Dossier de l’InFO militante n°3412 publié le 16 octobre 2024
En 2023, l’exécutif formulait son ambition industrielle pour la France, en fixant l’objectif de porter la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) de 10 % à 15 % en 2035. Un an après, cette priorité semble déjà remisée. Le Projet de loi de finances pour 2025 impose la rigueur alors même que le ciel s’obscurcit pour le site France. Illustration avec les ouvertures d’usines qui se réduisent et le retour des délocalisations dans la filière automobile, cela sur fond de fin programmée du moteur thermique et de montée de la concurrence chinoise. Pour FO, il faut d’urgence prendre des mesures d’envergure au risque, sinon, de voir disparaître des pans entiers de l’industrie. Elle appelle à une politique claire priorisant la réindustrialisation, et exige la conditionnalité des aides publiques aux entreprises. Le 8 octobre, une délégation FO a été reçue au ministère de l’Industrie.
Il est illusoire de penser réindustrialiser le pays si l’État n’est pas capable de préserver les emplois et les sites existants ! C’est l’un des messages qu’a tenu à faire passer la délégation FO, qui a rencontré, le 8 octobre, le nouveau ministre délégué chargé de l’Industrie. Elle était composée du secrétaire général de la confédération, Frédéric Souillot, d’Hervé Quillet, secrétaire général de FO FédéChimie, et de Valentin Rodriguez, secrétaire général de FO Métaux. Ce dernier, quelques jours plus tôt, avait écrit une lettre ouverte au ministre délégué, lui demandant la mise en œuvre rapide de mesures d’envergure. Car, au moment même où la fragile réindustrialisation s’enlise [le solde net de créations de sites industriels est quasiment nul au premier semestre 2024, NDLR], voilà que la filière automobile, qui compte 400 000 emplois directs, commence à dévisser.
Baisse des ventes et donc des productions automobiles, marche forcée vers la production de véhicules électriques d’ici 2035 alors que la demande est atone, décarbonation des sites, arrivée des constructeurs chinois sur le continent : face aux difficultés et contraintes qui se cumulent, les équipementiers français commencent à multiplier les plans sociaux et/ou à délocaliser les productions thermiques vers les pays à bas coût. Fin septembre, dans sa résolution, le Comité national confédéral (CCN) dénonçait les dizaines de milliers d’emplois menacés (dans la filière) entraînant avec elle des pans entiers de l’industrie : la plasturgie, le verre, la chimie…
FO attentive au devenir des annonces sur l’ambition industrielle
Dans ce contexte, les choix budgétaires portés par le Projet de loi de finances (PLF) pour 2025, présenté le 10 octobre, ajoutent aux inquiétudes. Car ils soufflent le chaud et le froid pour l’industrie : ils maintiennent le programme d’investissement « France 2030 » et le Crédit d’impôt recherche (CIR). Parallèlement, ils alourdissent le malus écologique pour l’achat de voitures à moteur essence ou diesel (représentant 83 % du marché), rabotent le bonus pour l’achat de véhicules électriques ou encore, au grand dam des industriels concernés, réduisent le programme « MaPrimeRenov’ » destiné à encourager la rénovation énergétique. S’y ajoute une inflexion de la politique de l’offre en soutien des entreprises, par la révision du dispositif d’allégements de cotisations sociales sur le travail « non qualifié », que le patronat dénonce, estimant que celle-ci affecterait la compétitivité des entreprises. Le PLF 2024 avait modifié à la baisse le mode de calcul des allégements de cotisations sur le travail qualifié, concernant très directement l’industrie.
Avant même ce PLF 2025, certains experts* jugeaient irréaliste l’objectif de relever de 10 à 15 % (moyenne européenne) la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB). C’est toutefois l’ambition formulée par l’exécutif en 2023 dans son projet de loi « Industrie verte ». Le cap à atteindre en 2035. Infaisable en dix ans, expliquent ces experts. La marche est trop haute, la France étant, parmi les grands pays industrialisés, celui qui a subi la plus forte désindustrialisation (2,5 millions d’emplois disparus entre 1975 et 2009). Et sa contre-offensive est récente : bien que tous les gouvernements affichent leur volontarisme sur le sujet depuis les états généraux de l’Industrie en 2009, il a fallu la pandémie de Covid-19 en 2020 pour qu’un consensus émerge sur l’idée que la reconquête de la souveraineté économique va de pair avec la réindustrialisation.
