Un transfert d’entreprise n’a aucune incidence sur la représentativité des organisations syndicales, celle-ci étant établie pour toute la durée du cycle. L’opération de transfert n’implique donc pas de recalculer la représentativité des syndicats dans l’entreprise cédante et dans l’entreprise absorbante.
Le syndicat de l’entreprise absorbante peut utiliser l’alinéa 2 de l’article L2143-3 du code du travail et choisir comme délégué syndical l’ancien délégué syndical de l’entité transférée dès lors qu’il a présenté des candidats lors des dernières élections et dans la mesure où il ne reste plus de candidats remplissant la condition des 10% dans l’entreprise d’accueil.
Cass. soc. 19 février 2014 (soustraction d’établissements)
Union syndicale Solidaire Industrie c/ Société ISS logistique et production
N°13-20069 et N°12-29354, PBR
Cass. soc. 19 février 2014 (addition d’établissements)
Société Colas c/ Fédération nationale CFDT constructions et bois
N°13-17445 et N°13-16750, PBR
Cass. soc. 19 février 2014 (désignation d’un délégué syndical)
Société Adecco c/ Fédération des services CFDT
N°13-14608, PBR
Faits et procédure
Dans la première affaire (n°13-20069 et n°12-29354), le syndicat Solidaire désigne le 11 octobre 2012 un délégué syndical central et le 3 avril 2013 un représentant syndical au comité central d’entreprise. La société ISS logistique et production conteste ces deux désignations considérant qu’à la suite de l’opération de transfert, le syndicat avait perdu sa représentativité. Les tribunaux d’instance saisis déboutent la société de ses demandes. Celle-ci forme alors un pourvoi en cassation.
Dans la deuxième affaire (n°13-17445 et n°13-16750), la Société Colas prend en location-gérance 15 établissements. La Fédération CFDT construction et bois, non représentative au sein de la société Colas mais représentative au sein des 15 établissements pris en location-gérance, décide de désigner deux salariés en qualité de délégué syndical central et représentant syndical au comité central d’entreprise au sein de la société Colas. Considérant que le syndicat n’est pas devenu représentatif dans l’entreprise Colas, même après l’opération de transfert, la société décide de contester en justice ces deux désignations. Dans l’affaire n°13-17445, le tribunal d’instance annule les désignations. La Fédération CFDT forme un pourvoi en cassation.
Dans l’affaire n°13-16750, le tribunal rejette la demande de la société et valide les désignations, considérant que le principe de fixité de la représentativité des organisations syndicales pour la durée du cycle électoral n’a vocation à s’appliquer que dans un périmètre donné mais non, sauf à méconnaître l’expression d’une grande partie des salariés, dans une entreprise dont les composantes et la communauté de travail sont profondément modifiées par des adjonctions d’établissements et d’effectifs qui conduisent à augmenter du double le nombre d’établissements et de salariés et qu’il ne résulte pas des dispositions des articles L2122-1 et L2143-5 du code du travail que, dans le cas d’une telle modification du périmètre de l’entreprise, la représentativité des organisations syndicales, telle que mesurée avant l’opération d’adjonction d’établissements nouveaux, doit être figée jusqu’à l’achèvement du cycle électoral en cours. La société forme un pourvoi en cassation.
Dans la troisième affaire (n°13-14608), la société Adecco France prend en location-gérance le fonds de la société Adia. La Fédération des services CFDT désigne comme délégués syndicaux dans l’entreprise Adecco des salariés qui exerçaient cette même fonction dans la société Adia. La société conteste ces désignations. Le tribunal d’instance fait droit à la demande de la société, considérant que le salarié qui a obtenu 10% des suffrages lors des élections organisées au sein de l’entité transférée ne peut se prévaloir de cette légitimité électorale pour solliciter sa désignation en qualité de délégué syndical au sein de la nouvelle structure. Le syndicat forme alors un pourvoi en cassation.
Questions de droit
Une opération de transfert implique-t-elle de recalculer la représentativité des organisations syndicales dans l’entreprise cédante et dans l’entreprise absorbante ?
Un salarié de l’entreprise absorbée qui ne justifie donc pas avoir obtenu 10% sur son nom dans l’entreprise absorbante peut-il être désigné comme délégué syndical dans cette nouvelle structure ?
Solutions de droit
Non, répond la Cour de cassation à la première question. La représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral. Dès lors que le syndicat à l’issue des élections générales n’a pas obtenu les 10%, celui-ci ne peut désigner un délégué syndical, peu important la prise en location-gérance d’autres établissements où le syndicat est représentatif. A l’opposé, lorsque le syndicat a acquis sa représentativité à l’issue des élections générales, celle-ci ne peut être remise en cause au motif du transfert des contrats de travail des salariés résultant de la cession de l’un des établissements.
Pour la seconde question, la Cour de cassation admet, soulevant un moyen d’office, que le syndicat de l’entreprise absorbante fasse application du deuxième alinéa de l’article L2143-3 du code du travail en cas de transfert d’entreprise et donc désigne comme délégué syndical un salarié de l’entreprise absorbée qui n’a pas obtenu les 10% sur son nom dans la nouvelle structure, dès lors que le syndicat de l’entreprise absorbante a présenté des candidats lors des dernières élections et dans la mesure où il ne reste plus de candidats remplissant la condition des 10% dans l’entreprise d’accueil.
Commentaire
Publiés au rapport annuel de la Cour de cassation, les arrêts rendus le 19 février 2014 répondent à des questions laissées en suspens par la loi du 20 août 2008. Le législateur de 2008 ne répondait pas à la question de l’incidence d’un transfert d’entreprise sur la représentativité d’un syndicat. Qu’il y ait ou non transfert d’entreprise, la représentativité reste acquise pour toute la durée du cycle [1]. Malgré tout, la Cour de cassation reconnaît que les salariés de l’entreprise absorbée puissent, dans des conditions apparemment strictes, se faire représenter dans la négociation de l’accord d’adaptation par les anciens délégués syndicaux de cette entité [2].
1. Même en cas de transfert d’entreprise, la représentativité est acquise pour toute la durée du cycle
Par un arrêt du 13 février 2013 (n°12-18098), voué à la publicité maximale (PBRI), la chambre sociale de la Cour de cassation a affirmé que la représentativité des organisations syndicales, dans un périmètre donné, était établie pour toute la durée du cycle électoral. Et d’en conclure que les résultats obtenus lors d’élections partielles ne pouvaient avoir pour effet de modifier la représentativité calculée lors des dernières élections générales.
La chambre sociale décidait donc de privilégier la stabilité et la sécurité des négociations collectives en optant pour une mesure de la représentativité pour la durée du cycle électoral. La Cour de cassation prenait soin de préciser que cette solution s’appliquait dans un périmètre donné. Cela pouvait laisser sous-entendre que cette règle imposant une stabilité sur toute la durée du cycle n’était pas applicable lorsque la structure d’une entreprise comportant plusieurs établissements était modifiée.
Comme elle en a pris l’habitude, la Cour de cassation a consulté les partenaires sociaux sur la question de l’incidence d’un transfert d’entreprise sur le calcul de la représentativité. Force Ouvrière n’a pas manqué de faire valoir ses positions sur cette question délicate. Pour Force Ouvrière, la modification de la structure de l’entreprise, que ce soit par adjonction ou soustraction d’établissements, a une incidence directe sur le corps électoral que constitue la communauté de travailleurs. Les majorités syndicales peuvent être bouleversées et le vote des électeurs doit donc être pris en compte. Privilégier la stabilité du cycle électoral aboutirait à priver une partie des salariés des droits électoraux qui leur sont reconnus pour assurer l’effectivité du principe constitutionnel de participation. Force Ouvrière préconisait comme solution la plus juste de refaire la totalité des élections. Ces élections générales permettraient ainsi de redémarrer un nouveau cycle. Dans un souci de clarté, nous énoncions qu’une solution unique devait être adoptée qu’il s’agisse de soustraction ou d’addition d’établissements avec perte ou maintien de l’autonomie juridique.
Comme on peut le remarquer la Cour de cassation n’a pas opté pour cette solution. Même si aucune solution ne suscitait vraiment l’enthousiasme et n’emportait vraiment la conviction, les Hauts magistrats ont choisi de pousser la logique du cycle retenue par le législateur de 2008 jusqu’à son maximum et de renvoyer le législateur devant ses responsabilités. Comme le souligne Christophe Radé, la Cour de cassation a fait le choix de la solution de facilité privilégiant la stabilité au détriment de la légitimité. Notre organisation n’a de cesse de dénoncer les incohérences de la loi de 2008 et les inextricables contentieux qu’elle suscite. Cette affaire est une nouvelle illustration des carences de la loi de 2008.
