Quand le Moyen-Orient courtise la petite reine


Sport et politique ont toujours été liés depuis l’Antiquité grecque, pour le meilleur et pour le pire [1]. Aujourd’hui, la géopolitique moyenne-orientale s’invite sur le Tour, mais simplement à la force du mollet.

Les Grecs ont inventé les Jeux olympiques, synonymes de trêve. Les Cités-États se combattaient alors dans le stade, plutôt que sur le champ de bataille. Mais avec les JO modernes la politique a fait son retour. En 1936, Hitler utilise les JO pour promouvoir son régime. En 1972, un commando palestinien de « Septembre noir » tue onze cadres et sportifs israéliens. En 1980, les Occidentaux boycottent les JO de Moscou qui boycottera à son tour, avec ses alliés, les JO de Los Angeles en 1984. Et que dire de la « guerre du football » en 1969 entre le Salvador et le Honduras, ou du match de foot Zagreb-Belgrade le 13 mai 1990, prodrome des guerres civiles yougoslaves (1991-2001).

Souvent, les compétitions sportives attisent le chauvinisme, premier pas vers le nationalisme. Si cela se constate parfois dans le monde du foot, en revanche, dans le cyclisme, le combat se déroule à fleuret moucheté, beaucoup plus discret.

Le sport professionnel devenant un enjeu de communication et de rentabilité, les monarchies pétrolières ont décidé d’y investir depuis une bonne vingtaine d’années. Le Qatar a acheté le PSG et les pétro-dollars coulent dans les grands clubs européens. Mais les autres princes ont compris que le vélo était aussi un sport très populaire. Les trois grands tours (Tour de France, Giro italien, Vuelta espagnole) sont retransmis de par le monde, générant des bénéfices publicitaires, mais aussi une notoriété qui est désormais utilisée comme un moyen de communication politique.

Des équipes et des tours

Les monarchies du Golfe étant souvent ennemies, quand le Qatar a investi dans le foot, ses voisins émiratis et bahreïnis ont enfourché le vélo. Et c’est l’Italie qui va servir de cheval de Troie à l’arrivée du conflit israélo-arabe dans le monde du cyclisme. Le Bahreïn, sous la houlette du prince Nasser ibn Hamed al Khalifa, est le premier à se lancer dans l’aventure cycliste en créant en 2016 la Bahrain-Mérida avec nombre de coureurs italiens. Trois ans plus tard, elle prend le nom de Bahrain-Mc Laren. En effet, le fonds souverain bahreïni est majoritaire dans la société Mc Laren de formule 1.

Les voisins des Émirats arabes unis, rachètent en 2017, via la First Abu Dhabi Bank, l’équipe italienne Lampre (équipe pro de 1990 à 2016) qu’ils rebaptisent UAE Team Emirates et s’offrent de très bons coureurs (Kristoff, Gaviria, Aru, Pogacar, Rui Costa). Sachant qu’il n’y a aucun cycliste arabe moyen-oriental de haut niveau, les princes s’offrent de bons coureurs européens et sud-américains. C’est ainsi qu’en trois ans, le palmarès de ces deux équipes du Golfe est plus qu’honorable.

Voyant que les monarchies pétrolières font de la communication politique pacifique et populaire via le monde de la petite reine, Israël décide de contre attaquer. L’idée est venue du milliardaire israélo-canadien, Sylvan Adams, ancien coureur professionnel. En 2015, il fonde Israel cycling academy qui participe à des courses de deuxième division (Continental). Mais en 2019, cette dernière devient Israël start-up nation, passant dans la catégorie des grandes équipes (UCI world team) lui permettant ainsi de faire son entrée cette année, pour la première fois, sur le Tour de France. À noter que Sylvan Adams est aujourd’hui présent dans les voitures des suiveurs.

Deux citoyens israéliens font partie de cette équipe qui va s’offrir l’an prochain les services de Christopher Froome, quadruple vainqueur du Tour ! Là encore, Israël a utilisé l’Italie comme marchepied dans cette compétition politico-sportive pacifique. En effet, à la surprise générale, la 101e édition du Giro est partie le 4 mai 2018 de Jérusalem ouest, avec trois étapes en Israël, avant de rejoindre le sud de la Botte italienne.

Les monarchies du Golfe avaient pris une tête d’avance en organisant leur propre tour. C’est ainsi que l’Arabie saoudite avait organisé le Saoudi-tour de 1999 à 2002, puis en 2013, mais ouvert essentiellement à des semi-pros en provenance des pays arabes et musulmans.

En 2020, le Saoudi-tour a été repris en main par l’organisation ASO (Amaury sport organisation), la patronne du Tour de France, et donc professionnalisé. ASO avait déjà organisé le tour du Qatar de 2002 à 2016, avec même un tour du Qatar féminin de 2009 à 2016. Depuis 2010, ASO organise aussi le tour d’Oman et le tour des Émirats, depuis 2019.

Outre les retombées publicitaires (sponsoring, droits TV), ces épreuves tombent à pic pour la reprise de la saison. En effet, elles ont lieu en février sous une température clémente, avec des routes impeccables et une sécurité maximale. D’autant que pour les grandes équipes, la région est à 3-4 heures de vol, évitant ainsi les longs déplacements vers l’Australie, la Californie ou la Colombie. Les coureurs sont d’ailleurs friands de cette remise en jambe sous les palmiers.

Espérons que la colombe, symbole de paix, reste au-dessus de la tête de ces compétitions, et mieux, si cela était l’occasion de renouer avec le concept antique de trêve olympique…


[1] À lire : Sport et politique en Méditerranée , Paris, L’Harmattan, 2004, 246 p.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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