[Livre] Jules Durand, le sort tragique d’un ouvrier syndicaliste


Les éditions Michalon viennent de publier un ouvrage sur le drame, au début du XXe siècle, vécu par un militant syndicaliste du Havre, Jules Durand. Condamné à mort, la mobilisation ouvrière l’a sauvé de la guillotine.

L’auteur Marc Hédrich [1] est un magistrat, et par son livre, il a voulu retracer une sorte d’affaire Dreyfus de la classe ouvrière française. Au niveau de l’histoire du mouvement ouvrier, la tragédie de Jules Durand ressemble beaucoup plus à celle des ouvriers anarchistes italiens des États-Unis, Nicola Sacco et Bartoloméo Vanzetti. Même provocation patronale, même condamnation à mort. Si les italo-américains ont été tués, le français a sauvé sa tête, mais a fini par perdre la raison.

Jules Durand est né le 6 septembre 1880 au Havre. Très jeune, il travaille sur les docks d’un des plus importants ports de France. Au début du XXe siècle, le port du Havre ressemble à « Germinal ». Des dockers déchargent des tonnes de marchandises à la main, dont des minerais (charbon, fer). Il y a alors les charbonniers du port. Ces derniers récupèrent le charbon, le mettent en sac puis le transforment en briquettes qui servent à alimenter les chaudières des bateaux en partance. Ils sont 7 000 à trimer sur les quais pour des salaires de misère.

Durand, comme docker, est licencié pour activités syndicales en 1908. Il devient alors charbonnier et un des dirigeants-fondateurs de l’Union des Syndicats du Havre, affiliée à la jeune CGT. Il est élu Secrétaire du syndicat des ouvriers charbonniers du Havre. En août 1910, avec ses camarades, il lance une grève illimitée contre l’extension du machinisme, la vie chère et pour la hausse des salaires. La puissante Compagnie Générale Transatlantique décide alors d’embaucher des paysans illettrés des campagnes voisines, en les payant à triple paye pour casser la grève. Devenus ouvriers, ils devront faire office de casseurs de grève, autrement nommés « renards ».

La machination patronale

Le 9 septembre 1910, un de ceux-là, Louis Dongé, s’arsouille dans un estaminet derrière le port. Une dispute éclate avec trois grévistes. Dongé, dont on découvrira plus tard qu’il a probablement été armé par la Transat, sort son arme. Les trois autres, largement aussi avinés, lui sautent dessus, le désarment et le passent à tabac. Il décédera le jour suivant. La Transat en profite pour monter une machination visant à briser le syndicat du Havre. Elle paie une douzaine d’affidés pour qu’ils déclarent à la police que l’ordre d’assassinat a été donné par Jules Durand lors d’une réunion syndicale.

Jules qui était appelé le buveur d’eau car il dénonce le fléau de l’alcoolisme qui est pour lui le pire ennemi de la classe ouvrière avec le service militaire et la famille nombreuse, se battait sans relâche pour une augmentation des salaires, l’installation de douches et la création de véritables cantines ouvrières, est arrêté. Il est alors défendu par un jeune avocat radical-socialiste, un certain René Coty qui deviendra Président de la République.

La justice, le condamne à mort le 25 novembre. La machination a réussi. Trois jours plus tard, la CGT déclenche la grève générale au Havre. Les dockers de La Rochelle suivent. Par solidarité, les dockers des États-Unis et du Royaume uni débraient. En décembre, la Ligue des droits de l’Homme s’en mêle. Devant la levée de bouclier, le 1er janvier 1911, sa peine de mort est commuée en sept ans de réclusion.

Finalement, le 15 juin 1918, la Cour de cassation va complètement l’innocenter. Mais le mal est fait. Le jour de sa condamnation, dans le tribunal, Jules Durand a explosé. Au lieu de menottes, on lui passe une camisole de force. Il restera dans ce carcan pendant 40 jours d’affilée. Cette torture lui fera perdre la raison et après sa libération il devra être enfermé dans un asile d’aliénés où il mourra le 20 février 1926 à Sotteville-les-Rouen.


[1] Marc Hédrich : L’affaire Jules Durand , ed. Michalon, 2021, 21 €.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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