Une chercheuse spécialisée en sociologie du travail et dans l’étude des conditions de travail les plus précaires s’est intéressée aux salariés de la grande distribution et de la logistique durant les confinements liés au Covid.
En mars 2020, malgré le confinement décrété pour faire face à la pandémie de Covid-19, près d’un quart des salariés se rendaient chaque jour au travail. Cyrine Gardes, jeune sociologue, s’est penchée sur le vécu des « travailleuses et travailleurs de la deuxième ligne », puisque c’est ainsi qu’on les a alors qualifiés (par différenciation avec les professionnels de santé). L’autrice s’est entretenue avec quatorze salariés (délégués syndicaux ou non) de divers secteurs de la logistique et de la grande distribution : hôtesses de caisse, chauffeurs-livreurs, préparateurs de commande, etc. Tous ayant des salaires inférieurs à 2 000 euros et pour la plupart compris entre 1 000 et 1 500 euros.
L’analyse sociologique décèle d’abord une accentuation du système de domination à l’œuvre dans l’entreprise ‒ de nombreuses décisions, notamment sur les horaires de travail, les emplois du temps et même les changements de poste étant alors prises sans concertation. Ce que FO a combattu pendant cette période. L’autrice souligne les conditions de travail plus difficiles et l’intensification de l’activité professionnelle, conjuguée à celle du travail domestique et de la gestion familiale, qu’ont subies ces travailleurs, souvent des femmes.
Pas dupes du mirage de la valorisation médiatique
Ces professionnels sont à la fois heureux d’être remerciés par la clientèle, fiers de continuer à travailler mais pas dupes d’une valorisation médiatique agitée comme un leurre, pour leur faire mieux accepter la prise de risque que représentait alors leur présence au travail et la dégradation de leur qualité de vie et d’exercice. Pas dupes non plus du fait que le maintien en poste de nombre d’entre eux était parfois plus requis pour que l’entreprise « fasse de l’argent », plutôt que pour répondre à de vrais besoins essentiels.
Surtout, ces entretiens mettent en évidence le maintien, voire la stimulation des mobilisations collectives et de la conflictualité dans les rapports salariés/employeurs (désaccord autour de la « prime Macron », questionnement sur les modalités de protection…). Car la pandémie a complexifié le travail des syndicats. Mais si les espaces de dialogue social se sont raréfiés à cette période, les représentants des personnels ont été fortement sollicités par les travailleurs, mettant en valeur leur rôle. Soulignant aussi que le rapport de force n’a pas disparu. « Utiles à la société, ces salariés (…) ont aussi permis que les profits continuent à se faire (…). Cette configuration questionne nouvellement la répartition de la valeur ajoutée dans l’entreprise (…) octroyant aux salariés une meilleure légitimité pour en réclamer une meilleure part », conclut Cyrine Gardes.
« Essentiel.les et invisibles ? Classes populaires au travail en temps de pandémie », Cyrine Gardes, éditions du Croquant, 13 euros.