Le tribunal administratif de Montpellier a, ce mardi, jugé l’Etat responsable du suicide de Jacques Bouille, l’ancien maire de Saint-Cyprien retrouvé pendu dans sa cellule le 24 mai 2009 à la prison de Perpignan. Suite à cette condamnation, les personnels pénitentiaires tiennent « à nuancer » et à livrer leur sentiment. A l’aune de leur quotidien méconnu, de l’autre côté des murs, de leurs difficultés et des actions qu’ils mènent pour éviter ce genre de drames. Dans l’ombre…
« J’ai entendu l’avocat de la veuve de Jacques Bouille qui porte la faute sur le personnel pénitentiaire. Je ne peux laisser dire une chose pareille parce qu’elle ne reflète pas la vérité », réplique ainsi Jérôme Capdevielle, secrétaire général adjoint du syndicat FO pénitentiaire. « Je ne commente pas une décision de justice. Elle s’impose à nous. Mais je souhaite apporter quelques éclairages. Un : le tribunal n’a pas visé la responsabilité directe d’un quelconque fonctionnaire de l’établissement. Deux : quand l’institution, et donc l’Etat, est reconnue coupable, ça ne veut pas dire que les agents le sont. Il n’y a pas eu manquement professionnel ».
Au contraire, poursuit-il, les syndicats s’inscrivent pleinement dans la lutte contre les suicides des détenus. « C’est un objectif constant pour les agents. Ce n’est jamais agréable de découvrir au petit matin un détenu pendu à une corde ou un bout de tissu. C’est à l’inverse traumatisant. Et c’est aussi un sentiment d’échec quand on arrive trop tard. Mais bien souvent, heureusement, on arrive aussi à temps… »
« Ressortir vivant »
Et de mettre ainsi en exergue le travail effectué pour endiguer les suicides. « Au quotidien, nous sauvons des vies. Il faut mettre ce chiffre en opposition avec le nombre de suicides. Même s’il faut avoir l’honnêteté intellectuelle et le courage de le dire, en prison comme dans la société civile, quelqu’un qui veut mettre fin à ses jours, il y arrivera. On n’est pas dans l’attente, les bras croisés. Cela ne colle absolument pas à la réalité. Il y a un élément fondamental dans le métier d’agent pénitentiaire. C’est le contact humain. Mais cela fait des années que l’on réclame les moyens matériels pour fonctionner. Il n’y a qu’un moyen pour lutter contre les passages à l’acte suicidaires. Ce n’est pas le kit antipendaison proposé par le ministère (qui n’a d’ailleurs pas empêché récemment un détenu de se pendre avec son pyjama en papier) mais avec un personnel en nombre suffisant, des moyens humains, pour que les agents aient le temps d’observer la population pénale, de communiquer et d’humaniser le contact entre les uns et les autres. Les agents courent après le temps. On passe parfois à côté de petits détails qui, si on avait suffisamment de recul, auraient peut-être pu désamorcer certaines situations. On est dans un dispositif chronophage, avec des effectifs calculés sur 39 h pas sur 35 h, et des agents qui sont systématiquement rappelés sur leur repos. Alors, la fatigue s’installe. On travaille dans l’urgence, dans le basique. Je peux comprendre la demande de Madame Bouille ou d’autres familles de détenus car nous avons un objectif commun : que quelqu’un qui s’amende de sa situation pénale puisse ressortir de prison réinséré véritablement et surtout vivant ».
L’indépendant – Edition du jeudi 21 avril 2011 par Laure Moysset
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