Les salaires, toujours au centre des négociations en 2023

En 2023, la négociation collective de branche et d’entreprise a de nouveau majoritairement porté sur les salaires, selon le bilan annuel que le ministère du Travail a restitué, le 3 octobre, aux interlocuteurs sociaux.

La restitution du bilan de la négociation collective en 2023, réalisé comme chaque année par la direction générale du travail (DGT), a eu lieu le 3 octobre. Fait plutôt rare pour ce genre de restitution, la nouvelle ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, a présidé une partie de la réunion qui se déroulait dans la cadre de la commission nationale de la négociation collective de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP). L’occasion, pour elle, de faire passer des messages aux interlocuteurs sociaux.

Le travail doit payer

Dans cette période marquée encore par l’inflation, laquelle fut très forte ces deux dernières années, les messages de la ministre portaient essentiellement sur les salaires. Elle a rappelé que le travail doit payer. Elle a mis les pieds dans le plat en déclarant que les exonérations de cotisations sociales seront mises sur la table, notamment dans le cadre du Haut conseil des rémunérations, de l’emploi et de la productivité (HCREP). La ministre a également encouragé le développement du partage de la valeur, rapporte Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité, qui a rappelé les revendications de FO en faveur du pouvoir d’achat : un Smic à hauteur de 80% du salaire médian ; un retour au mécanisme de l’échelle mobile des salaires. Mais aussi le conditionnement des aides publiques aux entreprises, notamment à l’amélioration de l’emploi et des salaires.

L’attention portée aux salaires par la CNNCEFP fait écho à celle portée par les négociateurs à l’échelon interprofessionnel. Les interlocuteurs sociaux ont conclu en effet, en février 2023, un ANI sur le partage de la valeur -signé par FO- retranscrit dans la loi du 29 novembre 2023. Entre autres choses, cette loi donne aux branches jusqu’au 30 juin 2024 pour ouvrir des négociations sur les dispositifs de participation dont les PME volontaires pourront se saisir. Il est encore un peu tôt pour évaluer les effets de cette récente loi. Je n’ai pas encore vu de travaux de branches sur ce sujet, signale Karen Gournay.

Salaires : l’affichage tronqué d’une « dynamique » de négociation

En 2023, dans les branches, la négociation salariale est toujours très dynamique malgré un repli, relève la DGT. Avec 520 textes signés sur les salaires en 2023 (45 % des 1 122 accords de branche), ce thème arrive de fait en tête des préoccupations des négociateurs. Ce n’est pas étonnant : le Smic ayant été revalorisé deux fois en 2023, les interlocuteurs sociaux de certaines branches ont dû mettre leur grille en conformité, explique Karen Gournay. En 2022, où le Smic avait été revalorisé trois fois, les accords salariaux avaient été encore plus nombreux.

Dans la mesure où il s’agit d’une obligation légale, Karen Gournay estime qu’on ne peut pas qualifier les négociations salariales de branche de dynamiques, comme le fait la DGT. Les négociations de branche sur les salaires se font toujours au plus juste, remarque la secrétaire confédérale. A chaque revalorisation du Smic, des branches doivent mettre le bas de leur grille en conformité, mais elles laissent le reste de la grille en l’état.

D’où le phénomène de tassement des grilles. Le ministère du Travail voudrait, lui, que soit mis fin à ce problème récurrent par une renégociation des classifications (lire encadré). FO adopte une autre approche. Il n’y aura pas de revalorisation des salaires sans contraintes légales, qui peuvent jouer sur les leviers des aides publiques et des exonérations de cotisations sociales, analyse Karen Gournay. Et lorsque le ministère indique qu’imposer des contraintes aux entreprises revient à nier le rôle des interlocuteurs sociaux, Karen Gournay rétorque à son tour que refuser de contraindre les entreprises revient à nier la réalité du rapport de force.

Le délégué syndical, une garantie

Dans les entreprises, en 2023 rapporte le bilan dressé par la DGT, la négociation collective a également d’abord porté sur les salaires. Sur les 45 000 accords signés par des délégués syndicaux (DS), la majorité – 15 000 (soit 33%) – portaient sur les salaires et les primes. Cela n’a rien d’étonnant dans un contexte de protection du pouvoir d’achat affecté par l’inflation (Elle était de 4,9% sur l’année, après 5,2% en 2022). Encore faut-il que les salariés disposent de délégués syndicaux (DS) afin de négocier. La présence d’un délégué syndical permet d’engager des discussions sur les salaires, explique Karen Gournay. Il s’agit d’une obligation légale ; a contrario, le réflexe des patrons est de proposer de l’épargne salariale.

De fait, la participation et l’intéressement représentent la majorité (40%) des textes déposés chaque année à l’inspection du travail. En grande majorité, ces textes sur l’épargne salariale sont validés par référendum, à la majorité des deux tiers des salariés, dans des PME qui ne disposent pas d’un délégué syndical. Ce ne sont donc pas des accords et ils ne résultent pas d’une négociation. Autrement dit, la présence d’un DS impose une négociation sur les salaires ; en l’absence de DS, la direction impose de l’épargne salariale, sans doute au détriment d’augmentations de salaire, même si le code du travail l’interdit. Le délégué syndical est un garde-fou contre la perte de salaire, résume Karen Gournay.

La renégociation des classifications ne peut tout résoudre !

Face au tassement des grilles salariales dans des branches qui ne renégocient que leurs minima dans le seul but se mettre en conformité avec le Smic, l’administration du travail pousse à la renégociation des classifications, constate Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité. L’idée est de garantir des écarts suffisants entre les coefficients – surtout ceux proches du Smic – pour éviter leur tassement en bas de grille. La loi du 29 novembre 2023, reprenant l’ANI de février 2023 sur le partage de la valeur – signé par FO –, dispose que les branches qui n’ont pas revu leurs classifications depuis plus de cinq ans doivent engager une négociation sur ce sujet. Elles avaient jusqu’au 31 décembre 2023 pour le faire ; 102 branches étaient dans cette situation fin 2023, selon la direction générale du travail (DGT).

La négociation salariale demeure essentielle

Une renégociation systématique des classifications pose toutefois un problème. Depuis quelques années, la tendance est de remplacer les grilles de classification classiques dites Parodi, par des grilles dites à critères classants, constate Karen Gournay. Or, le passage de l’une à l’autre n’est pas neutre. Les grilles Parodi rangent les métiers dans des catégories professionnelles en fonction de leur complexité et de leurs responsabilités. Les grilles à critères classants rangent les postes en fonction notamment de l’autonomie qu’ils requièrent et s’attachent peu à l’ancienneté. Or, certains salariés ne trouvent pas leur place dans les grilles à critères classants, qui peuvent, en outre, conduire à des discriminations indirectes, relève Karen Gournay. Compte tenu des effets négatifs de cette bascule, la renégociation des grilles ne peut pas être un chantier global : les classifications ne doivent être renégociées que dans les branches dans lesquelles les métiers ont effectivement évolué, estime-t-elle. Aussi, quand la DGT dit que la renégociation des classifications est une solution au tassement des grilles, FO dit que la solution est la renégociation des salaires, conclut Karen Gournay.

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