Services publics de proximité : des retours en trompe-l’œil sur le territoire

Depuis une vingtaine d’années, de multiples réformes, décidées au nom des économies budgétaires, ont détruit leur maillage territorial, leurs emplois, leurs implantations : les services publics de proximité, dépecés, ont donné tout leur sens à la réalité de la désertification des territoires. Sans recréer leurs implantations, sans leurs redonner tous leurs effectifs, les gouvernements successifs ont échafaudé dès les années 2000 des parades pour qu’existent encore ces services indispensables aux usagers. Les Maisons de services publics ont alors été créées, devenues désormais Espaces France Services. Sur le mode de la mutualisation de moyens, en regroupant les opérateurs et en n’offrant pas forcément toutes les prérogatives des anciennes structures de pleine compétence, ces Espaces sont censés « remplacer » les services originels. La Cour des comptes salue cette offre, et son développement. Mais elle appelle à augmenter les moyens de ces Espaces et note que l’État fait toujours peser sur d’autres que lui la « charge financière » de ces entités fourre-tout.

L’objectif, c’est l’efficacité de la dépense publique, et qu’il faille diminuer l’emploi public dans certains domaines, ça me semble évident. Ces déclarations datent de 2018 et émanent du Premier ministre d’alors, Édouard Philippe. Il présentait une nouvelle réorganisation territoriale des services de l’État ce qui visait, dans le cadre du plan Action publique 2022, 120 000 suppressions d’emplois publics. Avant cela, depuis 2007, il y avait eu la RGPP (révision générale des services publics) objectivant la suppression d’un emploi public sur deux. Il y avait eu, en 2010, la Reate (la réforme de l’administration territoriale de l’État), la MAP (modernisation de l’action publique), la réforme territoriale (engagée en 2014) et la loi Maptam (modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles), la loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République)… Un déluge de réformes visant les services publics, notamment de proximité, dans la réduction de leur voilure, leurs missions et leurs effectifs. Et tout cela avec des restructurations comprenant sur le territoire des fusions et suppressions de services.

Constat général d’une destruction

En 2013 déjà, FO dans son Livre noir de la RGPP calculait que 400 000 emplois publics seront ainsi détruits entre 2007 et 2013 dans la seule fonction publique de l’État. Au niveau des trois versants de la Fonction publique, 500 000 emplois publics (presque 10% de la Fonction publique) vont être anéantis en 6 ans : un véritable plan de destruction, en pleine crise de l’emploi et alors que les besoins publics des citoyens n’ont jamais été aussi importants. Dans chaque département, cela représente une suppression des 2/3 des effectifs publics sur cette période. La République est ainsi victime d’une désertification territoriale sans précédent de ses services publics et d’un plan social brutal d’une ampleur inégalée. En 2011, alors que services et implantations de pleine compétence ferment à tour de bras, ainsi par exemple 8 000 bureaux de poste en cinq ans ou encore 38% des tribunaux (38%), 84% des maires interrogés par l’association qui les regroupe (l’APVF) estiment que l’État ne joue plus son rôle, les missions et politiques publiques sont de moins en moins réalisées.

FO n’est donc pas la seule à pointer le problème. La Cour des comptes, elle-même, dans un rapport publié ce mois de septembre rappelle : Entre 2019 et 2022, 839 postes comptables ont été fermés. 14 % des effectifs dans l’administration territoriale de l’État (11 000 ETPT) ont disparu entre 2010 et 2022, en particulier dans les préfectures et sous-préfectures.

Les services publics de proximité implantés sur le territoire sont sortis essorés, laminés par toutes ces réformes décidées au nom de la réduction de la dépense publique. Le mot « désertification » des services devient alors tristement à la mode, avec en creux le constat du danger, pour l’ensemble de l’économie, d’une fuite des populations et des entreprises des territoires.

Un mouvement prétendant à une « réimplantation » de services va débuter à la fin des années 90. Il est question de la création de structures qui regroupent des services (de la Poste, des impôts, des agences pour l’emploi, des caisses d’allocations familiales…), mutualisent la présence de bouts de services, ouvrant quelques heures par semaine et présentant une forme variant selon les lieux. Les maisons de services publics naitront de la loi du 12 avril 2000… Et elles perdront vite en leur fronton le nom de services publics.

Fréquentation élevée des services : la preuve par les chiffres

La loi NoTRe de 2015 créera en effet les MSAP, les « maisons de services au public », reprenant ainsi le vocable utilisé dans le cadre de la Directive européenne des services de 2006. Exit le mot « services publics ». De 500 en 2016 on comptait 1 340 MSAP fin 2018, dont 500 MSAP postales.

En vingt ans, alors que se développaient parallèlement les services en ligne (les démarches administratives par internet), ces « maisons » sont devenues la panacée aux yeux des exécutifs, prétendant ainsi acter le retour d’une présence de services publics sur le territoire.

Dans son rapport publié en septembre sur le thème de ces « Maisons », actuellement appelées Espaces France services (2 840 sur le territoire dont 142 antennes et 136 mobiles), la Cour des comptes salue le gain quantitatif et qualitatif de cette offre de services publics de proximité, par rapport aux dispositifs antérieurs, et confirme qu’une majorité d’usagers sont satisfaits de la prise en charge assurée par les conseillers France services. On pourrait rétorquer, entre rien et l’apport de quelque chose, la deuxième proposition ne peut qu’être qu’appréciée !

Ces maisons répondent aux besoins de la population qui les fréquente, assure la Cour précisant qu’il s’agit plutôt de séniors, 58% des usagers ont plus de 55 ans, dont 56% des femmes. Le nombre de demandes traitées est passé de 1,17 million en 2020 à près de 9 millions à la fin de l’année 2023. Preuve que les usagers ont toujours autant besoin d’être renseignés et aidés pour leurs démarches envers les administrations. Preuve aussi de la nécessité d’une présence physique pour leur répondre. En tout, il n’y a cependant que 7 000 « conseillers » dans ces espaces (vingt-huit espaces par département) qui comptent jusqu’à neuf opérateurs, bientôt onze.

Même ces Espaces fourre-tout ont besoin de moyens !

Selon la Cour, il faut rapidement établir un scénario soutenable. Ce qui comprend notamment de renforcer la mobilisation des opérateurs, de mieux accompagner financièrement les porteurs des espaces très fréquentés et de davantage valoriser le métier des conseillers France. Et de noter au passage que les conseillers en question, soit des agents, doivent accompagner des usagers éloignés des pratiques numériques mais qu’ils ne peuvent les rendre plus autonomes sans l’appui des autres acteurs de l’inclusion numérique à l’échelle des départements. Traduction, la fracture entre usagers, née de la philosophie du « tout numérique » et pour des raisons d’économies budgétaires, perdure. Sans investissements supplémentaires pour la réduire, nombre d’usagers sont laissés sur le bord de la route. Cela induisant dans la population une inégalité d’accès aux services.

La Cour prône donc une hausse du financement du programme « Espaces France Services » qui en 2024 est de 350 millions d’euros (dont environ 113 millions au titre du budget général de l’État, représentant moins de 1% des crédits de paiement de la mission cohésion des territoires). Pour chaque structure (non postale), cela équivaut à un financement (par l’État et les opérateurs) de 35 000 euros (en 2023) note la Cour, rappelant qu’un financement de 50 000 euros est visé pour 2026. Preuve encore des besoins massifs en services publics sur le territoire et de la nécessité d’accorder encore plus de moyens à ces entités fourre-tout qui constituent désormais le seul lien concret entre les usagers et les services. Preuve aussi de l’aberration, que dénonce régulièrement FO, d’avoir dépecé au fil des années les services originels, eux de pleine compétence, et qui affichaient un maillage territorial qui avait fait ses preuves quant au service de proximité apporté à l’usager. Cerise sur le gâteau, (…) le financement national ne tient pas compte des situations de saturation de certains espaces » relève par ailleurs la Cour pointant le fait que « la charge financière pèse toujours davantage sur les porteurs locaux que sur l’État et ses opérateurs. Ce qui était le but de l’opération « maisons de services » engagée depuis plus de vingt ans !

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