[Sculpture] Christo est parti empaqueter le Paradis


L’œuvre de l’artiste plasticien-sculpteur d’origine bulgare est totalement unique dans l’histoire de l’art contemporain. Il a été le premier et le seul à empaqueter, emballer, décorer à sa manière de tels volumes, bâtis ou naturels.

Christo Javachev est né à Gabrovo le 13 juin 1935, la capitale de l’industrie textile du royaume de Bulgarie, au pied du massif du Grand Balkan, dans le centre du pays. Son père y était un industriel et sa mère, une slavo-macédonienne ayant fui la Grèce en 1913, après la seconde guerre balkanique. Elle deviendra secrétaire général de l’Académie des Beaux-arts de Sofia.

Le jeune Christo va donc passer sa jeunesse au milieu des peintres et des artistes. Pro-russe, mais dans le camp de l’Axe (Allemagne-Italie-Japon), la Bulgarie est occupée par l’Armée rouge dès octobre 1944. Son père, considéré comme un ennemi de classe, passera quelques années en prison dans une des centaines de camps ouverts dans tout le pays.

Christo entre aux Beaux-arts à Sofia en 1953 où il étudie l’architecture, la peinture et la sculpture. Mais l’étudiant n’est guère inspiré par le réalisme socialiste à la mode stalino-jdanovienne. Profitant du réchauffement des relations yougo-soviétiques, il quitte son pays en 1956 et se réfugie à Vienne. Deux ans plus tard, il débarque à Paris où il rencontre une rousse flamboyante, Jeanne-Claude, fille adoptive du général de Guillebon, directeur de l’école polytechnique. Mariée, elle divorce et se remarie avec le jeune réfugié apatride bulgare, l’année suivante.

Ils deviendront inséparables dans leurs créations artistiques d’empaquetage. Lui s’occupe des études, des dessins, des maquettes, elle de la réalisation concrète. Il peint alors quelques toiles abstraites et commence à empaqueter des petits objets : bouteilles, bidons, tables…

L’envol américain

En 1964, le couple s’installe à New-York et obtiendra la nationalité américaine. L’empaquetage sera désormais son unique signature. Il s’agit d’œuvres éphémères installées en général pour deux semaines mais qui demandent des années de préparation (autorisations, financements, ingénierie). Il va jeter son dévolu sur des bâtiments et des monuments, mais aussi des parcs et des paysages naturels.

Il s’apparente donc quelque part à l’école du « Land Art » [1]. En effet, l’artiste veut un art en dehors des musées et il insistera toujours sur le plaisir pris par l’homme de la rue en contemplant des œuvres artistiques. Son crédo est révolutionnaire : personne ne peut acheter, posséder, commercialiser, ni même vendre des billets d’entrée de son travail. Pour lui, ses mises en scène n’ont aucune fonction, ni aucun message à faire passer, même s’il y a de nombreux clins d’œil à l’histoire.

Ses énormes emballages coûtent très cher. Pour les financer, le couple vend ses études préparatoires : schémas, dessins, plans, maquettes, photos des chantiers. Son premier grand coup a lieu au Colorado le 10 août 1972 où il tend un rideau de 13 000 m2 orange sur 417 mètres de long et 111 de haut, « Valley Curtain ». Il réitère son exploit quatre ans plus tard avec « Running Fence » (Barrière qui court) au nord de San Francisco. Évocation à la grande muraille de Chine, il tend une toile de nylon blanc sur 40 kilomètres, de 5,5 mètres de haut, reliant ainsi la terre, la mer et le ciel.

Mais ce qui l’a fait vraiment connaître en France et en Europe c’est l’emballage du Pont Neuf à Paris et du Reichstag à Berlin. Dix ans de préparation pour le premier, vingt-cinq pour le second. Le Pont Neuf, le plus vieux pont de pierre de Paris (1578), c’est 40 000 m2 de toile couleur pierre, 13 000 mètres de cordes, 12 tonnes de chaînes et 3 millions de visiteurs du 22 septembre au 7 octobre 1985.

Le Reichstag, couleur aluminium, 23 juin-7 juillet 1995, 100 000 m2 de toile et 5 millions de visiteurs, est aussi un clin d’œil que peu de critiques d’art ont relevé : à Georgi Dimitrov et indirectement à son père [2].

Christo devait empaqueter l’Arc de triomphe de Paris ce printemps. Mais, pour cause de crise sanitaire notamment, le happening a dû être repoussé. Si tout va bien, le monument sera emballé du 18 septembre au 3 octobre 2021 dans une toile de couleur argent-bleuté entourée de cordes rouges. En attendant le Centre Pompidou va inaugurer l’exposition « Christo et Jeanne-Claude, Paris », retraçant la vie du couple à Paris de 1958 à 1964, ainsi que l’épopée du Pont Neuf [3], le 1er juillet prochain.


[1] Utilisation de la nature comme support : rochers peints dans les déserts, installations de sculptures dans des sites naturels…

[2] Le 27 février 1933, les nazis incendient le parlement et font porter le chapeau aux communistes, prétexte pour supprimer toutes les libertés publiques. Au procès, trois communistes bulgares dont Dimitrov qui réussira à déstabiliser Göring et sera acquitté. Il deviendra le secrétaire général du Komintern, l’œil de Moscou dans le monde, puis le premier dirigeant de la Bulgarie communiste en 1945 qui emprisonnera son père.

[3] N’oublions pas : « Surrounded Island », Miami, 1983 ; « Parasol Bridge », Japon-Californie, 1991 ; « The Gates », Central Park-New York, 2005 ; « The Floating Piers », lac d’Iséo-Italie, 2016.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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