombre de sièges à pourvoir est de 10, un syndicat qui présente une liste complète devra avoir 4 candidates et 6 candidats, un syndicat qui présente seulement 5 personnes devra avoir 2 candidates et 3 candidats.
Pour Force Ouvrière, l’impossibilité de présenter une candidature unique à des élections professionnelles constitue une atteinte flagrante à la liberté syndicale. La jurisprudence constante de la Cour de cassation sur cette question est de nature à créer, selon nous, un déséquilibre manifeste au profit de la promotion de l’égalité effective des sexes au détriment de la liberté syndicale, une ingérence injustifiée et disproportionnée dans l’exercice de ce droit, en violation de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Pour rappel, la CEDH doit opérer un contrôle de proportionnalité entre la promotion de l’égalité des sexes et l’atteinte apportée à la liberté syndicale. Dans certains cas, comme celle de l’affaire n°18-19379, l’atteinte à la liberté syndicale apparaît disproportionnée !
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly