Travailleurs étrangers : le projet européen de réserve de talents/talent pool inquiète la CES

Le projet de « Talent pool », actuellement dans les tuyaux de la Commission européenne, vise à organiser le recrutement de travailleurs étrangers pour combler les pénuries de main d’œuvre des 27 états membres. Le dispositif envisagé semble cependant insuffisant pour garantir l’égalité des droits entre tous les travailleurs et ne résout pas les problèmes de secteurs qui souffrent de bas salaires et de conditions de travail difficiles.

La Confédération européenne des syndicats s’alarme du projet de « Talent pool » que propose la Commission européenne depuis l’hiver dernier. En association avec la Fédération européenne du bâtiment et des métiers du bois (EFBW), IndustriALL, Uni Europa, la fédération européenne des travailleurs du transport (ETF), le comité syndical européen de l’éducation(CSEE ETUCE), le syndicat européen des services publics (EPSU ) et la fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme (EFFAT), la CES étrille – dans sa position conjointe du 9 juin – le projet de plateforme en ligne destinée à répondre aux besoins de recrutement international des employeurs européens dans les secteurs en pénurie de main d’œuvre et ceux de la transition digitale et écologique.

Soutenir d’abord les employeurs et augmenter le PIB

Le 15 novembre 2023, la Commission a en effet proposé un règlement établissant une plateforme en ligne sur laquelle les employeurs des états membres pourraient publier leurs offres d’emploi. Elles y seraient mises en correspondance avec les profils de demandeurs d’emploi de pays extérieurs à l’Union européenne préalablement enregistrés. La Commission envisageait alors l’entrée en service de cette plateforme pour 2028. Dans son texte, elle estime que l’impact du dispositif pourrait permettre d’augmenter le PIB européen de près de 4 milliards d’euros. Il devrait aussi permettre un recrutement plus rapide, facile et efficace et offrirait une économie entre 74 et 78 millions d’euros aux employeurs (du fait de sa gratuité).

Les organisations syndicales européennes rappellent d’abord que les pénuries de main d’œuvre sont la conséquence de mauvaises conditions de travail, de relations d’emploi instables, de bas salaires, du sous-investissement des pouvoirs publics et des employeurs dans la formation ou encore de l’absence de convergence économique et sociale dans l’UE.

Des secteurs qui favorisent déjà l’emploi précaire

De plus, la plupart des secteurs en tension que vise le projet sont précisément ceux où les conditions de travail et les fraudes à la législation du travail sont nombreuses. La construction, l’agro-alimentaire, l’agriculture, l’industrie hôtelière et le transport reposent déjà sur une main d’œuvre mobile et sur de nombreux travailleurs migrants, souvent victimes de discriminations et d’exploitation dans un modèle économique qui repose sur un recours abusif à la sous-traitance et à l’intérim non régulé.

Or, le texte de la proposition définit les employeurs comme toute personne physique, toute entité légale, agence de recrutement privée, agence de travail temporaire et intermédiaire du marché du travail sans prévoir de critères ou de procédure de vérification de la qualité du dit employeur ou de son respect du droit du travail. Il n’est pas prévu d’exclure un employeur en cas de mauvaise conduite. La crainte est qu’une telle plateforme favorise le développement d’intermédiaires dans le recrutement, ce qui affaiblirait le lien entre l’employeur et le salarié et rend plus difficile la détection des abus.

Un impact sur les marchés du travail de tous les états membres

Même si le texte prévoit que les états membres rejoignent le dispositif sur une base volontaire, le recours à la plateforme aurait un impact sur l’ensemble des états. La CES constate en effet que déjà nombre de travailleurs migrants sont actifs dans un état qui n’est pas celui où ils sont légalement embauchés.

Enfin, les organisations syndicales européennes estiment que la proposition de « Talent pool » est prématurée et qu’il convient d’abord d’évaluer l’efficacité des législations nationales sur la protection des travailleurs migrants, de garantir que tous les travailleurs peuvent dénoncer et se défendre face aux violations des droits dont ils sont victimes et d’empêcher une fuite des cerveaux dont l’impact est considérable sur les pays en développement.

Dans une première critique la CES avait souligné combien la démarche ramène à des modèles antérieurs de migration de main d’œuvre conçus et dirigés par les employeurs, soulignant que les droits des travailleurs n’y étaient nullement protégés. Les politiques européennes devraient pouvoir promouvoir le travail décent, l’égalité de traitement, l’inclusion sociale ainsi que la prévention et la protection des travailleurs migrants contre l’exploitation et les abus.

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