En grève et en manifestation. Ils étaient au moins 800 000 dans les rues le 5 décembre pour clamer dans plus de 245 villes leur opposition au projet de système de retraites par points du gouvernement. Et ce chiffre de 800 000 (selon le ministère de l’Intérieur) ne tient pas compte des grévistes, encore bien plus nombreux, qui n’ont pas défilé. Dans le cortège parisien, sous les banderoles FO, les travailleurs ont confirmé leur haut degré de mobilisation et de détermination. Paroles de manifestants.
Ingrid, Cécile, Laurent, Guillaume : en grève, on y sera encore demain !
Ingrid (43 ans), Cécile (45 ans), Laurent (55 ans), Guillaume (34 ans) sont enseignants dans le Primaire, en Seine-et-Marne, et adhérents FO. Ils participent à la manifestation du 5 décembre à Paris et pour eux, c’est une évidence d’être là
. Cécile dit sa colère contre une volonté du gouvernement de paupériser la retraite, d’attaquer le code des pensions civiles et militaires, le statut des fonctionnaires…
Pour Cécile, trop c’est trop et la tentative du gouvernement d’appâter certains enseignants par des hausses de salaires censées compenser
les effets du basculement dans un nouveau système de retraites à points ne prend pas. Même en augmentant les salaires, ce n’est pas possible ! Le projet est simplement inadmissible
fulmine Cécile tandis que Laurent, à côté d’elle, se déclare floué
par le projet. Le contrat changerait sans que l’on ne demande rien ?!
Pour les quatre collègues, le 5 décembre, l’affaire était entendue : on y sera encore demain
. Sous-entendu, en grève. Serait-ce une position « corpo » ? Non point. Je suis là aussi pour mon fils. Nos grands-parents ont mené des luttes et moi aussi je le fais. Pour les générations futures
. Tous acquiescent. Ce n’est en rien du corporatisme. Nous sommes là aussi pour le secteur privé, qui a davantage de difficultés parfois à faire grève
.
Laurent, Hafid, Karim, Sadia, salariés au sol d’Air France : la fierté du combat par la grève
Laurent, Hafid, Karim, Sadia sont salariés d’Air France, personnels au sol, basés à Roissy et syndiqués FO. La compagnie compte ce 5 décembre un nombre important de grévistes, dont 90% parmi les personnels au sol à Orly Ouest indique fièrement Sadia. Des arguments pour être en grève et participer à la manif parisienne, les quatre collègues n’en manquent pas. On est là pour être entendus, pour montrer que l’on est contre l’injustice sociale que porte ce projet.
Et les propos fusent contre la visée du gouvernement d’imposer un régime de retraites par points qualifiés de braquage sur les retraites
ou encore de grosse manipulation
. Sadia, qui a eu plusieurs enfants, craint la suppression de ses 8 trimestres
de majoration acquis pour la retraite. Karim fustige un projet portant une inégalité
entre les travailleurs… A Roissy, la reconduction de la grève a été actée jusqu’au 7 décembre précisaient, réjouis, ces salariés le 5 décembre.
Maria, agent hospitalier : je ne veux pas partir avec rien
Maria, 55 ans, est agent du secteur hospitalier et travaille dans les cuisines de l’hôpital de Mantes-la-Jolie dans les Yvelines. Pourquoi manifeste-t-elle ? Finalement pour beaucoup de choses
sourit ce petit bout de femme, adhérente FO. Nos conditions de travail, rien ne va. L’administration ne nous écoute pas, c’est n’importe quoi !
Pour elle, le projet sur les retraites est en quelque sorte le projet de trop, celui qui fait que la colère redouble. Je ne veux pas partir en retraite avec rien !
résume-t-elle rejoignant des camarades dans la manif.
Mariette, Claude, Brahim, salariés de l’automobile : réglons d’abord les problèmes d’emplois et de salaires !
Mariette (52 ans), Claude (48 ans), Brahim (51 ans) sont salariés du secteur de la métallurgie et adhérents FO. Mariette travaille chez Renault, Claude et Brahim chez PSA à Poissy. On n’approuve pas le projet, si les régimes spéciaux existent, c’est qu’il y a des raisons. Ils ont une histoire
appuie Mariette tandis que Brahim déclare en avoir marre qu’on oppose les différents régimes
et donc les salariés. Les trois manifestants expliquent : au lieu d’envisager un quelconque projet sur les retraites, réglons d’abord les problèmes d’emplois, de salaires. Il faut pouvoir vivre dignement et protéger l’existence de nos cotisations sociales
. Mariette évoque le projet de réforme avec un gros mécontentement teinté d’humour. Déjà, quand j’avais dix-huit, on entendait parler d’une réforme des retraites ! Mais si l’on veut convoquer le problème des retraites, il faut se poser la question du
comment faire
. Bien sûr que chacun se sent responsable pour les générations futures mais le gouvernement prend-il actuellement le problème des retraites par le bon bout ?
Sébastien et Mireille, FEC-FO le gouvernement a intérêt à nous entendre !
Sébastien Busiris (48 ans) est le secrétaire général de la Fédération FO des employés et cadres. Issu du secteur de la banque, il manifeste aux côtés de Mireille (51 ans), secrétaire fédérale. Qu’inspire aux deux militants le projet sur les retraites ? De la colère
résument-ils fustigeant l’attaque contre le régime général
et la volonté du gouvernement de casser, pour aller vers l’individualisation, un système de solidarité qui est né de l’action des organisations syndicales dans la rue
. Avec ce projet sur lequel le débat n’a pas eu lieu
souligne Sébastien nous serions tous perdants
, alors une réforme est-elle nécessaire ?
et ce au nom des économies ? Pour le secrétaire général de la FEC, c’est non et d’autant plus, précise-t-il lorsque l’on constate que le gouvernement est capable de mettre des milliards sur le CICE !
