Alors que dans son premier rapport, le Conseil national de la productivité s’interroge sur le cas de la France au plan de sa productivité et de sa compétitivité dans la zone euro, le gouvernement lance des discussions pour la construction d’un Pacte productif censé amener au plein emploi en 2025. Dans ce questionnement général, le thème du coût du travail est toujours l’invité. Dans le même temps, la Cour des comptes pointe du doigt des dérogations accordées aux entreprises et qui pèseraient sur les comptes publics sans pour autant prouver leur efficacité.
« Productivité et compétitivité : où en est la France dans la zone euro ? » c’est la question à laquelle tente de répondre le premier rapport du Conseil national de productivité (CNP créé en juin 2018 au sein de France Stratégie) publié cet été. Les auteurs indiquent d’emblée que la productivité a ralenti dans les pays de l’OCDE « depuis la fin des années 1990 ».
Pour quelles raisons ? Ce ralentissement serait dû soit à « une faiblesse persistante de la demande », « un excès d’épargne au niveau mondial » ou encore à « un ralentissement simple du progrès technologique ». Ralentissement qui ne serait toutefois que temporaire. Or, comme l’ensemble des pays « développés » la France est concernée pas ces « facteurs » entrainant un ralentissement de la productivité.
Mais pour la France il y aurait des causes spécifiques. Les auteurs pointent ainsi des « compétences de la main d’œuvre plus faibles que la moyenne de l’OCDE et sans guère d’amélioration » Cela proviendrait selon eux d’un problème dans le système de l’éducation mais aussi d’un manque de formation au fil de la carrière ou encore de mauvaises pratiques de management. Les auteurs déplorent aussi le retard en France dans « l’adoption et la diffusion des TIC », le manque de « performances en matière d’innovation » … Fermer le ban ? Non point. Le rapport du CNP enfonce le clou, tout en apportant quelques nuances.
Ainsi « la protection de l’emploi pourrait limiter l’adaptabilité des entreprises au renouvellement technologique mais elle pourrait à l’inverse encourager la productivité des salariés et l’investissement des entreprises dans le capital humain ». On peut comprendre que la forme traditionnelle de l’emploi en France, soit le CDI -laquelle apporte davantage de stabilité aux salariés que des contrats à durée déterminés impliquant un grand turn-over de personnels dans les entreprises- est donc favorable à productivité des salariés.
Le poids des années de crise
Pour le CNP, la fiscalité des entreprises pourrait avoir en revanche l’effet d’un boulet sur la productivité. « Le poids plus important des impôts de production en France a pu peser sur la dynamique de productivité ». Par ailleurs, « le choix des multinationales françaises de localiser leurs sites de production à l’étranger pourrait nuire aux gains de productivité mesurés sur le territoire national ».
Pour la France encore, la compétitivité s’est quant à elle « dégradée » au début des années 2000 « pour se stabiliser autour de -1% après la crise (de 2008, Ndlr) indique le rapport. Les auteurs analysent le couple, infernal, productivité/compétitivité et concluent à la nécessité d’une « baisse des prix et des salaires des pays en déficit ou proches de l’équilibre ou par une hausse des prix et des salaires des pays en fort excédent ».
Dans le premier camp se trouve la France. Dans le second, l’Allemagne qui « a amélioré sa compétitivité » affichant un « compte courant excédentaire dans les années 2000 via une croissance faible des salaires ». Mais cette Allemagne affiche aussi une inflation très –trop faible- ce qui pèse sur un possible ajustement des déséquilibres économiques dans la zone euro souligne le rapport. Or c’est un tel ajustement qui « permettra de baisser le chômage dans les pays de la zone euro où il est encore élevé sans que cette baisse (qui doit passer par un mix de réformes structurelles et d’augmentation de la demande) se traduise par un retour des déficits courants de ces pays ».
Quoi qu’il en soit, analysent les auteurs, « si on distingue les différents coûts de production et qu’on compare la France à ses voisins, il reste difficile d’expliquer l’affaiblissement de la performance française ». Rendre, les seuls coûts salariaux responsables de l’affaissement de la compétitivité -comme le fait souvent le patronat- de tient donc pas.
Les salaires toujours fautifs ?
D’ailleurs, relève le rapport, « le coût du travail au niveau du salaire minimum est globalement au même niveau en France et en Allemagne depuis 2017 ». « Le montant du salaire minimum brut plus élevé en France est compensé par des cotisations moins élevées pour les employeurs français à ce niveau de salaire. (…) En 2019, le coût du travail horaire en France devrait diminuer relativement au coût allemand : en premier lieu, l’effort de réduction du coût du travail se poursuivra en France, avec notamment une baisse supplémentaire de 4 points environ au niveau du Smic de cotisations sociales employeur à compter du mois d’octobre 2019. En outre, au 1er janvier 2019, le salaire minimum allemand a été réévalué de 2 %. Il sera réévalué à nouveau de 2 % au 1er janvier 2020. »
Concrètement au 1er octobre 2019, le coût horaire du travail (pour le salaire minimum) est de 10,41 euros en France et de 11,01 euros en Allemagne note le rapport.
Pour les auteurs, la tenue des salaires en France renvoie à l’importance de la négociation. On peut comprendre aussi à l’implication des syndicats… Ainsi note le rapport « l’ampleur de l’indexation (à l’inflation, Ndlr) serait liée au degré de centralisation des négociations salariales. L’indexation mesurée en France se situe à un niveau moyen mais ce dernier résultat peut tout de même interroger la situation du système français ».
Ils notent encore qu’en France, « les mécanismes de formation des salaires, fondés sur des niveaux de négociation salariale imbriqués (Smic au niveau interprofessionnel, accords de minima conventionnels au niveau des branches, accords d’entreprises) contribuent à revaloriser les salaires individuels ».
Les « faiblesses structurelles » selon le gouvernement
Plus largement, les questions de productivité, de compétitivité et de fiscalité appliquée aux entreprises sont revenues ce 15 octobre dans l’actualité. Cela, dans le cadre du « Pacte productif », que le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire définit comme la recherche d’une « stratégie commune » visant à apporter des réponses à trois questions : « Que produire ? Comment produire ? Avec qui produire ? » Lancé par le chef de l’État dans le cadre du Grand débat, ce Pacte productif vise à permettre le plein emploi en 2025.
Cette réflexion pour une stratégie -et sur la base des « orientations » présentées par l’exécutif- est déjà entamée depuis six mois par des rencontres entre des représentants du gouvernement, des entreprises, des fédérations professionnelles, des syndicats, des élus locaux… La construction de ce pacte fera l’objet d’une « concertation » mais aussi d’une « consultation » des français et d’une « évaluation » précise l’exécutif. Le chef de l’État devrait ainsi présenter au début de l’année 2020 « la stratégie collective dont nous avons besoin pour atteindre le plein emploi en 2025 » annonçait le 15 octobre le ministre de l’Économie.
Ce dernier a d’ores et déjà commencé à présenter les orientations du gouvernement et à pointer ce qu’il nomme les « faiblesses structurelles » de l’économie française. Ainsi assure-t-il par exemple « notre fiscalité de production (CVAE, taxes sur le foncier bâti, taxes sur les salaires, impôts sur le capital…, Ndlr) est trop élevée par rapport à nos voisins européens. Elle est sept fois plus élevée qu’en Allemagne et deux fois plus élevée que la moyenne de la zone euro ». Pour le ministre « le volume global d’heures travaillées (en France, Ndlr) en comparaison avec les autres pays du G7 et de l’OCDE est plus faible ».
Déjà une multitude de contre-réformes
S’il stigmatise de prétendues faiblesses, le gouvernement vante en tout cas de récentes réformes dont certaines qu’il a initiées. Ainsi en est-il de la « réforme du marché du travail » (les lois travail et ordonnances, Ndlr) ou encore la « bascule du CICE » (qui aura pesé au total près de 40 milliards d’euros sur les comptes publics en 2019 après en moyenne 20 milliards par an depuis quelques années, Ndlr). Le gouvernement l’assure cependant « la baisse de charges permet de baisser le coût du travail et d’améliorer la compétitivité de nos entreprises ». Et de citer aussi la réforme sur l’allègement de la fiscalité du capital laquelle « permet d’encourager les investissements productifs ».
L’impact positif de la suppression de l’ISF et de la création de l’IFI lesquels ont induit un manque à gagner de quelque 5 milliards en 2018 est cependant loin d’être prouvée… Le gouvernement vante aussi la loi Pacte qui « lève une série d’obstacles administratifs qui empêchent les entreprises de grandir ». Cette loi permettrait aussi selon le ministre de « mieux partager la valeur entre les salariés et leur entreprise en encourageant l’intéressement, la participation et l’actionnariat salarié ». Cette loi fourretout construite par avec le patronat et dans l’unique intérêt des entreprises ne prévoit en réalité aucune mesure favorable aux travailleurs, par exemple au plan des salaires, a toujours déploré FO…
Pour le gouvernement cependant, ces différentes réformes ont profité à l’économie, notamment par un accroissement des investissements des entreprises et une progression de 7 places de la France, en deux ans dans le classement « Global Competitiveness index » (indice de compétitivité) réalisé par le Forum économique mondial.
De nouvelles attaques contre les travailleurs ?
Toutes ces réformes dont beaucoup consistent en de beaux cadeaux aux entreprises contentent-elles au moins ces dernières ? Pas encore semble-t-il. Ainsi le mouvement des entreprises de taille intermédiaires (METI) soutenu par l’institut Montaigne (think thank libéral fondé en 2000 fondé par Claude Bébéar) vient de monter au créneau, demandant un « un choc fiscal » à hauteur de 15 milliards d’euros afin de doper la production industrielle sur le territoire.
Le Meti et ce club de réflexion, libéral, prônent la suppression au plus vite de l’impôt local sur le foncier, cela au risque de plomber les comptes des collectivités déjà fragilisés par la suppression de la taxe d’habitation.
Plus globalement, ils avancent leurs solutions pour que la suppression des impôts de production (qui représentent une recette de 70 milliards/an pour les comptes publics) ne déstabilise pas trop les finances publiques. Il faudrait selon eux par exemple augmenter la TVA, serrer davantage encore les boulons de la dépense publique… Comme si cette dernière n’était pas assez contrainte, et depuis des années, par les multiples plans ayant visé à soutenir les entreprises notamment en allégeant leur fiscalité ou encore en multipliant les exonérations sur les cotisations sociales patronales. On comprend donc surtout que les plus modestes risqueraient de faire les frais de ces solutions.
« Il conviendrait de mener de nouvelles évaluations »…
Alors que les entreprises sont toujours en demande de nouvelles mesures pour abaisser le coût du travail, la Cour des comptes vient en ce mois d’octobre de s’inquiéter de l’impact des niches sociales sur les comptes publics, en particulier de celles s’adressant aux employeurs. Le poids de ces niches avoisinerait les 90 milliards d’euros en 2019 et non 66 milliards comme noté par le PLFSS. Et même en prenant ce chiffre indique la Cour, cela signifie qu’entre 2013 et 2019, « le coût affiché des niches sociales a quasiment doublé ».
Par ailleurs sur 66 milliards d’euros, 52 Md€ sont « au titre des seuls allègements généraux de cotisations ». Or précise la Cour, « les exonérations, prenant la forme de réductions de taux ou de montants, ont généralement pour objet de réduire le coût du travail, par des allègements généraux de cotisations ou des exonérations de cotisations ciblées sur certains secteurs d’activité, zones géographiques ou publics ».
Ainsi, l’augmentation du poids des niches sociales « reflète principalement le renforcement des allègements généraux de cotisations sociales (+26,2 Md€) dans le cadre de la politique de soutien de l’emploi. Il s’agit pour l’essentiel des mesures du pacte de responsabilité mises en œuvre entre 2014 et 2017 (9 Md€), ainsi que de la transformation du CICE en des allègements généraux en 2019 » constate la Cour pour qui « il conviendrait de mener de nouvelles évaluations de l’efficacité du profil des allègements généraux en matière d’emploi, de compétitivité des entreprises et de distribution des salaires ». Quelques chiffres sur lesquels les entreprises pourraient méditer…
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly