Le gouvernement a missionné l’inspection générale des affaires sociales (Igas) pour trouver la possibilité de mutualisations entre opérateurs de compétences (Opco). Deux présidents FO d’Opco, Jean Hédou et Edwin Liard, livrent leur analyse militante et pointent les risques que les mutualisations feraient peser sur le paritarisme de gestion.
Simple audit ou prélude à un remembrement des Opco ? La ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, a demandé à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) d’investiguer les pistes de mutualisation de certaines missions des opérateurs de compétences (Opco), ainsi que l’expose la lettre de mission datée du 6 février 2025. Dans une tribune parue début mars, Michel Beaugas, secrétaire confédéral au secteur de l’emploi et des retraites, voit dans cette initiative un risque à terme de réduction du nombre d’Opco et de remise en cause de leur gestion paritaire.
Pour mémoire, les Opco sont des organismes paritaires chargés de financer l’apprentissage, d’aider les branches à déterminer les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage, de les accompagner dans leur mission de certification et de développer la formation professionnelle dans les PME.
Leur présidence est assurée en alternance par les organisations syndicales et les organisations patronales. FO préside ainsi actuellement l’Opco2i (industrie) et Akto (entreprises « à forte intensité de main-d’œuvre » : hôtels-cafés-restaurants, propreté, sécurité…). Ces deux Opco ont déjà reçu la visite de l’Igas. A savoir que les onze Opco actuels sont en fait déjà la conséquence d’un remembrement puisqu’ils remplacent, selon une logique de filière plus ou moins claire, les 20 Opca (organismes paritaires collecteurs agréés) qui existaient avant la loi « avenir professionnel » de 2019.
Volonté de centralisation de l’État
Pour Jean Hédou, qui s’exprime en tant que militant FO et non au titre de président d’Akto, il ne faut pas être dupe de la « mutualisation » évoquée dans la lettre de mission de l’Igas. Une vraie mutualisation repose sur une adhésion volontaire ; là, il s’agirait plutôt d’une centralisation par l’État et donc d’une perte d’autonomie des branches, dans un contexte où l’État considère les corps intermédiaires comme subsidiaires, analyse-t-il.
Mais entre ce que souhaite le gouvernement et ce qu’il peut faire, il y a un écart. L’objectif final de l’État serait de réduire le nombre de branches pour tendre vers cinq conventions collectives analyse le militant. L’État s’y emploie d’ailleurs depuis une dizaine d’années, mais il est encore loin du compte. En fusionnant les petites branches dans les grandes, il est parvenu, au dernier comptage de fin 2023, à réduire leur nombre à 213, contre 700 auparavant. S’agissant de la fusion des Opco, Edwin Liard, président FO de l’Opco2i, se déclare quant à lui pas plus inquiet de cela, même si l’on n’est jamais à l’abri de ce que font les politiques.
Lignes rouges
Comme le soulignait Michel Beaugas, dans l’immédiat, il n’y a pas à craindre une fusion des Opco. Néanmoins, les mutualisations voulues par le gouvernement suscitent des interrogations. La lettre de mission à l’Igas oriente les recherches de mutualisation de ses inspecteurs vers la gestion des Opco et notamment celle des contrats d’apprentissage, les observatoires des métiers et la certification et enfin l’informatique.
Le gouvernement demande également un audit de la politique de contrôle de la formation professionnelle. La recherche d’économies n’est pas un objectif affiché mais il est évident. Les inspecteurs doivent remettre leurs conclusions début juin, en prévision de la négociation des contrats d’objectifs entre l’État et les Opco.
Coût contrat décidé par la branche
En attendant, Edwin Liard et Jean Hédou analysent les risques et posent des lignes rouges. S’agissant de la gestion de l’apprentissage, Edwin Liard distingue entre la fixation du coût-contrat (la somme forfaitaire fixée pour chaque formation en apprentissage), qui doit toujours être décidée par la branche et le paiement du forfait, qui pourrait être mutualisé, en étant par exemple confié à un seul Opco ou à un groupement d’intérêt économique (GIE). Mais en aucun cas à la Caisse des dépôts, organisme d’État, afin de garder la main sur le paritarisme, explique-t-il.
Jean Hédou détaille les risques d’une mutualisation du paiement des contrats d’apprentissage. Mutualisation = automatisation = baisse du contrôle, résume-t-il. A Akto, nous continuons d’exercer un contrôle manuel des contrats d’apprentissage. Cela nous permet de détecter les nombreuses déclarations incorrectes de rémunération des stagiaires et de demander aux employeurs de rectifier. Avec l’automatisation, un tel contrôle ne serait pas possible.
Les branches au plus proche des besoins
Les deux militants émettent également des doutes, voire une opposition, concernant la mutualisation des observatoires prospectifs et de l’ingénierie de certification. Jean Hédou estime ainsi que cela n’a aucun sens de mutualiser la certification. D’abord parce que techniquement, ce sont les branches qui connaissent leurs besoins. Ensuite parce que notre objectif est de faire reconnaître les certifications dans les grilles de rémunération des branches. Dès lors, je ne vois pas pourquoi l’État nous dirait ce qu’il faut négocier dans les branches sur ce terrain. S’agissant des observatoires, il avance le même argument : les observatoires servant à repérer les besoins propres aux branches, cela n’a pas de sens de les mutualiser. Edwin Liard explique pour sa part qu’à l’Opco2i, l’observatoire fonctionne déjà en inter-industries. L’un et l’autre estiment que, de toutes façons, il n’y a pas beaucoup d’économies à attendre d’une mutualisation des observatoires et des certifications.
Quant au contrôle des formations, Jean Hédou rappelle qu’il existe déjà un contrôle mutualisé assuré par le GIE D2OF. Il signale d’ailleurs que FO est opposé au GIE. Non pas sur le principe d’un contrôle de l’argent public, mais parce que les Opco et les branches sont plus à même d’initier des contrôles car ils ont connaissance des pratiques déviantes, explique le militant FO. Il pointe également que le GIE n’a pas de services propres et sous-traite les contrôles.