À quand une politique renforcée en matière de logement social, pour en finir avec la pénurie qui pèse sur les plus modestes ? Fin 2022, quelque 2,4 millions de ménages attendaient un logement social et la demande se fait toujours plus forte, exacerbée par l’inflation toujours haute qui rogne les moyens des plus fragiles. Or, les offres du parc social ne suivent pas. Pour de multiples raisons. La loi SRU de 2000 est allègrement bafouée, les aides financières publiques à la pierre ont diminué, la hausse des taux d’intérêt a fait flamber les coûts de construction. Le coût de la réduction de loyer de solidarité, mesure décidée par l’exécutif en 2018, en même temps que la diminution des APL, pèse sur les bailleurs sociaux. La loi Pacte a elle réduit en 2020 le nombre d’entreprises cotisant à Action Logement, organisme paritaire qui a subi aussi des ponctions ces dernières années… Du côté des détenteurs d’un livret A, depuis 2021 l’inflation rime aussi avec une perte sévère de rémunération de ce livret d’épargne qui finance le logement social via des prêts aux bailleurs. Le gouvernement, visant à contenir pour les bailleurs le coût des emprunts, aux taux liés à celui du livret A, a bloqué à 3 % le taux de celui-ci depuis août et jusqu’en janvier 2025. Pour les ménages modestes, entre un livret A au rendement amoindri et le manque toujours plus criant de logements sociaux, cela ressemble à une double peine. Laquelle a à voir avec la politique nationale sur le logement social, chaotique et aux moyens notoirement insuffisants.
U n logement social en crise, ou encore une bombe sociale à retardement, peut-on lire régulièrement dans la presse ou dans les multiples rapports alertant de la situation. La réalité derrière ces mots ? D’abord, le nombre de personnes pauvres a augmenté de 1,5 million en vingt ans. 14,5 % des Français (9,1 millions) vivaient sous le seuil de pauvreté monétaire (1 158 euros par mois) en 2021 selon l’Insee. Le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 330 000 en 2022. Quinze millions de personnes seraient impactées en France, de multiples façons, par la crise du logement. Un logement, ou dépense contrainte, qui pèse de plus en plus sur le budget des ménages : 9,5 % en 1960… 23 % en moyenne aujourd’hui. C’est devenu le premier poste de dépense, rappelle l’ONG Oxfam-France dans un récent rapport. Pour les plus modestes, la dépense occupe même 32 % du budget. Autre paramètre de poids : Les prix de l’immobilier ont augmenté de 125,6 % entre 2001 et 2020. Les loyers – social et secteur libre – quant à eux ont augmenté de 36,5 % sur la même période. Or, dans le même temps, les revenus brut des ménages n’ont progressé que de 29 %. Autrement dit, en vingt ans les prix des biens immobiliers ont augmenté quatre fois plus vite que les revenus !, rappelle encore cette étude. Cela explique pourquoi un Français sur deux habite ou a habité dans un logement social. Chiffres que rappelle l’Union sociale pour l’habitat, qui fustige le désengagement progressif de la puissance publique ces dernières décennies, ce qui laisse une plus grande place à des acteurs financiarisés et à une quête de rentabilité à tout prix, au détriment d’une offre abordable pour les plus précaires.
Dix ans d’attente en Île-de-France…
L’Oxfam pointe lui aussi, comme nombre d’acteurs du logement, ce désengagement progressif de l’État. Ainsi, La production de logements sociaux a diminué au plan national avec 126 000 logements sociaux financés en 2016, 95 000 en 2021, puis 96 000 en 2022. Et probablement à peine 90 000 d’ici la fin de l’année. Le parc social ne suit pas les besoins. 2,42 millions de ménages sont ainsi en attente d’un logement social, dont 1,63 million pour une première attribution. Quelque 400 000 logements sont délivrés par an par les bailleurs sociaux. Largement insuffisant donc. En trois ans, les délais d’attente ont augmenté de 20 % à 30 % selon les régions. Et dans le parc social, où selon l’Ancols (Agence nationale du contrôle du logement social) 20 % des ménages se déclarent comme pauvres, la rotation sur les logements est faible (moins de 8 %), les locataires préférant conserver leur domicile plutôt que de s’aventurer dans la quête incertaine d’un nouveau logement. En Île-de-France, expliquait récemment un élu de la Région, c’est dix ans d’attente. Actuellement, on dénombre 783 000 ménages candidats, soit deux fois plus qu’il y a dix ans, indique l’Union sociale pour l’habitat. La situation est tout aussi compliquée en province. Exemple au Mans avec 9 200 dossiers en attente dans la métropole. Partout, les délais d’attente se comptent plutôt en années qu’en mois ! Les candidats sont des ménages fragiles, modestes et même de la classe moyenne, tous ayant qui plus est pris de plein fouet l’inflation, rongeant des revenus (salaires, pensions, minima sociaux) insuffisamment revalorisés. Beaucoup ne peuvent accéder au parc locatif privé (qui loge 23 % des ménages français), aux prix prohibitifs et lui aussi en « tension » dans de nombreuses zones. Leurs moyens leur permettent encore moins d’accéder à la propriété, impliquant un endettement conséquent, calculé en fonction des revenus et nécessitant l’approbation de banques de plus en plus frileuses. Gonfler la capacité du parc social est donc essentiel. Et cette nécessité a à voir aussi avec la réduction des inégalités sur l’emploi. Fin novembre, une enquête de la CPME indiquait ainsi que 19 % des patrons des petites et moyennes entreprises peinant à recruter signalent que des candidats ont dû renoncer à l’emploi proposé à cause de leur difficulté d’accès au logement. La situation s’aggrave. Ils n’étaient « que » 10 % à faire ce constat en avril dernier.