Conséquence de l’ordonnance de 2017 instituant les CSE, le calcul de la représentativité des syndicats aux niveaux départemental et professionnel pourrait être tronqué, alerte Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité.
Lorsque les salariés votent aux élections professionnelles, ils n’élisent pas seulement leurs représentants au CSE et leurs délégués syndicaux. Agrégés, les résultats des élections servent également à calculer la représentativité des syndicats dans les branches et à l’échelon interprofessionnel, ainsi qu’aux niveaux régional et départemental. Ce qui permet ensuite de déterminer la composition de plusieurs instances : conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) ; collège salariés des conseils de prud’hommes (CPH) ; observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social (ODSS) pour les entreprises de moins de 50 salariés ; assesseurs des pôles sociaux des tribunaux judiciaires. Selon Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité, le calcul de la représentativité est sujet à caution en raison de deux phénomènes : la centralisation des résultats dans les entreprises multi-établissements ; l’absence d’élections dans certaines entreprises.
Un centralisme qui fausse la représentativité locale
« La mise en place des CSE à partir de 2017 s’est traduite par une centralisation des instances, explique-t-elle. Les entreprises comprenant plusieurs établissements ont créé un unique CSE, quasi systématiquement localisé au niveau du siège social ». Dans ce cas, les résultats des élections sont comptabilisés uniquement dans le département dans lequel se trouve le siège, et non là où se trouvent les établissements et les salariés. « La représentativité dans le département est tronquée et la composition des instances s’en trouve donc biaisée », déclare Karen Gournay. En revanche, cela ne change rien à la représentativité dans la branche et au niveau interprofessionnel.
L’union départementale (UD) FO de Moselle a été victime de cette centralisation des votes. Bien implantée en Moselle, Filieris (héritier de la sécurité sociale des mineurs) s’est doté d’un CSE domicilié à son siège parisien, où sont comptabilisées les voix de tous les sites. Résultat : « FO, qui était majoritaire à 70% chez Filieris en Moselle, n’y a pas été crédité des 300 voix obtenues. Ces 300 voix sont celles qui nous ont manquées pour conserver notre 3e place au niveau départemental », déplore Alexandre Tott, secrétaire général de l’UD FO de Moselle.
Lors d’une journée dédiée aux CSE et organisée par la confédération, l’UD de Charente avait également signalé le problème. L’ampleur du phénomène est difficile à évaluer, mais Karen Gournay estime qu’il est « assez important ».
FO avait soulevé cette question dès la publication des ordonnances de 2017, notamment dans le cadre du Haut conseil du dialogue social (HCDS). Le syndicat avait suggéré « d’agréger les suffrages exprimés dans les établissements aux départements, dans le seul but de mesurer la représentativité départementale », rappelle Karen Gournay. Mais la direction générale du travail (DGT) « n’agit pas parce qu’elle considère que ce n’est pas la volonté du législateur », explique-t-elle. FO maintient néanmoins sa revendication d’une nouvelle doctrine.
Solution négociée dans l’entreprise
En attendant, Alexandre Tott a identifié une alternative qui n’a pas été contestée là où elle a été appliquée. L’entreprise Altuglas est principalement implantée à Saint-Avold (Moselle) où elle emploie une centaine de salariés, mais son siège et son CSE sont en région parisienne. FO y est ultra-majoritaire. « Lors du premier cycle électoral, les voix obtenues par FO à Saint-Avold ont été comptabilisées en région parisienne », raconte Alexandre Tott. Pour éviter que la situation ne se reproduise, « FO, suivi par les autres syndicats d’Altuglas, a négocié en 2023 un avenant à son accord de dialogue social qui fait de Saint-Avold l’établissement de référence pour les procès-verbaux (PV) d’élections et pour la comptabilisation de suffrages », explique Alexandre Tott. Aux élections suivantes, les suffrages ont donc été comptabilisés à Saint-Avold, en Moselle, y compris ceux du siège. « Cela ne représente qu’une vingtaine de salariés », tempère Alexandre Tott. Outre qu’elle suppose que FO soit en position de force dans l’entreprise, cette solution n’est donc pas parfaite, mais « c’est la moins mauvaise », estime Karen Gournay. Elle rappelle donc la démarche : « Décider, par accord collectif, de l’établissement de référence pour les élections CSE, en mentionnant ensuite dans le protocole d’accord préélectoral puis sur les PV des élections l’adresse postale de celui-ci, qui pourrait par exemple être l’établissement comportant l’effectif le plus important ».
Entreprises sans élections
L’autre phénomène inquiétant souligne la secrétaire confédérale est l’absence d’élections dans certaines entreprises. A l’approche de la fin du troisième cycle de représentativité (1er janvier 2021- 31 décembre 2024), qui permettra de mesurer l’audience des organisations et donc leur poids respectif dans le cadre de la signature d’accords nationaux et de branche, la confédération a attiré l’attention des fédérations FO sur ce problème dont l’ampleur peut affecter la représentativité de branche. Ainsi, dans celle du travail temporaire, trois entreprises (Adecco, Manpower, Randstad) employant près de 360 000 salariés, seront sans élections sur le cycle, à la suite de reports et contentieux. Karen Gournay signale également les cas d’Accor (2% des effectifs de sa branche, l’hôtellerie), d’Ikéa, ou encore des laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre ainsi que Sanofi à Marcy l’Étoile (69). « C’est décourageant pour les militants, qui font un travail syndical de terrain mais sans les élections, d’où découlent leur représentativité de négociation et leurs moyens », relève Karen Gournay.
DGT consciente du problème, mais…
Le phénomène a atteint une ampleur suffisante pour que la DGT accepte, cette fois, d’examiner le sujet en HCDS. « La DGT est consciente que ces absences d’élections sont un vrai problème pour la démocratie sociale, mais elle ne voit pas quel levier elle peut activer qui tiendrait devant le Conseil d’État », explique la secrétaire confédérale. En effet rien, dans le code du travail, n’oblige les entreprises à organiser au moins une élection dans le cycle, le législateur ne prévoyant qu’une période de référence : les quatre dernières années.
Appel aux fédérations
Pour Force ouvrière, une solution serait de « prendre en compte à titre exceptionnel les suffrages des dernières élections connues de l’entreprise, ou encore de permettre la prise en compte d’une élection qui aurait lieu en 2025 en cas de prorogation de mandats », détaille Karen Gournay. Car il faut distinguer entre différentes situations. Dans les entreprises qui n’ont pas organisé d’élections parce que les mandats ont été prorogés par accord collectif, « ce report est considéré comme accepté ». Mais ce report peut aussi résulter d’un contentieux ou d’une volonté de la direction.
Karen Gournay souhaite documenter le problème, afin d’établir une doctrine solide dans le cadre du HCDS avant la fin du cycle actuel. Force Ouvrière s’est emparée du sujet pour le faire aboutir.