Quand le Tour innove…

La neuvième étape du Tour 2024, tracée autour de Troyes, empruntera cet été des chemins blancs de vigne pour la première fois de l’histoire de l’épreuve. Une innovation qui n’est que la dernière d’une longue liste, car depuis sa création, en 1903, la Grande Boucle n’a évidemment eu de cesse d’évoluer, d’essayer des choses, de chercher à rompre la monotonie ou à pimenter le spectacle. En cent onze éditions, ces innovations ont parfois changé à jamais le visage du Tour ou ont été fondamentales pour relancer le spectacle, mais elles ont pu aussi tourner au fiasco. Petit florilège.

1923 : les bonif’, un débat jamais refermé

Vingt ans après sa création, le Tour de France n’est déjà plus une épopée d’aventuriers solitaires un peu dingues. La montagne a vite intégré le parcours, qui s’est standardisé en un chemin de ronde le long des frontières du pays, et les arrivées se font de plus en plus souvent en peloton groupé, ce qui agace l’inventeur et patron de l’épreuve, Henri Desgrange. Pour secouer tout ça, une idée est alors essayée : offrir aux vainqueurs d’étape une bonification (c’est-à-dire un gain de temps au classement général) de deux minutes. Las, deux ans plus tard, l’idée n’a pas métamorphosé la course et est abandonnée. Mais elle est bien vite reprise, et ne va quasiment plus disparaître du Tour tout en étant maintes fois remodelée, jusqu’à la formule actuelle, qui accorde 10, 6 et 4 secondes aux trois premiers de chaque étape en ligne. Si installées qu’elles semblent faire partie des meubles, les bonif’ n’ont pourtant jamais cessé d’être débattues, leur impact réel sur la course faisant partie des questions insolubles et éternelles du cyclisme.

1934 : contre-la-montre et contre soi-même

Au début des années 1930, le contre-la-montre individuel fait son trou dans l’univers cycliste et convainc les organisateurs du Tour d’en prévoir un au parcours de l’édition 1934. Le tout premier « chrono » de l’histoire de la Grande Boucle relie La-Roche-sur-Yon à Nantes. Sur 90 kilomètres, le succès populaire et sportif est tel qu’il n’y aura dès lors plus un seul Tour de France sans étape chronométrée, que ce soit en individuel ou par équipes. Mais son importance a tout de même nettement diminué au XXIe siècle, ses détracteurs lui reprochant notamment de creuser de trop grands écarts, que la montagne ne suffit plus à combler, entre les meilleurs. De fait, alors qu’il y avait souvent plus de 200 kilomètres face à la montre au menu des Tours des années 1980, on ne dépasse plus que rarement les 50 bornes aujourd’hui.

1952 : rendez-vous au sommet

Le Ballon d’Alsace dès 1905, les Pyrénées en 1910, les Alpes en 1911… La montagne fait partie de l’ADN du Tour depuis toujours. Mais longtemps, départs et arrivées se sont exclusivement faits en plaine, les cols n’étant grimpés que pour être aussitôt redescendus. En 1952, changement radical : le parcours propose trois arrivées « au sommet », à l’Alpe d’Huez, à Sestrières et au Puy-de-Dôme. Trois victoires de Fausto Coppi plus tard, le bilan est mitigé – ce format ne favorise-t-il pas forcément le plus fort, au détriment du suspense ? – mais la graine est plantée pour toujours. Petit à petit, les arrivées au sommet vont devenir les rendez-vous les plus importants du Tour de France, les lieux des batailles épiques entre les candidats au maillot jaune.

1978 : grandeur et décadence des demi-étapes

Comment faire étape dans le plus de villes possible sans faire durer le Tour de France trois mois ? Imaginée dans les années 1930, une solution va s’imposer après-guerre : les demi-étapes. Il est ainsi proposé aux coureurs deux, voire trois étapes dans la même journée – ce qui va grandement rogner leur temps de sommeil, bien sûr, et rallonger les transferts en bus ou en voiture – pour toujours plus de spectacle. Généralisée, la pratique tourne à l’abus (six journées ainsi coupées en deux en 1973) et finit par provoquer la colère des premiers concernés. Le 12 juillet 1978, à Valence-d’Agen, où est prévue l’arrivée de la première demi-étape du jour, les coureurs mettent pied à terre pour protester. Anonyme du peloton, André Chalmel résume l’opinion générale : Nous ne sommes pas des bêtes de cirque que l’on exhibe de ville en ville. La grève marque les esprits, et si quelques demi-étapes sont encore organisées pendant quelque temps, elles disparaissent définitivement à l’orée des années 1990.

2018 : une grille… pour quoi faire ?

Au XXIe siècle, le cyclisme change encore, bien sûr, mais il devient de plus en plus difficile de vraiment innover pour les organisateurs du Tour. Avant les chemins blancs de cette année, une tentative eut quand même lieu en 2017 : une étape en ligne de 65 kilomètres seulement, avec départ arrêté. Alors que les coureurs s’élancent d’habitude pour un défilé de quelques kilomètres (on appelle ça le départ fictif) avant de franchir la hauteur du kilomètre zéro (le départ réel) au sein d’un peloton déjà lancé, le coup de pistolet de départ est cette fois donné alors que les coureurs sont à l’arrêt. Pour marquer le coup, une grille de départ, façon Grand Prix de Formule 1, est même tracée au sol afin d’y placer les premiers du classement général. Beaucoup d’artifices pour pas grand-chose : le départ se fait très tranquillement et n’aura aucune incidence sur l’issue de la journée. À peine inventée, la grille de départ sera aussitôt remballée dans un carton et rangée dans la cave des innovations oubliées du Tour.

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