Le syndicalisme allemand a toujours été très lié aux partis politiques, en particulier à la sociale-démocratie. De 1945 à 1991, il a été séparé par la guerre froide : assujetti à l’Est, cogestionnaire à l’Ouest.
Les premiers syndicats allemands apparaissent en 1848 dans une Allemagne non encore unifiée. Au départ, il existe deux courants syndicaux : les libéraux et les socialistes. C’est en 1890 que les syndicats sont officiellement reconnus, après une période d’interdiction totale. Ils se fédèrent deux ans plus tard en fondant l’ADGB avec comme leader Karl Liegen.
Mais à côté de cette organisation officiellement socialiste, il existe deux autres structures : libérale et catholique. Dès l’origine les syndiqués de la tendance socialiste doivent adhérer au parti. Les leaders socialistes historiques, Bebel, Liebknecht et Kautsky sont frileux, voire plutôt méfiants par rapport au mouvement syndical. Dans ce pays, l’idéologie marxiste impose une pratique réformiste à son syndicat. La centralisation bureaucratique de l’ADGB, doublée du contrôle de la direction du SPD (Parti social-démocrate), font que rapidement la grève est mise de côté et la base n’a plus la possibilité d’organiser des mouvements « inconsidérés ou imprudents » pour la direction.
Cette dérive bureaucratique fait qu’au printemps 1914, la centrale syndicale allemande se rallie à l’Union sacrée, obligeant Jouhaux à renoncer à la grève générale contre la guerre et à son tour, contre mauvaise fortune, bon cœur, accepter l’union sacrée. Cette occasion perdue, nous la devons en grande partie à Liegen et la direction de l’ADGB qui, le 16 juillet 1915, déclare qu’il est pour un grand Reich débordant sur la France et la Pologne !
Mais en 1918, en Allemagne, le mouvement révolutionnaire gonfle. Le 1er mai 1918 est ponctué de manifestations tumultueuses. Quant à l’automne 1918, la sociale-démocratie allemande hérite du pouvoir, elle a en face d’elle les Conseils d’ouvriers, de soldats et de paysans. Ces derniers, avec l’aile revendicatrice de l’ADGB, obtiennent le 15 novembre 1919 la liberté totale de coalition, l’extension des conventions collectives et enfin les huit heures. Mais la direction du syndicat va reprendre la main en s’alignant sur un réformisme d’accompagnement que pourrait lui offrir la jeune République de Weimar, tuant dans l’œuf la création du Conseil ouvrier du Reich.
Le syndicalisme dans la tourmente de l’Histoire
Ainsi, lorsque Hitler prend le pouvoir légalement le 30 janvier 1933, la puissance des syndicats socialistes est affaiblie. En 1922, ils avaient huit millions d’adhérents. La masse des chômeurs leur a échappé pour suivre les nazis ou les communistes. Les syndicalistes ADGB-SDP, pour sauver ce qu’il reste, tentent une conciliation au printemps avec Hitler. Ce dernier organise lui-même la fête du 1er mai 1933, invitant les adhérents de l’ADGB à y participer. Le lendemain, la direction du syndicat est arrêtée et les bureaucrates de la centrale remplacés par des commissaires du parti nazi. Tous les syndicats (sociaux-démocrates, communistes, libéraux, chrétiens) sont interdits. Le mouvement ouvrier est désormais organisé au sein du « Front du travail » nazifié. Les errances du syndicalisme social-démocrate allemand auront donc conduit aux tragédies de l’union sacrée de 1914 et au massacre des syndicalistes dès 1933-1934. Quand ils ne sont pas mobilisés et envoyés en première ligne sur le front, ils finissent dans les camps.
À la libération, l’Allemagne est coupée en deux. À l’Est, en RDA, les soviétiques créent la FDGB qui compte officiellement 1,6 million d’adhérents en 1946 et 5,2 millions en 1954. La nouvelle direction syndicale communiste ne verra pas venir la révolte ouvrière de Berlin Est en juin 1953.
À l’Ouest, les syndicats se recomposent dans les trois zones d’occupation (anglaise, américaine, française) d’août 1946 à mai 1947. Ces seize fédérations syndicales fusionnent en octobre 1949 lors du congrès constitutif de la DBG à Munich, sous la direction d’Hans Böckler. Cette année-là, elle obtient le vote d’une loi sur les conventions collectives généralisées, puis deux ans plus tard une loi sur la cogestion. Ce n’est qu’en 1967 qu’elle obtient les 40 heures. Quant à la puissante fédération des métallos (IGB), elle entre en grève en 1984 pour obtenir les 35 heures, sans succès.
Avec la chute du mur le 9 novembre 1989 et la réunification, la DGB absorbe la FDGB de l’Est en 1991. Les Métallos de l’IGB obtiennent finalement les 35 heures en 1995, alors que les syndicats allemands ont fini par obtenir le Smic qu’en 2014.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly