Dossier de l’Info militante n°3392 daté du mercredi 25 octobre 2023.
Le patronat, le gouvernement, les employeurs de la sphère publique n’ont pas de quoi pavoiser. Pas de coup de pouce au Smic, pas de hausse des traitements indiciaires dans la fonction publique, des branches professionnelles qui ont encore des minima sous le Smic, des négociations – quand il y en a – qui mènent à des hausses minimes… Non, vraiment, rien ne montre que le dialogue social, la négociation des salaires et des classifications est dynamique. Conséquence pour les travailleurs, des carrières sans réelle progression, où la reconnaissance de l’ancienneté n’est plus marquée. Dans des grilles de plus en plus tassées, les salaires ne décollent pas. La Smicardisation de la société française est déprimante, déclarait à la rentrée de septembre le ministre de l’Économie. Rien n’empêche de stopper ce mouvement vers la Smicardisation et de renverser la vapeur, en ouvrant notamment des négociations d’ampleur sur les salaires, sur les grilles et en revenant sur une politique d’exonérations sur les cotisations sociales qui profite tant au patronat, que pour toujours en bénéficier, il maintient les salaires dans une fourchette basse. Sans que rien ne l’en empêche.
Salaires dans les branches : ce sont des améliorations concrètes que demandent les travailleurs
Six mois après la revalorisation du Smic, 56 branches (sur 170) sont toujours non conformes, avec un ou plusieurs minima conventionnels inférieurs au salaire minimum légal. Mais le gouvernement, qui prétend se saisir du sujet, est loin pour l’instant de répondre pleinement à la revendication FO d’une conditionnalité des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de ces branches. S’il reprend l’idée d’une sanction, il la circonscrit strictement aux sept-dix branches ayant des minima sous le Smic depuis plus de dix-huit mois, tout en différant son application. Il jaugera de la nécessité d’agir au 1er juin 2024 : à défaut de progrès significatifs dans lesdites branches, il proposera un texte de loi qui baserait le calcul des exonérations sur le minima de branche, et non plus sur le Smic. Pas de sanction immédiate, donc. Au plus tôt, en 2025.
On court sans cesse après la hausse du Smic
Rien de concret, non plus, pour les salariés qui subissent le tassement accru des grilles conventionnelles depuis 2021, du fait des revalorisations automatiques du Smic liées à l’inflation. Pas de remise en vigueur d’une échelle mobile des salaires… Pas de quoi, donc, améliorer concrètement pour l’instant le quotidien du nombre croissant de salariés se retrouvant Smicardisés. Dans les laboratoires de biologie médicale extrahospitaliers, sept coefficients, couvrant deux corps de métiers (aides laboratoires et chauffeurs routiers), sont sous le Smic. Cela ne s’est jamais vu. En janvier, à la prochaine revalorisation du Smic, neuf coefficients devraient être rattrapés, dont les premiers de secrétaire. On court sans cesse après la hausse du Smic, dénonce Romane Patenotre, négociateur FO qui avait obtenu des employeurs, fin septembre, une augmentation 2023 linéaire – 2,2 % pour tous jusqu’au coefficient 350 (cadres). Mais deux syndicats ont fait valoir leur droit d’opposition.
En définitive, pour l’instant, la seule sanction effective annoncée par l’exécutif aura été, début octobre, le lancement de la restructuration de la branche des casinos (14 000 salariés), pour durabilité de non-conformité [en application de la loi d’août 2022 sur le pouvoir d’achat, NDLR] et aussi blocage du dialogue social. Le dernier accord étendu date de 2020, et six indices sont aujourd’hui infra-Smic. Sauf que cette restructuration était dans les tuyaux depuis fin 2022, rappelle Claude François, secrétaire de FO-Casinos et clubs de jeux. Depuis avril, le premier syndicat de la branche a activé deux fois son droit d’opposition (avec une autre organisation), jugeant les propositions patronales trop faibles, la dernière se résumant à… une simple mise en conformité des indices infra-Smic.
Fonction publique : une année blanche en 2024 est inconcevable
De la surdité et des attaques statutaires tous azimuts : voilà à quoi font face les agents de la fonction publique en matière de salaires et de rémunérations tandis que le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, communique sur sa volonté d’organiser des NAO (négociations annuelles obligatoires) dans la fonction publique. Elles seraient annuelles – pour négocier un paquet salarial, ce qui se situe autour du salaire – et triennales, l’on discuterait alors du fond, notamment de la grille, précise Christian Grolier, secrétaire général de FO-Fonction publique. Or, rappelle-t-il, il n’y a aucune obligation pour l’employeur public de négocier les salaires. Par ailleurs, on négocierait les salaires alors que le projet de loi de finances (PLF) passe au Parlement ? Quand on voit le PLF 2024 : il n’y a pas un euro de prévu pour l’amélioration des rémunérations ! Et si le ministre porte notre demande salariale, négociée, devant le Parlement et se fait retoquer, que se passe-t-il ?.
Pour FO, l’urgence d’un rattrapage de la valeur du point à hauteur de 10 %
Ces NAO réuniraient, une fois l’an, en début de semestre, les employeurs publics (dont les collectivités territoriales), les syndicats et le gouvernement. Le 17 octobre, le ministre lançait les réunions – jusqu’en novembre – pour des négociations sur les carrières et rémunérations. Et comptait obtenir des syndicats un accord de méthode. Pour rappel, la notion de négociation collective est arrivée dans la fonction publique via l’ordonnance du 17 février 2021. Début septembre, le ministre avait confirmé l’arrivée d’une réforme de la fonction publique, via un projet de loi. L’accent serait mis sur le mérite, notamment par les primes, l’intéressement, ce qui induirait une individualisation plus marquée encore du salaire. Et ce qui est une attaque du statut et de la notion de carrière. Il faut des méritants et des engagés, rémunérer davantage l’agent qui aura fait plus, qui aura fait mieux, déclarait Stanislas Guerini, estimant que le statut, ça ne peut pas être le statu quo. Le 17 octobre, constatant l’absence de réponse du ministre sur des mesures salariales d’urgence, les huit organisations syndicales ont demandé l’ajournement de la réunion. Il est inacceptable de concevoir une année blanche en 2024, soulignent-elles. FO demande un rattrapage immédiat de 10 % sur la valeur du point d’indice (revalorisé de 1,5 % seulement en juillet dernier) et rappelle que la perte de pouvoir d’achat est de 27,5 % depuis 2000. Stanislas Guerini a fixé une nouvelle réunion le 26 octobre, mais pour un accord de méthode concernant l’agenda social 2024, lequel contient des rendez-vous sur les rémunérations ! Pas de réponse sur les salaires, mais une volonté de faire co-construire l’agenda social par les organisations syndicales, fulminait Christian Grolier.
La Smicardisation des salaires, aucunement une fatalité !
Le mot est désormais classiquement employé : la Smicardisation. Ce mal, qui touche aussi bien les salariés du public que ceux du privé, a des causes entremêlées. Les revalorisations automatiques du Smic, de par l’inflation forte depuis deux ans, ont exacerbé le phénomène. Mais l’effet de cette revalorisation sur les grilles n’est que la conséquence d’un mal plus profond. Le tassement des grilles vient d’un manque de refonte des classifications. Du fait aussi que chaque niveau de salaire n’a aucunement bénéficié d’une revalorisation, pas même à hauteur du Smic. La Smicardisation a ainsi tout à voir avec l’absence d’échelle mobile des salaires, dispositif dont FO demande le retour, qui fixe des écarts entre échelons, chacun étant indexé sur l’inflation. Le tassement renvoie bien sûr à la nécessité de négociations, tandis que le patronat traîne les pieds et fait souvent des propositions minimes. Le 16 octobre à la conférence sociale, le patron du Medef, Patrick Martin, se félicitait cependant d’un dialogue de branche dynamique sur les minima. Cela alors que dans certaines branches, les premiers niveaux des grilles sont ou se retrouvent régulièrement sous le Smic revalorisé. La fonction publique n’est pas en reste. Régulièrement, elle est amenée à décider en catastrophe de mesures de saupoudrage pour remettre au niveau du Smic les premiers échelons des grilles de la catégorie C mais aussi de la B. Quant à la A (les cadres), elle frôle aussi le Smic en début de carrière.
Allégements : la trappe à bas salaires
Car, du public comme du privé, les travailleurs, même affichant de l’ancienneté, voient leurs salaires stagner ou progresser si faiblement qu’ils sont toujours projetés vers le Smic. Personne n’aspire à passer toute sa carrière au même niveau de rémunération, déclarait la Première ministre le 16 octobre, appelant les employeurs à la négociation pour la révision des grilles de classification. Mais quel intérêt a le patronat de négocier quand revaloriser les salaires lui ferait perdre le bénéfice des mesures d’allégements sur les cotisations sociales (80 milliards d’euros en 2022). Car c’est bien dans ces allégements que se situe l’un des gros moteurs de la Smicardisation. De 1 à 1,6 Smic, les exonérations sont totales, l’employeur a donc tout intérêt à maintenir les salariés dans cette fourchette. Et c’est ce qui se passe. La moitié des salariés est ainsi rémunérée à un salaire inférieur à 1,6 fois le salaire minimum, notait la Dares en 2019.
Si le gouvernement vient d’entrouvrir une porte sur les exonérations, il n’est toujours aucunement question de les réduire au plan général ou encore d’imposer une conditionnalité de ces aides. Ce que revendique cependant FO et qu’elle a encore demandé lors de la conférence sociale.
À la Sécu, les agents vent debout contre la politique salariale de l’Ucanss
À la Sécurité sociale, les syndicats sont furieux contre la hausse minime de 1,5 % de la valeur du point présentée cet été (avec effet rétroactif au 1er juillet) par l’Ucanss, représentant l’employeur des 145 000 salariés de la Sécu. Après trois réunions, l’intersyndicale (dont fait partie FO) a quitté la table des discussions le 19 septembre, dénonçant un simulacre de négociation salariale. Or la fédération des employeurs n’a pas bougé d’un iota. La seule mesure sur laquelle l’Ucanss était prête à discuter concernait les seuils d’attribution d’une nouvelle prime de partage de la valeur, avec une enveloppe d’un montant total de 50 millions d’euros. Mais nous n’en voulions pas. Nous souhaitions que cette somme soit consacrée à la hausse des salaires, pas à une prime pour 2024, explique Frédéric Neau, secrétaire général de la section organismes sociaux de la FEC-FO. Les syndicats refusant de signer l’accord, le 5 octobre, Nicolas Grivel, le président du Comex de l’Ucanss, a décidé d’appliquer unilatéralement cette hausse de 1,5 %. Il nous a dit que c’était à prendre ou à laisser, parce que c’est le cadrage budgétaire des ministères. On nous applique donc la revalorisation des fonctionnaires. Pourtant, rien n’empêche de négocier plus, car les salariés de la Sécu relèvent du droit privé !, s’agace le négociateur FO.
Boycott des négociations en cours
Frédéric Neau, qui rappelle la revendication d’une revalorisation de la valeur du point à la hauteur de l’inflation, évoque un ras-le-bol général des salariés de la Sécu : 1,5 %, c’est ridiculement bas. Pour un technicien qui gagne 1 700 euros net, cela veut dire 25,50 euros de plus par mois. Cela ne résout en rien leurs difficultés, alors que leur pouvoir d’achat a chuté avec l’inflation. La précédente revalorisation (+ 3,5 %) date d’octobre 2022, rappelle FO. Alors que ces dernières négociations se soldent par un échec, l’intersyndicale de la Sécu ne désarme pas et maintient sa demande de hausse substantielle de la valeur du point. Outre un appel à la grève (dans les Caf, CPAM, Carsat) le 13 octobre, jour de la mobilisation intersyndicale, dans un cadre européen, pour les salaires, elle a sollicité, le 10 octobre par courrier, une rencontre avec la Première ministre, Élisabeth Borne. En interne, nous boycottons d’autres négociations en cours, sur les classifications notamment. Nous nous y présentons uniquement pour faire part de notre demande d’augmenter les salaires, indique Frédéric Neau. Sans réponse, indique-t-il, cette stratégie de boycott, suivie par l’ensemble des syndicats, se poursuivra en novembre…