Désenclaver les banlieues mal desservies par les transports en commun, une belle idée qui vire à la déception pour certains habitants parmi les plus précaires.
D ans un ouvrage intitulé Les naufragés du Grand Paris Express, une géographe et une journaliste se penchent sur le processus de gentrification aux abords de neuf gares du réseau de métros en construction du Grand Paris. Anne Clerval, enseignante-chercheuse à l’université Paris-Est, est spécialiste de ces processus, de leurs conséquences pour les classes populaires et du rôle qu’y jouent les politiques publiques. Elle est aussi l’auteur de Paris sans le peuple, publié en 2016. Laura Wojcik, journaliste au Parisien, documente régulièrement les enjeux du logement et de la mobilité dans la région.
Durant cinq ans, elles ont rencontré des habitants de quartiers populaires dont le logement est menacé par le Grand Paris Express. Certains seront expropriés car leur maison doit faire place à une gare. D’autres, locataires du parc social, voient leur immeuble déconventionné manu militari : le loyer bondit et rend impossible de demeurer là où le futur métro devait faciliter leur vie. D’autres encore, déjà exploités par des marchands de sommeil dans des locaux insalubres, sont expédiés par le 115 à l’autre bout du département. Le tout dans un contexte où 20 % des Franciliens vivent en dessous du seuil de pauvreté et 1,3 million n’ont pas de logement décent.
Les besoins des classes populaires ignorés
Les auteures décrivent l’évolution du projet depuis 2004, les batailles de pouvoir qui l’ont orienté, l’absence d’un débat de fond comme d’une réelle concertation publique et comment ce qui devait désenclaver la banlieue s’est transformé en un projet de remaniement urbain faisant la part belle aux investisseurs privés. Le décalage considérable entre le projet du nouveau métro et les besoins des classes populaires (…) de plus en plus paupérisées se traduit par un vif sentiment d’injustice, écrivent Anne Clerval et Laura Wojcik. Elles montrent aussi la difficulté pour les communes de conserver un parc social alors que leurs finances sont étranglées, mises à mal par des réformes qui ont supprimé l’apport précieux de recettes fiscales, et que l’État se désengage. Les auteures concluent à la nécessité de penser des politiques publiques qui s’emparent réellement de la question de la construction et de l’organisation de la ville, afin que celle-ci soit accessible à tous, quels que soient ses moyens.