2. Un salarié de l’entreprise absorbée peut être désigné comme DS dans l’entreprise absorbante, sous certaines conditions
La Cour de cassation reconnaît habituellement que les salariés ne peuvent se prévaloir du score qu’ils ont obtenu dans leur entreprise d’origine pour être désignés délégué syndical au sein de la société absorbante que si le transfert porte sur une entité susceptible d’emporter maintien des mandats représentatifs en cours (Cass. soc., 14-12-11, n°10-27441 ; Cass. soc., 18-12-13, n°13-16889). Ainsi s’il y a perte de l’autonomie, comme c’est le cas dans l’affaire n°13-14608, les anciens délégués syndicaux ne peuvent se prévaloir de leur score personnel obtenu dans l’entreprise d’origine pour être désignés dans l’entreprise absorbante.
Les syndicats plaidaient au contraire que l’article L2143-3 du code du travail, interprété à la lumière de l’article 6 de la directive n°2001/23/CE du 12 mars 2011 autorisait un syndicat représentatif à désigner comme délégué syndical dans l’entreprise d’accueil un salarié transféré qui avait obtenu au moins 10% des suffrages lors des élections professionnelles qui ont eu lieu dans son entreprise d’origine, peu important qu’il y ait ou non maintien de l’autonomie juridique.
Soulevant un moyen d’office, la Cour de cassation valide la désignation de l’ancien délégué syndical de l’entreprise d’origine comme délégué syndical de l’entreprise d’accueil en se fondant non pas sur l’alinéa 1er de l’article L2143-3 du code du travail (condition des 10%) mais sur l’alinéa 2 de ce même article (choix d’un simple candidat ou d’un adhérent). Le syndicat de l’entreprise d’accueil peut choisir un salarié de l’entreprise d’origine pour le représenter dans l’entreprise absorbante, dans la mesure où celui-ci a présenté des candidats aux élections dans le périmètre de désignation. Même si elle ne le dit pas ouvertement, dans la mesure où elle reprend mot pour mot l’attendu de l’arrêt du 27 février 2013 (n°12-18828 ), il semble que pour utiliser la voie alternative de l’alinéa 2 de l’article L2143-3 du code du travail, le syndicat ne doive plus disposer de candidats ayant obtenu 10% dans l’entreprise d’accueil. On peut regretter une telle vision. Il aurait été préférable d’admettre, en se fondant sur les dispositions de l’article 6 de la directive 2001/23/CE, qu’en cas de transfert d’entreprise, dans l’hypothèse d’une perte d’autonomie, les syndicats de l’entreprise d’accueil puissent utiliser l’alinéa 2 de l’article L2143-3 sans autre condition. Il ne semble pas que la Cour de cassation ait voulu dire cela.
Ainsi, si les anciens délégués syndicaux de l’entreprise d’origine peuvent être désignés comme délégués syndicaux dans l’entreprise d’accueil pour négocier les accords d’adaptation, c’est à la condition stricte que le syndicat de l’entreprise absorbante justifie ne plus disposer de candidats ayant obtenu 10%.
Transfert d’entreprise :
Cass. soc. 19 février 2014 (soustraction d’établissements)
Union syndicale Solidaire Industrie c/ Société ISS logistique et production
N°13-20069 et N°12-29354, PBR
Cass. soc. 19 février 2014 (addition d’établissements)
Société Colas c/ Fédération nationale CFDT constructions et bois
N°13-17445 et N°13-16750, PBR
[1] Christophe RADE, « La suprématie du cycle électoral (à propos des quatre arrêts en date du 19 février 2014) : le mieux, ennemi du bien ? », Lexbase Hebdo édition sociale n°561 du 6-3-14, n°N1103BUE.
[2] Commenté dans InFOjuridiques n°83, « Choix du DS : dans quels cas n’est-on pas obligé de le choisir parmi les candidats ayant obtenu 10% ? ».
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly