L’été 1993 fut dur aux travailleurs avec la décision du gouvernement Balladur d’une réforme des retraites (loi du 22 juillet), ainsi qu’une décision (loi du 27 juillet) lançant des mesures de baisse du coût du travail. Des exonérations de cotisations familiales sont alors créées, jusqu’à 1,2 Smic. Et cette attaque du salaire différé ne tarde pas à s’amplifier, cela par le biais d’une loi quinquennale qui prévoit d’étendre ces allégements à 1,6 Smic. Dès 1995 cette extension des exonérations commencera à se déployer. En 1996, le gouvernement Juppé décide de gonfler le taux des exonérations et de les appliquer jusqu’à 1,33 Smic. À la recherche de recettes budgétaires, le gouvernement Jospin supprime en 1998 la demi-exonération accordée à ce seuil. Tout en poursuivant dans la voie des allégements, cherchant notamment par une mesure d’allégement forfaitaire et une exonération étendue à 1,8 Smic à atténuer, pour les employeurs, les effets de la loi de réduction du temps de travail à 35 heures (loi Aubry II). En 1997 déjà, la loi Robien accordait des allégements de cotisations aux employeurs s’engageant dans une réduction du temps de travail. Puis vint la loi du 17 janvier 2003 du gouvernement Fillon, créant une « réduction » générale de cotisations sociales patronales jusqu’à 1,7 Smic (ramenée à 1,6 Smic en 2005). Est visée une réduction totale au niveau du Smic et dégressive au-delà. En 2006 et 2012, cette réduction Fillon est étendue avec notamment une annualisation du calcul des allégements, et en tenant compte des heures supplémentaires et complémentaires. Et les exonérations n’allaient pas en rester là.
En moins de dix ans, un doublement du manque à gagner
Publié en septembre dernier, le rapport parlementaire transpartisan des députés Marc Ferracci et Jérôme Guedj, prônant la suppression pure et simple des exonérations au-delà de 2,5 Smic, revenait sur l’histoire des exonérations, qui ont encore pris de l’ampleur grâce au pacte de responsabilité et de solidarité et au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) du gouvernement Ayrault (2012 et 2014) – supprimé en 2019, puis transformé en nouveaux allégements. En 2015, le gouvernement vantait ainsi la mesure phare du dispositif Pacte (agrémenté de mesures fiscales pour les entreprises), soit l’exonération des cotisations patronales versées aux Urssaf (zéro charges) pour l’emploi d’un salarié au Smic depuis le 1er janvier 2015. Quant au CICE, il a induit de 2013 à 2019 un manque à gagner de plus de 100 milliards d’euros. Le rapport résume : Les exonérations de cotisations sociales n’ont cessé de croître dans leurs taux mais aussi dans le nombre de travailleurs concernés. Ainsi, en prenant en compte l’ensemble des allégements généraux, l’on observe que plus de 78 % de l’ensemble de l’assiette salariale soumise à cotisations de notre pays – c’est-à-dire l’assiette salariale des salariés rémunérés jusqu’à 3,5 Smic – est concerné par au moins l’un d’entre eux, soit l’allégement Fillon, l’allégement sur les cotisations familiales (jusqu’à 3,5 Smic) ou encore l’allégement sur les cotisations maladie (jusqu’à 2,5 Smic). Rien que pour ce type d’allégements, sur lesquels s’arc-boutent les entreprises, le montant du manque à gagner pour les comptes sociaux ― ce qui, par les compensations, crée de la dette publique ― est passé de 19,5 milliards d’euros en 2004 à 37 milliards en 2013 et à plus de 73 milliards l’an dernier. Un doublement donc en moins de dix ans.