À l’Est comme à l’Ouest, l’une des bêtes noires des régimes dictatoriaux a toujours été les syndicats libres et indépendants. Soumission ou répression, sans oublier les milliers de syndicalistes massacrés ou emprisonnés.
Les luttes du mouvement syndical ont payé un lourd tribut face à des dictatures civiles ou militaires n’étant que l’expression des grands propriétaires terriens, des capitaines d’industrie, des multinationales, mais aussi des régimes communistes. Les syndicalistes les plus chanceux ont réussi à partir sur le chemin de l’exil. Mais nombre d’entre eux ont passé de longues années dans les geôles, quand ils n’ont pas été purement et simplement liquidés.
Avec la naissance des « Démocraties populaires » dans l’Europe de l’Est en 1946-47, le mouvement syndical indépendant, puissant en Tchécoslovaquie et dans les grandes villes industrielles de Pologne et de Hongrie, a dû se fondre dans de vastes « Fronts du travail », dirigés par les communistes. En 1948, il ne restait plus que des syndicats officiels auxquels il valait mieux adhérer, sous peine de « gros problèmes ». Les syndicalistes refusant cette communisation ont tous fini en prison, souvent pour de longues années. Le syndicalisme soviétique s’est donc imposé dans tous les pays passant sous la coupe des communistes, en Europe orientale, mais aussi en Chine, au Viêt Nam, dans quelques pays d’Afrique et dans certains pays arabes. Bref, les courroies de transmission dans le monde ouvrier, mais surtout un outil de contrôle et de surveillance. Rapidement, les directions bureaucratisées de ces syndicats officiels vont s’enrichir et vivre dans le luxe. Avec la chute du mur de Berlin en novembre 1989, ces structures vont disparaître en se recasant dans l’économie grise, voire mafieuse. Les syndicats libres vont renaître avec une certaine vigueur dans les années 1990.
Quand le « Monde libre » n’est pas si libre
En Asie et en Amérique latine, le patronat, s’appuyant sur ses escadrons de la mort et l’armée quand il le faut, préfère les exécutions sommaires, assassinats de dirigeants syndicaux, ou massacres de masse de militants et de travailleurs en grève. Du nord du Mexique, au sud du Chili, les exemples sont trop nombreux pour être cités ici. Ce sont les travailleurs agricoles sans terre, d’Amérique centrale, du Brésil et des Andes qui compteront le plus de morts. Mais les mineurs, combatifs et bien organisés, auront aussi leur lot de martyrs. Parfois comme en Bolivie, ils défendront chèrement leur peau. Lors des coups d’État militaires au Brésil, au Chili, en Argentine, en Bolivie, en Uruguay, des dizaines de milliers de syndicalistes sont arrêtés dès les premiers jours des putschs. Des milliers seront exécutés sur place ou mourront sous la torture. Aujourd’hui encore, c’est la Colombie qui détient le record mondial d’assassinats de syndicalistes (2 400 entre 1991 et 2007). Mais l’Afrique et l’Asie ne sont pas en reste. En 1962, Au Burundi la plupart des syndicalistes de ce petit pays sont massacrés. Trois ans plus tard, avec le coup d’État du général Suharto en Indonésie, 500 000 communistes sont tués en quelques semaines, dont des dizaines de milliers d’adhérents au puissant syndicat qui regroupait 3 millions de membres. Plus près, en août 2012, la police sud-africaine, pourtant post-apartheid, tue sans sommation 32 mineurs, dont des syndicalistes. Aujourd’hui même, les mollahs font la chasse aux syndicalistes dans les grandes villes d’Iran.
Plus près de nous dans le sud de l’Europe, les syndicats ont souffert et souffrent des dictatures passées et présentes. Au Portugal jusqu’en 1974 et en Espagne jusqu’en 1975, les syndicats étaient intégrés à des structures corporatistes contrôlées par l’État sur le modèle mussolinien. Les syndicalistes qui n’avaient pas été fusillés par Salazar et Franco, ont survécu en exil. Les survivants sont rentrés au retour de la démocratie, participant à la refondation des centrales historiques. En Grèce, durant les dictatures (1947-1955 ; 1967-1974), l’État a pris le contrôle de la direction de la centrale syndicale unique (GSEE-GCTG), chassant les dirigeants de gauche, les emprisonnant, voire les tuant. En Turquie, la tragédie perdure jusqu’à aujourd’hui. À chaque coup d’État militaire (1960, 1971, 1981), la centrale la plus revendicative (Disk) est interdite, la Turk Iş tolérée et la Hak Iş encouragée car toujours proche du pouvoir. Mais aujourd’hui, après le pseudo coup d’État de juillet 2016, Le pouvoir a arrêté près d’un million de personnes dont des dizaines de milliers de syndicalistes, presque tous membres du Disk. Des centaines ont été lourdement condamnés et en novembre 2018, Abdullah Karacan, président de la fédé-chimie du Disk a été assassiné en pleine rue.
Dans la majorité des pays de la planète, le syndicalisme reste toujours une occupation des plus dangereuses.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly