Si elle entrouvre des portes sur le sujet des exonérations de cotisations patronales, la conférence sociale sur les bas salaires et les carrières du 16 octobre n’a pas apporté de réponse immédiate à l’urgence salariale. Minima conventionnels sous le Smic, tassement des grilles… aucune mesure d’application immédiate n’a été annoncée, malgré le contexte persistant d’inflation élevée.
Six mois après la dernière revalorisation du Smic, intervenue au 1er mai 2023, 56 branches (sur 170) sont toujours non-conformes, avec un ou plusieurs minima conventionnels inférieurs au salaire minimum légal. Mais le gouvernement, qui prétend se saisir du sujet, pour que le travail paye mieux, et pour relancer la promotion sociale, comme l’a expliqué en ouverture de la conférence sociale du 16 octobre la Première ministre Elisabeth Borne, est loin pour l’instant de répondre pleinement à la revendication FO d’une conditionnalité des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de ces branches. S’il reprend l’idée d’une sanction, il la circonscrit strictement aux « sept-dix branches » ayant des minima sous le Smic depuis plus de 18 mois, tout en différant son application. Sur le sujet des minima conventionnels infra-Smic, le ministère du Travail recevra prochainement toutes les branches (concernées) pour qu’elles s’expliquent sur leur retard, a annoncé Elisabeth Borne. Le gouvernement jaugera alors de la nécessité d’agir au 1er juin 2024 : à défaut de progrès significatifs dans lesdites branches, il proposera un texte de loi qui baserait le calcul des exonérations sur le minima de branche, et non plus sur le Smic. Pas de sanction immédiate, donc. Au plus tôt, en 2025.
Le tassement des grilles conventionnelles renvoyé à la création d’un Haut conseil pour les rémunérations
Rien de concret, non plus, pour les salariés qui subissent le tassement accru des grilles conventionnelles depuis 2021, du fait des revalorisations automatiques du Smic liées à l’inflation (nombre de branches s’étant contentées – au mieux – de réévaluer les premiers niveaux passés sous le Smic, sans revaloriser toute la grille ou en augmentant celle-ci de manière non-linéaire). Dans la matinée de ce même 16 octobre, le ministre de l’Economie Bruno Lemaire a notamment fermé la porte à toute indexation des salaires sur l’inflation, en clair à l’échelle mobile des salaires défendue par FO.
Quant aux autres revendications FO – instaurer une obligation de négocier les écarts de salaires lors des négociations annuelles, ou une obligation de fixer conventionnellement les éventails des minima par rapport au pied de grille –, lesquelles permettraient également de contrer le tassement des grilles conventionnelles, elles restent pour l’instant sans réponse aussi.
L’exécutif a préféré renvoyer le problème du tassement des grilles conventionnelle à la création d’un Haut conseil pour les rémunérations, qui devrait être acté par une loi et qui devrait également se pencher sur l’évolution des temps partiels subis, les contrats courts, le travail des femmes…
On court sans cesse après la hausse du Smic
Pas de quoi donc, en l’état et dans l’immédiat, améliorer le quotidien du nombre croissant de salariés se retrouvant « Smicardisés », du fait de l’augmentation des branches non-conformes ou des grilles conventionnelles tassées. Et ce, alors que l’inflation reste élevée, estimée fin septembre par l’Insee à 4,9% sur un an.
Dans les laboratoires de biologie médicale extrahospitaliers (50 000 salariés), sept coefficients, couvrant deux corps de métiers (aides-laboratoires, chauffeurs-routiers), sont sous le Smic. Cela ne s’est jamais vu. En janvier 2024, à la prochaine revalorisation du Smic, neuf coefficients au total devraient être rattrapés, dont les premiers coefficients de secrétaires. On court sans cesse après la hausse du Smic, dénonce Romane Patenotre, négociateur FO. Il avait obtenu fin septembre, des organisations patronales, une augmentation 2023 linéaire : 2,2% pour tous jusqu’au coefficient 350 (cadres). Mais deux syndicats ont fait valoir leur droit d’opposition majoritaire, et l’accord signé par FO est donc réputé non-écrit.
Les exonérations de cotisations sociales, seule boussole des patrons
Dans la branche de la sécurité privée (prévention-sécurité, NDLR), un tiers des 186 000 salariés relèvent actuellement de deux minima conventionnels inférieurs au Smic – respectivement de 56,04 euros bruts et de 33,88 euros bruts ! A moins d’un an des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, alors que la profession peine à recruter (20 000 postes actuellement non-pourvus), un accord salarial triennal a été, enfin, signé début octobre. Lequel devrait remettre la branche en conformité, avec une hausse linéaire en 2024 de 5%. Il prévoit aussi une augmentation de 3,2% en 2025, de 2,8% en 2026, et intègre une clause de revoyure en cas d’évolutions économiques défavorables. Reste que l’effort n’est pas suffisant pour redonner de l’attractivité au métier selon Dominique Deschamps, secrétaire fédéral chargé du secteur à la FEETS-FO.
La revalorisation 2024 compensera à peine l’inflation 2023. Et le premier minima de la grille (coefficient 120, NDLR) risque de rebasculer sous le Smic en janvier prochain, à sa prochaine revalorisation. On espérait une hausse plus substantielle, pour décoller les salaires conventionnels du Smic. Mais la pratique des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires est la seule boussole des patrons de la branche. Elle les incite à contenir la grande majorité des salariés au Smic, dénonce le militant FO, négociateur de branche. Il a néanmoins signé l’accord après consultation des adhérents : pour les salariés de la prévention-sécurité, un sou est un sou.
Branche des casinos : le ministre du Travail veut faire un exemple
En définitive, la seule sanction effective annoncée par l’exécutif aura été, quelques jours avant la tenue de la conférence sociale, le lancement de la restructuration de la branche des casinos (14 000 salariés), pour durabilité de non-conformité et aussi blocage du dialogue social. Le dernier accord salarial étendu date de janvier 2020, et six indices – sur trois niveaux – sont aujourd’hui infra-Smic. Sauf que cette fusion (en application de la loi d’août 2022) était un secret de Polichinelle, dans les tuyaux depuis fin 2022, rappelle Claude François, secrétaire de FO Casinos et clubs de jeux.
A l’époque, à deux reprises, les interlocuteurs sociaux de la branche avaient été avertis par le ministère du Travail que, faute de résultats, serait engagée la fusion de la branche des casinos, avec une branche aux conditions économiques et sociales analogues. En mai dernier, une lettre du ministre du Travail Olivier Dussopt les a officiellement avertis qu’il allait engager la procédure, si (la) situation de faiblesse de l’activité conventionnelle venait à perdurer jusqu’au 1er septembre. Le ministre du Travail veut faire un exemple, commente le militant FO.
Une paralysie organisée
A cette atonie, il y a de bonnes raisons estime le syndicat. Les grands groupes du secteur ont volontairement organisé la paralysie de la branche, pour maintenir au minimum du minimum les salaires conventionnels. Cela leur permet, par comparaison, de valoriser leurs politiques internes tout en maîtrisant les augmentations salariales qu’ils peuvent concéder. En branche, les négociations ne sont donc pas loyales, commente le militant FO. Première organisation du secteur (avec 31% de représentativité), FO Casinos et clubs de jeux est, elle, déterminée à défendre les spécificités des métiers et à se battre pour des augmentations pour tous les salariés, y compris ceux des casinos indépendants dont les hausses salariales sont largement dépendantes des accords de branche. Plus de 25% des salariés du secteur sont aux minima de branche, rappelle Claude François.
Depuis avril, FO a ainsi, par deux fois, activé son droit d’opposition (avec une autre organisation) face aux propositions patronales 2023 jugées trop insuffisantes et non-proportionnées ni aux conditions de travail difficiles des salariés, ni à l’inflation (…), ni aux difficultés de recrutement. Les dernières propositions patronales valorisaient notamment la majoration de l’heure de nuit à 45 centimes en 2023 (et à 50 centimes en 2024) : une insulte faite aux salariés, et un manque de considération totale pour FO. Concernant les minima conventionnels, elles se résumaient à une mise en conformité des indices infra-Smic, au risque d’un nouveau tassement de la grille. A croire que la partie patronale recherche la restructuration… FO n’est pas représentative dans la branche d’activité avec laquelle le ministère du Travail envisagerait de fusionner la branche des casinos, précise Claude François.
Chose certaine, la restructuration de la branche des casinos, ne serait pas d’application immédiate. Le processus pourrait démarrer à partir de janvier prochain, indique FO Casinos et clubs de jeux.