L’historien médiéviste, pionnier et défricheur, Michel Pastoureau, spécialiste de l’histoire culturelle des couleurs et des animaux, vient d’ajouter un nouveau chapitre à son bestiaire : Le Taureau, une histoire culturelle [1].
À 73 ans, cet historien atypique, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, prix Médicis en 2010 et prix Montaigne en 2020, a longtemps été dénigré par ses collègues jugeant ses travaux marginaux, voire frivoles. Pourtant l’étude sur les couleurs était totalement délaissée par les sciences sociales, abandonnée à la physique et à la chimie. À lire Rouge. L’histoire d’une couleur [2], paru au Seuil il y a quatre ans, on se rend compte que cette étude dépasse largement la peinture et l’esthétisme pour entrer dans le champ de l’histoire politique et sociale.
Quant aux animaux, il existe très tôt des représentations de certains d’entre eux comme l’ours, le lion, le loup, le corbeau, l’aigle, le sanglier (sans oublier le chat chez les Égyptiens). Représentations que l’on retrouve dans certaines croyances pré-chrétiennes et qui sont passées dans les blasons moyenâgeux des nobles, des villes, des régions et même des royaumes. Le lion est ainsi le symbole de la Normandie, de la Franche-Comté, mais aussi de la Bulgarie et de la Macédoine.
Mais c’est le taureau qui semble avoir la plus longue histoire. On le voit représenté dans la grotte Chauvet en Ardèche, 33 000 ans avant notre ère, dans celle aussi de Lascaux dont l’art pariétal nous fait remonter le temps, de 17 à 19 000 ans, selon les sources de datation. À l’époque, il s’agissait d’aurochs, les ancêtres des taureaux de combat. On retrouve aussi trace de l’animal sur les céramiques minoennes de Crète où des jeunes s’amusaient à sauter par-dessus la bête féroce, comme dans les courses landaises et camarguaises contemporaines. Déjà !
La force des symboles, le symbole de la force
Du paléolithique à nos jours, le taureau symbolise la puissance, l’énergie, la fécondité, mais aussi la sauvagerie. Dans la mythologie grecque, il devient le Minotaure, mi-homme, mi-taureau, un monstre terrifiant. Sans oublier le culte de Mithra, une religion venue du Proche-Orient et qui se propage dans l’Empire romain. Mais ce culte, avec le sacrifice du taureau comme rite central entre directement en compétition avec le christianisme naissant. Et les chrétiens qui abominent cette religion rivale et ses pratiques sanglantes, choisiront plutôt de mettre dans la crèche le bœuf, animal docile, travailleur et paisible. Il faut dire que jusqu’à maintenant le taureau reste, lui, le plus sauvage des « animaux domestiques ». En effet, il a pris ce statut sur le tard, environ 7 000 ans avant notre ère.
Théophile Gaultier, Prosper Mérimée, Manet et bien d’autres, feront leur « voyage en Espagne » et reviendront fascinés par les toros et la corrida. Grand aficionado, comme l’était Marc Blondel (voir l’histoire de la peña Querencia), Picasso, depuis son plus jeune âge, va mettre le taureau-toro, symbole pour lui de l’énergie créatrice et sexuelle, au centre de son œuvre, et pas seulement dans Guernica.
Bien que de plus en plus décriée, la tauromachie demeure très vivace dans le sud de la France, l’Espagne, le Portugal et une partie de l’Amérique latine. Aujourd’hui, à part dans les ganaderias (lieu d’élevage des taureaux de corrida) le taureau a quasiment disparu de notre espace visuel. Dans une interview au quotidien Sud Ouest, Michel Pastoureau déclarait : Oui, les bovins ont peu à peu disparu de la vie des campagnes, à l’extérieur en tout cas… Aujourd’hui, un taureau dans un pacage, c’est devenu très rare. Je fais le même constat avec les cochons… C’est toute une vie animale qui est devenue moins visible
. En ces temps de confinement, une idée de cadeau pour les fêtes.
[1] Michel Pastoureau : Le Taureau, une histoire culturelle, Paris, Le Seuil, 2020, 160 p., 19,90 €. Suite de ses ouvrages sur l’ours (2007), le cochon (2009), la licorne (2013), le loup (2018) et en préparation, le corbeau.
[2] Il a aussi publié « Bleu » en 2002, « Noir » en 2008, « Vert » en 2013 et « Jaune » en 2019.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly