Lorsque l’on est syndicaliste, le 1er mai est un réflexe, tant il est le symbole de l’engagement syndical : la solidarité ouvrière, le refus de l’exploitation, l’aspiration à l’émancipation individuelle et collective, l’action collective et l’internationalisme.
Tout syndicaliste FO le sait et en a déjà entendu parler, s’il a déjà participé à un meeting, le 1er mai est d’abord celui de l’année 1886, aux États-Unis. Tout s’y prépare et s’y inscrit : la décision de refuser les journées de travail à 10h, 11h… 14h et de revendiquer la journée de 8 heures. Elle est prise par les syndicats américains en 1884, et conduit à un appel à cesser le travail et à manifester au moment du 1er mai 1886. Les manifestations seront durement réprimées, en particulier le 4 mai sur la place de Haymarket à Chicago. Mais, si l’on manifeste toujours en France, comme dans bien d’autres pays du monde encore aujourd’hui, le 1er mai, c’est parce que dès 1889, la IIe Internationale socialiste, réunie à Paris, décide de faire de cet anniversaire une journée de manifestation, qui deviendra internationale, pour la journée de 8 heures.
C’est ainsi, qu’aux lendemains de la tragédie de la première guerre mondiale, les syndicats obtiendront, avec la création de l’Organisation internationale du travail (OIT), l’adoption de la première convention internationale du travail établissant la journée de travail de 8 heures et la durée maximale de travail hebdomadaire à 48 heures !
Reconnaître,au niveau international, la santé au travail comme un droit fondamental
Si, avec le temps, le 1er mai est devenu, en dehors de situations particulières, une journée symbolique, non pas de fête pour les syndicats, mais de solidarité et d’expression des revendications sociales, ce 1er mai 2020, se situant dans un contexte inédit – celui de la crise sanitaire mondiale qui a conduit à l’arrêt de l’économie sur près de la moitié de la planète – voit aussi la symbolique rejoindre, à bien des aspects, la réalité à laquelle sont confrontés les travailleurs.
Le souci de la santé, de la santé en général, mais de la santé au travail en particulier. Cela peut paraître surprenant de commencer ainsi, à la lecture des lignes précédentes, mais le lien est celui de l’OIT et des conventions, ou normes, internationales du travail. Dès son origine, l’OIT inscrivait dans le préambule de sa Constitution que « la protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail » est un élément fondamental de la justice sociale.
Peu après, en 1925, l’OIT adoptait une convention sur les maladies professionnelles qui prévoyait que les États « s’engagent à assurer aux victimes de maladies professionnelles ou à leurs ayants droit une réparation basée sur les principes généraux de sa législation nationale concernant la réparation des accidents du travail ». Et, remarquable, au titre des maladies entrant dans le champ de maladie professionnelle, figurait l’infection ou fièvre charbonneuse qui est, à l’image du Covid-19, une zoonose (maladie commune à l’Homme et à l’animal) transmissible de l’animal à l’homme.
Plus récemment et depuis plusieurs mois, bien avant que ne surgisse le coronavirus, est venue, avec le soutien de la Confédération syndicale internationale, la revendication que la santé au travail soit reconnue comme un droit fondamental. FO a décidé d’en faire son affiche à l’occasion de ce 1er mai. Et pour cause ! Il nous a semblé plus que pertinent de mettre en avant cette revendication, à un moment où les pressions se font plus pressantes quant à la reprise de l’activité économique, au risque, si tous les moyens de protection du risque de contracter le virus Covid-19 ne sont pas assurés, de mettre en balance la santé des travailleurs.
Reconnaître, au niveau international, la santé au travail comme un droit fondamental, consiste à intégrer les conventions de l’OIT relatives à la santé au travail au corpus des normes fondamentales du travail. Outre que cela répond à la nécessité que les mêmes normes s’appliquent simultanément pour les travailleurs dans le monde, le symbole renvoie à la liberté syndicale.
Les normes fondamentales du travail, telles que reconnues depuis la déclaration des principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT, en 1998, commencent en effet par la liberté syndicale, qui inclut le droit et la liberté de négociation collective. Le principe de la liberté syndicale est d’ailleurs un principe constitutif de l’OIT, qui définit le dialogue social entre État, employeurs et travailleurs, sur la base de l’indépendance des organisations syndicales, vis-à-vis des organisations d’employeurs et, bien évidemment, des gouvernements.
Et, bien sûr, le symbole du 1er mai, originel, celui de la limitation de la semaine de travail à 48 heures, se heurte à la décision du gouvernement, à la fois incompréhensible, rétrograde pour le coup, et inacceptable, de permettre aux employeurs d’imposer de dépasser cette limite maximale pour aller jusqu’à 60 heures de travail hebdomadaire. S’il n’y avait qu’une raison de ne pas baisser la garde syndicale en ce 1er mai 2020, ce serait bien celle-ci.
Cela ne suffirait cependant pas pour assurer la perspective des « jours heureux » qui était l’ambition du programme du Conseil national de la résistance [1], dont émane notre système de Sécurité sociale.
C’est la raison pour laquelle, la Commission exécutive confédérale, réunie le 20 avril dernier, a débattu et adopté une déclaration que nous invitons nos syndicats, militants, adhérents à porter haut et fort, par un moyen ou un autre, en ce 1er mai.
Elle affirme les revendications d’urgence et immédiate, en matière de protection de la santé, comme celles répondant à la nécessité de préserver les droits des salariés en matière de salaires, de congés de conditions de travail et d’emploi, et plus largement d’abandonner les politiques et les réformes conduites tant au niveau national, européen qu’international à la seule aune de la rigueur budgétaire, de la concurrence libre et non faussée, de la déréglementation des marchés financiers et des droits sociaux.
Comme elle a rappelé que la Confédération entend poursuivre son action en faveur du renforcement des systèmes de protection sociale collective (santé, assurance retraite, chômage), des conventions collectives (revendication qui figurait à l’affiche du 1er mai 1936 !) et des statuts, ainsi que pour un renversement au profit du travail de la redistribution des richesses. L’augmentation générale des salaires en demeure un facteur déterminant.
Pour ce 1er mai particulier, nous serons orphelins de nos manifestations, meetings, rassemblements fraternels, mais nous n’en sommes pas moins syndicalistes, libres, indépendants et déterminés à agir pour un monde de justice sociale.
[1] En la matière, si l’on a beaucoup entendu la rhétorique guerrière, face au virus, et si en effet, des moyens exceptionnels devaient être mobilisés, et le sont malheureusement insuffisamment en ce qui concerne les équipements de protection individuels (masques, gel, gants, blouses, tests, parois protectrices), il faut toujours faire attention aux amalgames et anachronismes.
Nous ne sommes pas occupés par une armée, des milices et administrations aux ordres d’un pouvoir totalitaire, appuyé par un régime de collaboration, situation qui a justifié pleinement le regroupement des forces politiques, syndicales et mouvements de résistance, à l’origine des réseaux syndicaux Résistance ouvrière qui seront le socle de la création de la cgt FO en 1948.
La situation actuelle demande, selon nous, que chacun, dans son rôle, assume et remplisse ses responsabilités. La nôtre, en tant qu’organisation syndicale de salariés, est de nous assurer que la santé des travailleurs, en premier lieu, leur emploi et leur salaire, leurs conditions de travail et leur protection sociale sont bien et seront bien préservés.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly