PSE abusif : la justice désavoue Just Eat Takeaway

Le tribunal administratif de Paris vient d’annuler le plan social décidé en début d’année par la plateforme de livraison de repas. Celui-ci avait abouti au licenciement de 117 personnes et mis fin au modèle salarié de Just Eat, seule plateforme qui se targuait d’embaucher ses livreurs en CDI et non en tant qu’indépendants, avant de se révéler peu respectueuse des droits sociaux de ses salariés. Le retour à un modèle d’auto-entreprenariat semble se profiler, alors même qu’une directive européenne vient d’instaurer une présomption de salariat dans le secteur.

Un plan social injuste, contrevenant aux engagements pris par la société Just Eat Takeaway : l’abus que dénonçait FO depuis de longs mois a été reconnu par le tribunal administratif de Paris mi-novembre. Début 2024, la plateforme de livraison de repas avait annoncé sa décision de licencier l’ensemble de ses salariés restants, au nombre de 117 – un premier plan social avait déjà coûté leur emploi à plus de 300 personnes en 2022. Mais la direction de la société s’était engagée à ne pas mettre en œuvre de nouvelle procédure de licenciement collectif pour motif économique pendant une durée de deux ans à compter du 21 décembre 2022, a rappelé le tribunal : Just Eat a donc piétiné un accord collectif, ce qui rend irrecevable le PSE de 2024.

Une bonne nouvelle à double titre, détaille Jérémy Graça, délégué syndical FO dans l’entreprise : D’une part, on considère que le plan social n’est pas justifié, et d’autre part cette décision met fin au stress insoutenable de nos collègues sans-papiers, qui étant licenciés se retrouvaient en difficulté pour se faire régulariser. Prochaine étape pour les salariés dont le licenciement est annulé : direction les prud’hommes, où ils demanderont soit leur réintégration dans l’entreprise, soit des dommages et intérêts.
Selon Jérémy Graça, qui s’est rendu récemment au siège international de Just Eat Takeaway à Amsterdam (Pays-Bas), l’idée d’une réintégration des salariés s’avère peu réaliste. La direction a déjà vendu les locaux de la partie logistique, et elle compte toujours arrêter les activités salariées en France.

Le risque d’un nouveau plan social

Dans les prochains jours, une réunion du CSE permettra d’y voir plus clair dans les intentions de la direction. Il y a des chances pour qu’elle ne perde pas de temps à faire appel de la décision du tribunal, mais qu’elle fasse un nouveau plan social, anticipe Jérémy Graça. L’accord collectif bloquant tout PSE arrive en effet à échéance dans moins d’un mois. Just Eat Takeaway assume désormais sa volonté de revenir au même modèle que celui des plateformes concurrentes, celui du recours à des travailleurs indépendants – qui, le plus souvent, ne le sont pas réellement et subissent à la fois les inconvénients de l’indépendance et ceux de la subordination salariale.

Dans un secteur particulièrement décrié pour ses conditions de travail indignes, Just Eat voulait faire figure de bon élève. En 2021, la plateforme avait annoncé en grande pompe son projet vertueux de n’employer ses livreurs qu’en CDI. Elle ne fait finalement qu’orchestrer une casse sociale différente, sans considération pour les travailleurs. Comme ils ont peur de perdre du terrain sur les concurrents, ils veulent les mêmes armes, comme ils disent, expose Jérémy Graça. Cela se fait forcément au détriment des salariés et des travailleurs, mais pour eux ce sont des dommages collatéraux, c’est la vie d’une société : l’humanité passe au second plan.

Une filiale revendue onze fois moins cher

À la fin du printemps, une directive européenne a pourtant été adoptée dans le but de réguler l’économie de plateformes, notamment en y imposant une présomption de salariat afin de protéger les travailleurs d’un « troisième statut » abusif entre salarié et indépendant. Qu’à cela ne tienne : Eux considèrent que la directive va mettre longtemps à s’appliquer, et que les concurrents actuellement ne la respectent pas, explique Jérémy Graça. Une stratégie court-termiste qui acte la rupture de Just Eat avec son ancienne ambition d’incarner un modèle plus respectueux des travailleurs.

La direction internationale de Just Eat à Amsterdam nous explique que le modèle salarial est obsolète dans ce milieu, mais c’est faux, insiste Jérémy Graça. Il en veut pour preuve le destin de Grubhub, la filiale américaine de Just Eat Takeaway, qui ne travaillait qu’avec des indépendants. Mi-novembre, la multinationale a annoncé revendre Grubhub pour 650 millions de dollars – soit onze fois moins que les 7,3 milliards qu’elle avait déboursés en 2021 pour l’acquérir. Grubhub était deuxième du marché quand Just Eat l’a rachetée, puis elle est passée en quatrième place, assène Jérémy Graça. La direction devrait d’abord revoir sa stratégie marketing et commerciale avant de parler du modèle salarial.

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