Le plan d’investissement « France Relance » de 2020 a voulu incarner ce sursaut, avec son enveloppe de 100 milliards d’euros sur deux ans (86 % étant financés par l’État), dont 30 milliards pour la transition écologique et 34 milliards pour la compétitivité et pour accélérer l’investissement dans les secteurs innovants. Les entreprises se sont vu annoncer un nouveau coup de pouce fiscal, une baisse de 20 milliards d’euros des impôts de production, initialement prévue sur deux ans par la suppression de la CVAE en 2024 (la suppression a ensuite été reportée, et le PLF 2025 prévoit d’annuler cette suppression). Ce coup de pouce fiscal participait de la poursuite de la politique de l’offre, qui est l’un des principaux leviers de la politique industrielle depuis quinze ans. Le second étant la politique des filières, construite collectivement par le dialogue entre industriels, représentants des salariés, et pouvoirs publics. Sauf que les résultats ne sont toujours pas là : depuis quinze ans, la part de l’industrie dans le PIB stagne à 10 %. Et la balance commerciale française reste déficitaire (de plus de 60 milliards d’euros encore en août dernier). En clair, si l’industrie croît en volume, cette croissance reste globalement équivalente au reste de l’économie. Et très inférieure à celle des autres pays européens.
Conditionner au maintien de l’emploi les aides publiques aux entreprises
D’où l’inquiétude actuelle des équipes FO, alors que la réindustrialisation marque le pas (après environ 100 créations nettes d’usines par an, entre mi-2020 et mi-2022) et que la très structurante filière automobile est en difficulté. La France est à un moment charnière, notamment pour l’industrie automobile et la sidérurgie, qui risquent des pertes d’emplois sévères. Il faudrait retrouver les montants d’investissements du plan France Relance de 2020 et soutenir tous les secteurs industriels, commente le secrétaire général de FO Métaux, rappelant l’importance d’une politique de soutien globale dans le cadre de la transition climatique et énergétique. Ce qui passe entre autres par un prix de l’électricité compétitif, pour faciliter notamment la décarbonation, un renforcement de l’appareil de formation, etc. Bien que la rigueur budgétaire semble devoir empêcher toute rallonge, FO appelle au maintien de l’effort de soutien public à l’industrie et continue d’exiger la conditionnalité, notamment au maintien de l’emploi, des aides publiques aux entreprises, ainsi qu’un meilleur ciblage des sociétés bénéficiaires. Une nécessité, comme le montre le retour des délocalisations dans la filière des équipementiers automobiles.
* Tel Olivier Lluansi, enseignant à l’École des Mines de Paris, auteur d’un rapport sur la réindustrialisation de la France à l’horizon 2035, commandité fin 2023 par l’exécutif et non rendu public.
Dans la filière automobile, la peur d’une hécatombe sociale
Stop aux délocalisations chez Valeo ! Le 15 octobre, le syndicat FO de l’équipementier automobile français organisait une conférence de presse dans les locaux de la fédération FO Métaux à Paris, pour dénoncer la logique financière court-termiste qui conduit Valeo à réduire son empreinte industrielle et son pôle Recherche & Développement en France au profit de pays à faible coût de main-d’œuvre comme la Turquie, la Hongrie, la Pologne ou la République tchèque… Depuis mi-2023, l’équipementier a conduit quatre plans sociaux, visant au total 500 suppressions de postes à Amiens (Oise), Créteil (Val-de-Marne), Cergy (Val-d’Oise) et La Verrière (Yvelines). Cet été, il a engagé la vente de trois sites employant un millier de salariés, à La Suze (Sarthe), Saint-Quentin-Fallavier (Isère) et encore La Verrière. D’autres annonces sont attendues le 21 octobre au prochain comité européen, prévient Bertrand Bellanger, coordinateur FO Valeo, qui anticipe de possibles fermetures de sites. Il appelle les pouvoirs publics à se mobiliser pour protéger les emplois des salariés de Valeo et de l’ensemble des acteurs de la filière automobile en France.
Le tournant de l’été 2024
Car la filière est bel et bien entrée dans la tempête. Face à la chute des ventes automobiles depuis quatre ans, les constructeurs ont choisi de faire tourner leurs usines au ralenti ; entre autres « solutions » : l’arrêt temporaire de production, la suppression d’équipes, le soutien public via l’APLD (Activité partielle de longue durée). Mais les équipementiers et fournisseurs sonnent aujourd’hui la fin de la partie. Ils délocalisent, licencient ou mettent la clé sous la porte, selon leur importance et leur place dans la chaîne de valeur. Les fournisseurs de rangs 2 et 3, déjà asphyxiés, sont durement impactés, note Bertrand Bellanger.
Depuis le début de l’été, la liste des licenciements s’allonge. Ils concernent la totalité des effectifs chez Imperiales Wheels (176 salariés) et Pullflex (56 salariés) en Indre-et-Loire, à l’usine Bosch de Mondeville (413 salariés) dans le Calvados, 40 % des 584 emplois chez Dumarey Powerglide dans le Bas-Rhin, etc. Les plus gros ne feront pas exception : Forvia (ex-Faurecia) veut se délester de 10 000 postes en Europe d’ici 2028 ; le 8 octobre, Michelin a annoncé la mise à l’arrêt temporaire de plusieurs usines en France, dont trois seraient sur la sellette. Le changement de posture est tel que, en septembre, le patronat des industries des équipements pour véhicules disait craindre que ce secteur ne perde plus de 50 % de ses 56 000 emplois en France sur les cinq ans à venir.
Délocalisations : l’effet d’opportunité
En amont, les entreprises de plasturgie, du verre, du textile accusent le coup et en profitent pour se réorganiser. Le nombre de plans sociaux annoncés est en hausse. Il y a un effet d’opportunité lié à la baisse des volumes automobiles et à la fin du soutien public via les dispositifs APLD, constate de son côté Pascal Miralles, secrétaire fédéral chargé de la chimie à la Fédéchimie FO. Signe révélateur, selon lui, la récente décision de Novares, fabricant de pièces plastique, de fermer son site d’Ostwald (122 emplois) dans le Bas-Rhin, Stellantis ayant décidé de ne plus leur attribuer de nouveaux marchés. Sauf que, précise-t-il, cette décision intervient aussi alors que deux usines neuves Novares sont sorties de terre en République tchèque et en Chine. Il rappelle qu’en 2020, Novares a obtenu un prêt de plus de 70 millions d’euros garanti par l’État. Face à la casse sociale qui s’annonce, Pascal Miralles a particulièrement souligné, lors du Comité confédéral national (CCN) de Carcassonne fin septembre, la nécessité de mettre le gouvernement face à ses responsabilités. C’est chose faite depuis le 8 octobre : le secrétaire général de la confédération, Frédéric Souillot, et les secrétaires généraux de FO Métaux et de la Fédéchimie ont longuement rencontré le ministre délégué chargé de l’Industrie.
Annonce d’un PSE drastique chez Saunier Duval
Quelque 225 emplois supprimés sur 730, telle est l’ampleur du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) annoncé en juillet chez Saunier Duval à Nantes. Un véritable coup de massue pour les salariés de ce producteur de chaudières et pompes à chaleur. C’est vrai qu’il y a une baisse des commandes, reconnaît Bruno Hatton, secrétaire général adjoint départemental de la fédération FO Métaux. Dans la presse, la direction a évoqué une chute brutale de 40 % à l’été 2023. L’an dernier, dès octobre, des mesures de chômage partiel avaient été mises en place. Certes, mais… La direction, qui a annoncé ce PSE au cœur de l’été, explique aussi qu’une reprise pourrait avoir lieu d’ici à fin 2025. Alors pourquoi envisager de licencier maintenant ? poursuit le militant.
Depuis l’ouverture des négociations du PSE le 6 septembre dernier, le syndicat FO de Saunier Duval bataille pour qu’il n’y ait ni licenciement ni départ contraint. Un rassemblement a été organisé à l’entrée de l’usine le 9 septembre afin d’informer l’ensemble des salariés. Les syndicats ont par ailleurs alerté la préfecture de Loire-Atlantique et les élus locaux.
La crainte d’une délocalisation
Ce qui interpelle singulièrement dans ce cadre de diminution annoncée de l’emploi, c’est aussi le caractère paradoxal de la situation… En effet, en avril dernier, le ministère de l’Économie annonçait un plan pour faire émerger de nouvelles usines de production de pompes à chaleur en France, avec l’objectif de créer 47 000 emplois. Ce plan prévoit également des aides à l’installation de pompes à chaleur produites en France mais aussi en Europe. À Nantes, on craint une future délocalisation. Et pour cause : Saunier Duval possède également une usine en Allemagne, et une en Slovaquie, où les coûts de production sont inférieurs à ceux de la France, observe Bruno Hatton.
Créée en 1907, l’entreprise a installé son usine en plein cœur de Nantes en 1964. Au plus fort de son développement, Saunier Duval employait 1 200 salariés à la fin des années soixante. Tombé à moins de 500 en 2012, l’effectif était remonté à 900 salariés en 2023 (dont 750 à la production). Entre-temps, le site sera passé entre les mains de plusieurs groupes (le français Saint-Gobain, le britannique Hepworth, puis l’allemand Vaillant). Numéro un mondial des chaudières à gaz en 2011, Saunier Duval a également fabriqué des panneaux solaires et s’est lancé depuis dix ans dans la production de pompes à chaleur. Jusqu’à atteindre une capacité de 120 000 unités par an.