Mireille indique qu’à la banque LCL, des agences ont fermé leurs portes pour cause de grève dès le 4 décembre
. Inquiétudes et mécontentement sont grands parmi les salariés du secteur bancaire et bien au-delà. D’ailleurs tout le monde en France est concerné
lance Mireille. Nous sommes les héritiers de notre système de retraites, il faut le préserver alors la question de la reconduction du mouvement de grève ne peut qu’être posé. Le gouvernement a intérêt à nous entendre après dix-huit mois de surdité !
Que pensent-ils du « travailler plus longtemps » avant de pouvoir prendre sa retraite ? Pour Sébastien et Mireille, ces velléités gouvernementales sont, entre autres, hors-sol. Les entreprises ne veulent pas de vieux
lance Mireille. Et dans le secteur privé, on est déjà vieux quand on est encore jeune. Au chômage problématique des séniors
– considérés ainsi à partir de 50 ans, au mieux – se greffe le problème des emplois précaires, des temps partiels… Dans les banques, il y a eu depuis quelques années des incitations au temps partiel… Avec toutes les conséquences que cela induit pour la retraite !
Siam, Nicole, Jamilla, Ouerdia, agents territoriaux : Avec cette réforme, quelle serait la retraite ?
Siam (48 ans), Nicole (58 ans), Jamilla (42 ans), Ouerdia (45 ans) sont fonctionnaires, agents territoriaux à la mairie de Saint-Denis dans la banlieue parisienne. Syndiquées FO, elles sont venues manifester et elles aussi ont de multiples motifs d’inquiétude face au projet retraites. Jamilla, mère de cinq enfants, a été dix ans non titulaire
avant d’intégrer la fonction publique. Avec cette réforme, quelle serait la retraite ?
. Derrière l’apparente joie de vivre, la bonne humeur de manifester, l’expression de la colère vis-à-vis de ce projet, de la mauvaise répartition des richesses
qu’il sous-entend, prend vite le relai. Les quatre collègues listent ce que le gouvernement devrait faire, ou pas. Que les élus donnent l’exemple ! Il faudrait une justice sociale et pour tout le monde ! Et puis que le gouvernement arrête de taper sur les petits, les modestes !
Dans la manifestation ce 5 décembre, ces agents et copines de travail montraient leur détermination : l’intersyndicale de la mairie de Saint-Denis a appelé à l’arrêt des services le mardi 10 décembre
.
Pierre et Thierry, secteur presse/édition/publicité : un changement déloyal des règles en plein jeu
Pierre (52 ans) et Thierry, retraité, sont issus du secteur presse/édition/publicité. Tous deux militants FO, ils manifestent ce 5 décembre et pestent contre le projet sur les retraites qui revient à un changement déloyal des règles en plein jeu
. Alors que le niveau des retraites mériterait d’être amélioré, par ce projet les salariés seraient au contraire perdants
. Pour Thierry les méthodes du gouvernement sont des méthodes néolibérales classiques et celui-ci attend le rapport de force.
Cela a commencé semble-t-il… Et avec le soutien d’une majorité de français
se réjouissent les militants.
Elisabete, salarié de PSA : je me battrai jusqu’au bout
Elisabete, 41 ans, travaille chez PSA à Poissy. Adhérente FO, elle est venue dire ce 5 décembre sa colère contre le projet de réforme qui voudrait établir un calcul de la retraite en tenant compte de toute la carrière
. Elle s’inquiète
pour ses enfants, l’avenir de leurs droits
. Et quant à elle, elle espère cotiser pour quelque chose
. Elisabete est inquiète, très inquiète mais déterminée : je me battrai jusqu’au bout. C’est très important
.
Shirine, Melissa, secteur Santé : ne pas dire un jour que je n’ai rien fait
Shirine, 34 ans, ancienne aide médico-psychologique dans un établissement est désormais micro-entrepreneur et travaille dans le secteur de l’aide à la personne dans le domaine de la psychiatrie. Dans le cortège parisien le 5 décembre, elle entre en discussion avec Mélissa, 34 ans, infirmière au Grand hôpital de l’est francilien, adhérente FO, et qui a revêtu sa blouse blanche sur ses vêtements chauds. Toutes deux ont beaucoup à se dire sur les conséquences douloureuses pour les personnels et les patients du manque chronique de moyens du secteur hospitalier en crise. Le projet retraites s’est invité comme la cerise sur le gâteau. Une cerise empoisonnée. Shirine souligne son inquiétude : La retraite ? J’ai l’impression que je n’en aurai jamais
mais elle est bien décidée à combattre le projet. En retraite, ma mère perçoit 1 000 euros. Comment vivre avec cela ?! Or, au lieu d’améliorer ces retraites, le projet fait craindre un abaissement du niveau de toutes les retraites
. Pour Melissa, la coupe est pleine, aussi. Il y en a ras le bol de ne pas pouvoir être serein, confiant dans l’avenir
. L’infirmière a d’ores et déjà posé 15 jours de vacances pour pouvoir participer à la mobilisation sur les retraites. Je ne veux pas devoir dire un jour que je n’ai rien fait à ce sujet !
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly