L’entreprise Onclusive, spécialisée dans la veille médiatique, a décidé de supprimer la moitié de ses effectifs pour les remplacer par des robots intelligents. Une humiliation pour les salariés, qui craignent de n’être que les premiers d’une hécatombe d’emplois liée à l’arrivée de l’intelligence artificielle.
Il s’agit probablement du premier PSE du genre, mais il est probable hélas que cela ne soit pas le dernier. Début septembre, les 383 salariés d’Onclusive France, société chargée de compiler des contenus de presse et d’en fournir des synthèses à différents acteurs, ont reçu un mail lapidaire de la direction internationale de l’entreprise, les informant de la suppression de 217 postes – soit plus de la moitié des effectifs – d’ici à juin prochain. On savait qu’un plan social était dans les tuyaux, mais on n’imaginait pas que tout le service production serait impacté, confie Bruno, délégué syndical FO.
Mais le plus grand choc pour les salariés a été causé par la justification donnée à ce PSE par la direction : l’arrivée de nouvelles technologies et de nouveaux outils qui rationaliseront [les] opérations. En clair, 217 emplois vont être remplacés par une intelligence artificielle. Bruno souligne l’humiliation qui accompagne ce sentiment d’être considérés comme de vieux outils obsolètes. Chargés de fournir de l’information précise et synthétique à de nombreux services publics et entreprises, de L’Oréal à la Banque de France en passant par le service d’information du gouvernement, les salariés du service production se sentaient à l’abri.
Derrière le plan social, des délocalisations
Racheté à Kantar en 2022 par le fonds d’investissement américain Symphony Technology Group, Onclusive connaissait depuis la crise du Covid des difficultés économiques, avec un chiffre d’affaires en recul de plusieurs millions d’euros. Il y a encore quatre ans, nous étions leaders sur le marché, puis la concurrence est devenue plus rude, retrace Bruno. Elle nous a pris des clients importants, en proposant des prix de 30% à 40% plus bas que chez nous. La direction de l’entreprise espère ainsi rééquilibrer ses comptes avec des machines moins chères qu’une masse salariale.
Derrière ce plan social et le recours à l’intelligence artificielle comme justification, se cachent aussi en réalité des délocalisations. Une partie de la production – essentiellement des travaux de découpe d’articles – a déjà été délocalisée à Madagascar il y a quelques années, et une partie du service finances devrait bientôt être envoyé au Maroc. On ne se fait pas d’illusions, ce sont des affaires de profits, décidées d’en haut par Onclusive monde, estime Bruno, amer. Le cynisme des dirigeants nous consterne.
Des doutes quant à l’efficacité de l’IA dans le secteur
La colère est d’autant plus forte que cette stratégie soulève de nombreux doutes chez ceux qui connaissent bien leur métier : Une IA est censée être plus rapide qu’un humain, concède le délégué. Mais nos clients ne cherchent pas de l’information à la tonne : ils veulent de la finesse, de la précision. A mon avis, il n’y a que l’œil humain qui puisse réaliser ce tri. Les chargés de revue de presse passent d’ailleurs un temps non négligeable en lien direct avec leurs destinataires. Les clients ne sont pas forcément rassurés qu’une IA fasse leur revue de presse, ils veulent aussi des hommes et des femmes au bout du fil, témoigne le délégué. La direction parie sur 80% de clients satisfaits, et 20% de pertes.
Face à un plan social désormais considéré comme inévitable, les élus FO s’activent de toutes leurs forces afin de négocier un PSE digne, qui permette aux personnes de partir avec de quoi se reconvertir et changer de vie, expose Bruno. Avec une ancienneté moyenne de 18 ans dans l’entreprise, les salariés licenciés peineront en effet à coup sûr à retrouver un emploi dans le secteur. Ce sont des métiers de niche, et beaucoup sont proches de la retraite : ils vont avoir besoin de beaucoup d’aide, et de compensations financières à la mesure du sacrifice qui leur est demandé, appuie Bruno. Malgré un score de 27% aux dernières élections professionnelles, FO risque également de disparaître d’Onclusive avec le plan social, tous les militants étant sur le départ.
Un manque de transparence et de respect envers les salariés
Les négociations n’étant pas tout à fait parties du bon pied, les élus du personnel ont demandé à la direction d’avoir un discours loyal, explique Bruno. En effet, le buzz médiatique lié au remplacement de salariés par des robots intelligents a mis l’entreprise sous tension. La situation ne s’est guère arrangée lorsque le P-DG d’Onclusive monde, Rob Stone, s’est permis lors d’une réunion en visioconférence une comparaison hasardeuse et pour le moins indélicate entre ses futurs ex-salariés et des races de chiens. Les délégués souhaiteraient donc conduire davantage de transparence et de respect dans le cadre des négociations. Deux notions qui ont jusqu’à présent fait défaut : en juin dernier, lors d’une réunion avec le président d’Onclusive France, Bruno avait soulevé la question de l’IA. J’avais demandé : est-ce que la direction s’y intéresse ? On m’avait répondu : non, c’est trop cher.
Les militants FO aimeraient que leur exemple serve de signal d’alarme. Nous ne sommes que les premiers d’une longue série à venir de licenciements liés à l’IA, craint Bruno. Il faut que les syndicalistes et les dirigeants soient conscients que c’est une révolution sociale et économique très profonde, et pas dans le bon sens du terme.
Selon une étude de la banque Goldman Sachs, jusqu’à 300 millions d’emplois dans le monde pourraient disparaître avec la nouvelle vague d’intelligence artificielle. Le militant s’agace en outre d’entendre les chantres de l’IA vanter, en contrepartie des licenciements, la création de nouveaux emplois. Chez Onclusive, 24 nouveaux postes ont été promis : pas de quoi rééquilibrer la balance. D’après nos informations, les outils sont développés en Inde. C’est une perte sèche pour l’emploi en France.