Les musiciens de l’Opéra de Paris font résonner leur opposition


A l’issue d’une grève historique de plus d’un mois et demi, les musiciens de l’Opéra de Paris ont repris les représentations le 25 janvier. Mais ils restent mobilisés contre le projet de loi sur les retraites. La réforme mettrait fin à leur régime spécial, justifié par leurs contraintes artistiques et techniques.

Finalement, l’œuvre musicale de Jacques Offenbach a retenti, le 25 janvier au soir, dans l’enceinte de l’Opéra Bastille. Après une grève historique, et continue, de plus d’un mois et demi contre le projet de réforme des retraites, l’orchestre a repris les représentations, conformément à la décision de l’intersyndicale représentant tous les corps de métiers. Mais les musiciens – comme les choristes, danseurs et techniciens – restent pleinement mobilisés pour le retrait du projet sur les retraites. La réforme mettrait fin à leur régime spécial.

Celui-ci leur reconnaît un âge limite d’exercice, lié à leurs contraintes artistiques, techniques et au niveau d’excellence d’une institution tournant en permanence à pleine puissance (513 levers de rideaux à Bastille et Garnier pour la saison 2018-2019). Pour les musiciens de l’orchestre, qui représentent 20% des quelque 2 000 salariés, c’est la garantie de partir à 60 ans (sans exigence de durée minimale de service).

Compenser la pénibilité

La caisse de retraite de l’Opéra de Paris est la réponse apportée à la pénibilité de nos métiers particuliers. Si on applique au personnel de l’Opéra les critères du dispositif de pénibilité de droit commun, sensés permettre des départs anticipés, aucun n’y rentre, excepté les deux veilleurs de nuit ! Eux-mêmes reconnaissent que leur métier n’est pas le plus pénible de l’Opéra, commente Jean-Charles Monciero, alto solo et délégué général FO de l’orchestre.

Celui-ci a multiplié les actions inédites, qui ont fait événement. La veille du Nouvel An, les musiciens grévistes ont donné un concert, conclu par une Marseillaise, sur les marches de l’Opéra Bastille. Le 18 janvier, c’est sur le perron de l’Opéra Garnier qu’ils ont joué devant des centaines de personnes. Si la reprise des spectacles a été votée quelques jours plus tard, c’est uniquement pour préserver l’intégrité économique de l’Opéra. L’annulation de 74 représentations (à Garnier et Bastille) en un mois et demi de grèves tournantes pèse forcément sur les recettes en billetterie, avec une perte estimée à plus de 15 millions d’euros

Refus de la « clause du grand-père »

Les musiciens et l’ensemble des corps de métiers refusent les propositions que leur ont faites, le 23 décembre, le ministre de la Culture Franck Riester et le secrétaire d’État aux retraites Laurent Pietraszewski, pour leur faire accepter le futur régime universel à points et désamorcer (sans succès) leur grève. Le projet prévoit que la réforme s’appliquerait à partir de la génération 1977 pour les musiciens de l’Opéra de Paris et à partir de la génération 80 pour les choristes, et les techniciens supportant « des fatigues exceptionnelles ». Profession emblématique, les danseurs, qui partent aujourd’hui à 42 ans, ont droit en quelque sorte à la « clause du grand-père », autrement dit au maintien des règles en vigueur pour ceux en poste et ceux recrutés avant 2022.

Même si ces propositions « sortent » de la réforme la majorité du personnel de l’Opéra de Paris (environ 50% des musiciens, 60% des choristes, et tous les danseurs jusqu’en 2022), la réponse des artistes et techniciens reste la même : pas question d’accepter un traitement différencié selon les générations.

Ces propositions renvoient aux générations futures les problèmes créés par la réforme même, commente Christophe Grindel, hautboïste et délégué syndical central FO. Le régime spécial de l’Opéra de Paris est le plus ancien de la douzaine de régimes spéciaux, sur quarante-deux caisses, que la réforme des retraites veut faire disparaître. Ce régime date en effet de 1698. En 2018, il comptait 1 811 pensionnés (réversions comprises) pour 1 894 cotisants. Le coût du régime de 28 millions d’euros est financé par 12 millions d’euros de cotisations, 14 millions de subventions du ministère de la Culture et un prélèvement sur la billetterie. Une des raisons du déficit tient au fait de n’avoir pas augmenté la masse salariale ces dernières années, et cela pour respecter les consignes d’économies données par le ministère de la Culture…

Impréparation de l’exécutif

Et la réforme, qui plus est, apparaît peu aboutie, laissant pendante la question du transfert du régime spécial vers le système universel. Le personnel demande des simulations concrètes pour mesurer l’impact qu’aurait la hausse des cotisations salariales [de 9,16% en 2019 à 10,83% en 2025, NDLR] sur leur revenu. Le ministre de la Culture s’est engagé à ce que les salariés relevant du régime spécial et basculant dans le régime à points gardent un niveau équivalent de pension. Mais ce sont des engagements verbaux, sans estimation de l’effort financier qu’il lui faudra fournir pour compenser, reprend Jean-Charles Monciero, membre de l’intersyndicale.

Reçue le 30 janvier au ministère, celle-ci demande une preuve de bonne volonté du ministère, avec une augmentation de 2% de la valeur du point d’indice dès cette année. Le ministère a missionné un cabinet d’actuaire, qui sera contre-expertisé par un expert désigné par les syndicats. La caisse de retraite de la SNCF a aussi été sollicitée pour aider aux calculs.

Même flou concernant la promesse de règles spécifiques de prise en compte de la pénibilité adaptée aux métiers de l’Opéra. La délégation FO propose la création d’un dispositif de pré-retraite pour les futurs entrants qui, martèle Jean-Charles Monciero, doivent avoir les mêmes droits au départ anticipé que les salariés bénéficiant du régime spécial.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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