Webinaire Miroir social : Qui pour aider les salariés aidants ?

En raison du vieillissement de la population, de plus en plus de salariés doivent venir en aide à un proche. Invité par Miroir social à un webinaire sur ce sujet, Franck Houlgatte, de l’Union des syndicats de la santé privée FO, relève que le phénomène est presque ignoré par les employeurs et même par les salariés. Il a pourtant un coût social et financier qu’une chercheure a évalué.

Le média spécialisé Miroir social organisait, le 28 mai, un webinaire consacré au coût caché de l’aidance dans les entreprises, auquel participait notamment Franck Houlgatte, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats de la santé privée FO. Comme son nom l’indique, le « proche-aidant » aide quelqu’un de son entourage qui est âgé, malade ou handicapé, régulièrement et à titre non-professionnel. Un salarié-aidant cumule donc cette tâche avec un emploi salarié. Le droit s’est progressivement adapté. Le proche-aidant est reconnu par le code de l’action sociale depuis 2015 (article L113-1-3) et il a droit depuis 2016 à un congé, dont les fonctionnaires peuvent également bénéficier depuis 2020. A partir de 2019, les branches ont eu l’obligation de négocier sur la conciliation vie personnelle-vie professionnelle des aidants.

Mais, en pratique, le phénomène passe encore sous les radars du monde du travail. Les entreprises ne le voient pas, constate Jean-Manuel Kupiec, pilote du Lab Autonomie de l’OCIRP, une union d’institutions de prévoyance à but non lucratif et à gouvernance paritaire. Idem chez les salariés. Nous sommes peu interpellés par les salariés, alors qu’il y a sans doute autant d’aidants dans nos établissements qu’ailleurs, relève de son côté Franck Houlgatte.

10% à 15% de salariés aidants

Au niveau national, il y aurait 10% à 15% de salariés aidants, estime Jean-Manuel Kupiec, sur la base d’une étude réalisée par l’OCIRP en 2023. En raison du vieillissement de la population, cette proportion est vouée à progresser : un salarié sur quatre sera aidant en 2030, toujours selon l’OCIRP. Le phénomène a déjà des conséquences sociales. Pour un salarié, cumuler son travail et l’aide à un proche n’a rien d’anodin. Plus de la moitié (57%) des 1 000 salariés aidants interrogés par l’OCIRP signalent qu’ils sont confrontés à une charge mentale élevée. La moitié a déjà renoncé à consulter un médecin alors que c’était pourtant nécessaire ; 65% se sont privés d’activités sportives ou associatives ; 44% ont renoncé à des vacances.

Seuls 16 000 salariés bénéficient du congé de proche aidant par an

Dans le secteur de la santé, les impacts dans les services sont majorés par les pénuries chroniques de personnels et par les horaires atypiques. Les aidants sont en général des salariés relativement âgés ; s’ils doivent se mettre en arrêt de travail – outre le fait que cela leur coûte en raison du délai de carence –, ils ne sont pas remplacés, décrit Franck Houlgatte. Cela augmente encore la charge de l’équipe dont le travail devient encore plus difficile. C’est un cercle sans fin, explique le militant.

Selon l’OCIRP, un salarié aidant est âgé en moyenne de 42 ans ; dans 60% des cas c’est une femme ; il consacre presque 10 heures par semaine à cette activité. Comme sa journée n’a que 24 heures, il doit prendre sur ses congés ou ses JRTT (49% le font) ; solliciter un arrêt maladie (29%) ou un congé sans solde (27%).

Seuls 21% prennent un congé de proche aidant. Celui-ci permet à un salarié de s’arrêter jusqu’à trois mois – la branche peut prévoir davantage ou moins – pour aider un proche. Il n’est alors plus rémunéré par son employeur mais perçoit une indemnité de 64 € par jour dans la limite de 22 jours par mois, financée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Outre que l’indemnité est faible puisqu’elle correspond à un Smic net, l’accès au congé est restrictif, le proche devant être en incapacité permanente à plus de 80 %. Aussi, au dernier comptage de la Caisse nationale d’allocations familiales, seuls 16 000 salariés bénéficiaient de ce congé chaque année. De son côté, Jean-Manuel Kupiec estime que 75% des salariés concernés ne se déclarent pas aidants, ce qui rejoint l’observation de Franck Houlgatte.

Pas de volonté patronale

Pour expliquer un tel écart entre le nombre de salariés aidants et l’effectif officiel connu, Jean-Manuel Kupiec pointe un déni des salariés et un tabou des entreprises, gênées d’intervenir dans la vie privée de leurs salariés. Pour Franck Houlgatte, l’explication est plus simple : Il n’y a pas de volonté patronale, uniquement des bonnes intentions.

Rien n’empêche en effet les entreprises ou les branches de créer des dispositifs plus avantageux que la loi. Par exemple, TotalEnergies s’engage à maintenir le salaire à 100% sur la moitié de la durée des congés légaux de ses salariés aidants. Mais c’est exceptionnel. Il y quelques années, les employeurs nous avaient interpellés sur le sujet, se rappelle Franck Houlgatte. Nous avions demandé un vrai congé pour les aidants. Les employeurs l’avaient refusé, quoique se voulant des employeurs responsables. Tout ce qu’ils proposent, ce sont des dons de jours entre salariés.

Avec ce système, qui ne coûte rien à l’entreprise, les salariés peuvent donner quelques jours de congé à un de leur collègue afin qu’il s’occupe de son conjoint ou de son enfant accidenté ou très malade. On n’est plus dans le droit pour tous, mais plutôt dans le secours individualisé ! Dans le secteur de la santé, les employeurs n’osent pas signer d’accords de peur de voir leurs budgets réduits par l’agence régionale de santé (ARS), souligne Franck Houlgatte. S’ils accordent des nouveaux droits aux salariés aidants, c’est de manière informelle. En discutant avec les salariés, on sent bien qu’il y a peut-être des choses qui se mettent en place, de gré à gré, dans les grands groupes ou dans les cliniques familiales, remarque le syndicaliste.

Coût caché du déni patronal : jusqu’à 31 milliards d’euros

Lorsqu’elles signent des accords en bonne et due forme, les entreprises prévoient le plus souvent des aménagements d’horaires ou des jours de télétravail supplémentaires. Pour Nathalie Chusseau, professeure à l’Université de Lille et chercheure associée à la chaire transitions démographiques, ce genre de solutions est un piège. Le salarié aide son proche pendant la journée, travaille ensuite, et revient le lendemain épuisé au bureau, constate-elle. Même problème pour les temps partiels. Pour elle, la solution est d’alléger la charge de travail de l’aidant. Il faut que le salarié puisse réduire sa charge de travail à certains moments, notamment lorsque le conjoint devient dépendant, le temps de mettre des aides en place, explique-t-elle.

Pour intéresser les entreprises au sujet, la chercheuse met en avant ce qu’il leur en coûte de ne rien faire : salariés absents ou présents mais fatigués, qui arrivent en retard ou repartent en avance, qui commettent des erreurs… On pourrait également ajouter les dépenses en intérimaires pour remplacer les absents, auxquels le secteur de la santé a largement recours. Coût : entre 24 et 31 milliards d’euros au niveau macroéconomique. Autre comparaison relative à ce coût : plus de 10% de la masse salariale d’une entreprise de 100 salariés dans les services, a calculé Nathalie Chusseau. Elle souligne également que les salariés aidants développent des capacités d’organisation, de résilience et d’empathie qui sont des richesses pour l’entreprise. Les patrons ne s’intéressent pas aux compétences des salariés aidants, ils veulent de la main d’œuvre, regrette Franck Houlgatte.

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