Dès le milieu du XIXe siècle, des médecins avant-gardistes avaient compris que l’hygiène était la base de la lutte contre les maladies transmissibles qui touchaient plus particulièrement les classes laborieuses.
C’est à partir des années 1830 que « l’hygiénisme » prend son essor face aux vagues de choléra, dont celle qui touche Paris en 1832. Parmi ces précurseurs, Alexandre Parent du Châtelet (1790-1836), Louis-René Villermé (1782-1863), Louis Pasteur (1822-1895), Robert Koch (1843-1910), Adrien Proust (1843-1903), Paul Brouardel (1837-1906) et Émile Roux (1853-1933).
Le premier travaille sur la syphilis. Le deuxième fut le premier à vraiment enquêter sur les conditions de vie des ouvriers et à œuvrer pour une loi sur le travail des enfants. Il a dénoncé fermement les effets terribles des îlots d’insalubrité, de l’humidité des logements, du manque d’aération des taudis, de l’absence de tout-à-l’égout, de la stagnation des eaux usées et de la promiscuité. Ces précurseurs alertent. Ils seront entendus sous le Second empire avec les grands travaux d’Haussmann à Paris.
Ces médecins, en particulier Pasteur, Koch, Roux et Proust, prouvent que la cause de chaque maladie infectieuse est attribuée à un germe pathogène dont il faut questionner la présence dans l’environnement et son mode de transmission. Ainsi, Adrien Proust, le père de Marcel, nommé Inspecteur général des services sanitaires de la IIIe République en 1884, écrivait en 1873 : Une séquestration rigoureuse, l’interruption des communications par terre ou par mer ont réussi à préserver certains lieux ou certains pays
. Il voulait aussi imposer aux Britanniques et aux Ottomans un véritable contrôle sanitaire à leurs bateaux arrivant dans les ports français. Déjà ! Le professeur Proust était un positiviste laïc, républicain, athée, proche du monde ouvrier.
La jonction avec le monde du travail
Forts de leurs découvertes, ces médecins avant-gardistes se rapprochent du courant « républicain-solidariste » dirigé par le député radical Léon Bourgeois (1851-1925 ; prix Nobel de la paix en 1920). C’est à cette époque que les hommes politiques républicains-solidaristes et les médecins pasteuriens vont se retrouver pour que l’État s’implique enfin dans la santé publique. Ils dénoncent les méfaits des libéraux adeptes du libre-échange qui permettent par leur commerce la prolifération des maladies.
La loi du 15 février 1902 rend la vaccination antivariolique obligatoire au cours de la première année de vie
et une revaccination à 11 ans et 21 ans. C’est une volonté d’une santé laïque, gratuite et obligatoire
. Mais l’État ne s’en donne pas les moyens, malgré les demandes réitérées de la jeune CGT. En 1919 à la sortie de la Grande guerre, la République ne dispose que de 200 fonctionnaires d’hygiène publique, contre 1 700 au Royaume-Uni. Suite aux conséquences dramatiques de la grippe espagnole, le gouvernement crée le premier ministère de l’Hygiène publique, sans toutefois un budget conséquent. Mais face aux ravages de la tuberculose, les gouvernements des années 1930 multiplient la construction de sanatoriums. Ce n’est qu’en 1950 que le BCG devient obligatoire. Mêmes causes, mêmes effets : avec la Covid-19, du fait notamment de la promiscuité dans de petits logements, ce sont les plus précaires qui sont les plus touchés.
La grippe espagnole n’est pas venue d’Espagne. Mais c’est la presse espagnole, pays neutre durant la Première Guerre mondiale qui en a parlé la première au printemps 1918. En réalité, elle a été détectée au Kansas en avril 1918 et importée en Europe avec l’arrivée des soldats américains. Cette grippe a tué en quelques mois plus que la guerre dans toute sa durée : 50 millions de morts, dont 250 000 en France, 17 millions en Inde, 2 millions dans la Perse des Qadjar, 700 000 aux États-Unis.
En France, l’épidémie s’est répandue en trois vagues successives. La première en avril-mai 1918, brusque et massive, mais relativement bénigne, touchant aussi bien l’arrière que le front. La deuxième est signalée à Brest en août et va durer jusqu’à l’armistice. Cette deuxième vague sera d’une effrayante mortalité. La troisième, moins grave, aura lieu toute l’année 1919, durant la démobilisation. La grippe espagnole se caractérise par la soudaineté de ses attaques, une extension géographique très rapide, une extrême contagiosité par voie respiratoire, la fréquence des complications pulmonaires occasionnant une très forte mortalité. Et cette grippe-là tuait surtout des adultes jeunes plutôt bien portants.
Les deux vagues de la grippe de Hong Kong
Si la grippe espagnole reste très présente dans le souvenir collectif, celle de Hong Kong (1968-1970) a été totalement oubliée. Elle a pourtant fait un million de morts de par le monde, dont 36 000 en France. À noter que la France de l’époque comptait 52 millions d’habitants, contre 67 aujourd’hui et que l’espérance de vie était de 72 ans contre 80.
Ce virus est parti de la Mongolie chinoise dans un pays en pleine « Révolution culturelle ». Pour échapper à la furie maoïste, nombre de personnes se réfugient dans la colonie britannique de Hong Kong. De là, via les liaisons aériennes, le virus touche l’Inde, le Pakistan et surtout Téhéran où avait lieu un grand colloque médical international sur les épidémies. Ironie du sort tous les grands épidémiologistes du monde vont être contaminés par leurs collègues Hongkongais et disséminer le virus sur la planète. La France sera touchée en deux vagues : hiver 1968-69 et hiver 1969-70. Un quart de la population sera infectée.
Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly