Peut-être êtes-vous parti en vacances cet été grâce à l’utilisation de vos chèques-vacances précédemment acquis. Peut-être allez-vous encore les utiliser cet automne ou pour les congés de fin d’année. Mais savez-vous que ces titres estampillés ANCV et qui soutiennent les possibilités de dépense des salariés sont la résultante d’une longue histoire sociale, qu’ils ont une dimension bien plus large pour le salarié et son collectif de travail, qu’ils profitent à la cohésion sociale et à l’économie nationale ? Entretien avec Frédéric Souillot, secrétaire général de FO, et Alain Schmitt, directeur général de l’Agence nationale pour les chèques-vacances.
● Peut-on dire que l’ANCV, donc le chèque-vacances, représente une conquête sociale ?
Alain Schmitt : On peut effectivement donner ce qualificatif à l’ANCV. L’Agence nationale pour les chèques-vacances, créée en 1982, est un établissement public industriel et commercial chargé d’une mission de service public : favoriser l’accès du plus grand nombre aux vacances. Autour de sa création, il y avait des idées remontant aux années 1960-1970, émergeant notamment de la sphère syndicale. L’émancipation des travailleurs est l’idée de départ, l’idée que les vacances et les loisirs participent d’une dimension d’épanouissement, de réalisation de l’être humain.
Frédéric Souillot : Le chèque-vacances c’est une véritable conquête sociale et l’ANCV constitue un vrai progrès social. Cela correspond à une revendication ouvrière. Tout comme la revendication de congés payés, qui a abouti aux lois de 1936. Avec l’ANCV, on est dans la préoccupation d’émancipation des travailleurs. S’il y a d’abord l’instruction, il y a aussi la culture et les loisirs. L’ANCV, qui n’est pas une structure paritaire, apporte des solutions au manque de moyens des travailleurs. Si elle n’avait pas une mission de service public , il y aurait recherche de profits. Or, elle porte au contraire deux notions : l’intérêt des travailleurs, l’intérêt du collectif.
● Le chèque-vacances constitue-t-il une forme d’accompagnement ?
Alain Schmitt : Il y a trois dimensions importantes au sens des vacances : le bien-être personnel, le lien social mais aussi le développement de compétences. Partir en vacances, c’est pour certains découvrir notamment comment faire un budget pour le voyage. À l’origine de l’idée du chèque-vacances, il y a la volonté d’éducation populaire, mouvement né à la fin du XIXe siècle. Par le chèque-vacances, les gens peuvent apprendre à épargner dans la perspective aussi de leurs loisirs. Dans environ 40 % des cas, il y a une participation du salarié aux chèques-vacances, par exemple sous forme d’épargne, au fil des mois.
Frédéric Souillot : Le chèque-vacances aurait pu être mis en place dès que l’on a parlé des 8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de loisirs. À l’époque, les loisirs étaient souvent contraints et le lien social limité au cercle de l’usine. Les chèques-vacances ont amené une ouverture aux loisirs, notamment par l’épargne. Vu le nombre de travailleurs qui encore aujourd’hui ne peuvent pas partir par manque de moyens, construire et prévoir sont les meilleurs moyens de pouvoir financer les vacances. Cela évite aussi de céder aux emprunts, qui endettent et peuvent mener à une situation de fuite en avant.
● Le chèque-vacances tient-il un rôle dans l’économie nationale ?
Frédéric Souillot : On peut voir le chèque-vacances comme un réducteur d’inégalités, qui permet la possibilité de vacances, donc les dépenses « touristiques ». Il a par conséquent un rôle dans ce pan de l’économie. Il participe donc aussi au PIB puisque 63 % de celui-ci provient de la consommation des ménages, sous toutes ses formes.
Alain Schmitt : Le chèque-vacances peut être vu comme un outil de lutte contre les exclusions. C’est un marqueur pour les employeurs qui montrent ainsi l’attractivité de l’entreprise. Un marqueur aussi pour les organisations syndicales, qui indiquent aux salariés qu’elles s’occupent de cette dimension. Et les chèques-vacances ont un effet de levier. Un euro de chèque-vacances va déclencher autour de 3 euros de dépenses supplémentaires du consommateur. Dans la consommation touristique française, sur environ 60 milliards d’euros de dépenses éligibles chaque année, en théorie, aux chèques-vacances, il y a 1,8 milliard d’euros de chèques-vacances. En tenant compte de l’effet de levier, c’est économiquement significatif.
● Du côté des professionnels, comprend-on facilement l’intérêt d’accepter le chèque-vacances ? Dans les entreprises, le sujet de sa mise en place est-il suffisamment abordé ?
Alain Schmitt : Tout professionnel qui exerce son activité dans la légalité peut accepter le chèque-vacances. Il aura un avantage concurrentiel par rapport à celui qui ne l’accepte pas, il y a 4,8 millions de porteurs individuels de chèques-vacances et avec les familles, ce sont 10 à 11 millions de personnes concernées. À l’ANCV, nous apportons un support aux élus syndicaux, aux confédérations et aux fédérations pour expliquer les vertus du chèque-vacances. Nous sommes des fournisseurs de CSE (18 500 clients), beaucoup dans de grandes et moyennes entreprises. Dans les plus petites, c’est plus difficile et c’est d’ailleurs pour nous un axe de développement. Plus largement, la gouvernance de l’ANCV comporte des représentants des confédérations syndicales. Les syndicats sont très présents dans la galaxie mentale de l’ANCV.
Frédéric Souillot : Nous, les organisations syndicales, nous devons communiquer davantage sur le chèque-vacances. Et FO doit s’occuper davantage encore de sa mise en place en entreprise, par exemple que nos représentants le mettent à l’ordre du jour d’un CSE, qu’ils discutent avec l’employeur… Depuis longtemps, il y a une réflexion menée, dans le cadre de nos instances et des commissions paritaires départementales et régionales, sur la création notamment d’un CSE départemental pour les TPE. La réflexion sur la mise en place d’une structure ASC (activités sociales et culturelles) sur le département reste à poursuivre. Même si le chèque-vacances est un apport parmi d’autres, ne pouvant se substituer bien sûr aux salaires, à leur négociation, ainsi que nous l’avions écrit dans l’accord sur le partage de la valeur, devenu loi, tout ce qu’il y a autour du salaire contribue à l’attractivité d’un emploi.
● Le chèque-vacances peut-il être un atout de développement pour un syndicat ?
Frédéric Souillot : À FO, la réflexion sur des éléments, tel le chèque-vacances, a franchi un cap il y a une vingtaine d’années, avant la loi d’août 2008, modifiant les règles de représentativité. Mettre en place les chèques-vacances dans une entreprise, cela contribue à la cohésion du collectif de travail. Et les salariés vont vers les syndicats qui « font des choses » aussi dans le domaine social et culturel. Si l’on veut parler de Pacte républicain, dans ce cadre, le chèque-vacances est un outil qui contribue à la cohésion sociale de la République, tout comme le paritarisme, la gestion de la protection sociale collective.
● L’ANCV a-t-elle d’autres activités que celle des chèques-vacances ?
Alain Schmitt : À l’ANCV, établissement public, il n’y a pas de dividendes ! Les excédents du chèque-vacances permettent d’attribuer des aides pour les départs en vacances de publics fragiles : jeunes, familles précaires, seniors, personnes handicapées… En 2022, quelque 242 000 personnes fragiles ont ainsi pu partir en vacances. Quand un CSE, un salarié, un professionnel prend du chèque-vacances, il contribue à cette action sociale. Une partie de nos ressources servent à financer « l’usine » du chèque-vacances (140 millions de titres chaque année). Et on investit le surplus dans l’action sociale, soit 34 millions d’euros en 2022. On essaye de sensibiliser les CSE à cette action sociale. Ce qu’ils en font sur le terrain dépend de leur réalité : dans une entreprise qui est en difficulté, c’est difficile ; dans une entreprise qui se porte bien, cela a tout son sens.