Premier long-métrage du cinéaste mexicain David Zonana, « Mano de obra » explore avec un sens aigu de la mise en scène les injustices sociales de son pays où les syndicalistes sont régulièrement assassinés (1).
L’intrigue se passe dans une maison en construction d’un riche homme d’affaire mexicain solitaire qui passe parfois faire une visite d’inspection. Deux frères y travaillent : Claudio et Francisco. Le premier s’y tue en tombant d’un échafaudage, laissant une jeune veuve enceinte. Cette dernière, avec Francisco, demande des indemnités au chef de chantier et au riche propriétaire, sans succès.
Mais, il faut bien gagner sa maigre pitance, d’autant que désormais il devra aider la veuve et le bébé à venir. Alors Francisco continue son travail d’ouvrier du bâtiment sans se plaindre, le jour. Et la nuit, il s’infiltre dans cette maison en chantier, se prélasse dans la baignoire de la salle de bain qu’il a lui-même installée. Il profite ainsi du confort qui ne lui est pas destiné, mais qu’il a cependant contribué à aménager.
Ce film se déploie en plans fixes, comme si la caméra, simple témoin de la réalité, enregistrait patiemment les anomalies de la société mexicaine et la succession de catastrophes qu’elles engendrent. Ce grand pays d’Amérique centrale est complètement gangréné par la corruption de ses élites politiques et une implacable mafia de la drogue qui règne en maître absolu dans certaines régions. Toutes révoltes populaires et/ou ouvrières y sont sévèrement réprimées, par l’armée, la police, les bandes de sicarios des gangs.
L’ombre de la némésis
Francisco représente ces travailleurs pauvres, payés au lance-pierre qui édifient le refuge de milliardaires, ayant du même coup la vision concrète de cette injustice. Pour le héros, elle est d’autant plus criante que le boss fait construire son palais pour lui tout seul. Il n’a ni femme, ni enfants, ni famille. Et pourtant il fait construire une salle de bain avec jacuzzi, un immense salon, plusieurs chambres à l’étage et des meubles clinquants style nouveau riche signant l’opulence et le mauvais goût.
Sans être particulièrement envieux, Francisco accuse le coup en apprenant que ce palais ne logera qu’une seule personne. Et quand il devient clair que sa belle-sœur n’aura jamais de dédommagement, il met au point une vengeance à sa manière. Mais il ne s’agit pas ici de déflorer cette némésis, pour en garder la primauté aux spectateurs.
Le réalisateur, David Zonana, a recruté comme acteurs de véritables ouvriers du bâtiment auprès desquels il s’est longuement documenté avant de les engager sur son tournage. Il ne s’agit pas pour autant d’un documentaire, mais plutôt d’une flèche décochée contre toutes ces ignominies sociales frappant la classe ouvrière, et pas seulement au Mexique.
(1) « Mano de obra », drame de David Zonana, Mexique, avec Luis Alberti, Hugo Mendoza, Jonathan Sanchez ; durée : 1h23, en salle depuis le 12 août.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly