La smicardisation des salaires, aucunement une fatalité !

Le mot est désormais classiquement employé : la Smicardisation. Selon la définition du dictionnaire Larousse, c’est la tendance à l’augmentation du nombre de salariés dont la rémunération est durablement bloquée au Smic ou à un niveau proche de celui-ci. Ce mal, qui touche aussi bien les salariés du public que ceux du privé, va crescendo et a plusieurs causes, entremêlées.

Les revalorisations automatiques du Smic, de par l’inflation forte depuis deux ans, —mais sans aucun coup de pouce, contrairement à ce que demande FO—, ont exacerbé le phénomène de la Smicardisation. Mais l’effet de la revalorisation du Smic sur les grilles n’est que la conséquence d’un mal plus profond. Le tassement de celles-ci vient d’un manque de refonte des classifications. Du fait aussi que chaque niveau de salaire n’a aucunement bénéficié d’une revalorisation, pas même à hauteur du Smic. La Smicardisation a ainsi tout à voir avec l’absence d’échelle mobilise des salaires, dispositif abandonnée en 1983 —dont FO demande le retour— qui permet la fixation d’écarts marqués entre chaque échelon, chacun étant indexé à l’inflation.

Le tassement renvoie bien sûr à la nécessité d’ouvrir des négociations sur les salaires, tandis que le patronat traine les pieds et fait souvent des propositions minimes. Le 16 octobre à la conférence sociale, Le patron du Medef, Patrick Martin se félicitait cependant d’un dialogue de branche dynamique sur les minima, ou encore d’un salaire mensuel de base en hausse de 4,6% sur un an en juin dernier, omettant de préciser que l’inflation globale se situait à 4,9% sur un an en septembre et que la hausse des prix dans les secteurs tel l’alimentaire est autour de 15%. Mais Patrick Martin d’indiquer encore que le pouvoir d’achat ne pourra pas se résoudre sans croissance et gain de productivité. Et par une hausse des salaires ? En mai, par la hausse automatique du Smic, autour de 15% des salariés étaient rémunérés au Smic, contre 12% deux ans plus tôt, signe que ceux percevant un salaire un peu au-dessus du Smic, par l’absence de revalorisation salariale, ont vu leur salaire se positionner au niveau du salaire minimum.

Des bas salaires dans le privé comme dans le public

Les premiers niveaux des grilles se font régulièrement dépasser par le Smic revalorisé (56 branches ont actuellement encore des minima inférieurs au Smic, dont dix « structurellement », selon le ministère du Travail). Une des raisons au phénomène de tassement se situe là aussi bien sûr. Et la fonction publique n’est pas en reste. Les grilles indiciaires (A, B et C) n’ont toujours pas été revisitées en profondeur. Et c’est sans parler des quasi dix ans de gel de la valeur du point d’indiciaire (base de calcul des traitement/salaires) que ne font pas oublier les hausses de 3,5% en 2022 et de 1,5% en juillet 2023. Des hausses en deçà de l’inflation, donc. De fait, régulièrement, la fonction publique est amenée à prendre en catastrophe des mesures de saupoudrage pour remettre au niveau du Smic revalorisé les premiers échelons des grilles de catégorie C mais aussi de B. Quant à la A (les cadres), elle frôle le Smic en début de carrière.

Un comble pour le secteur public, notamment de la part de l’État employeur. Un comble remplit de paradoxes. Le gouvernement —du moins en parole— presse depuis quelques mois le patronat d’agir en faveur de la hausse des salaires. Mais ne décide aucunement d’un coup de pouce au Smic, entre autres. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie déclarait à la rentrée de septembre que a Smicardisation de la société française est déprimante… Mais, le même ministre a repoussé d’un revers de main lors de la conférence sociale du 16 octobre la possibilité, entre autres, d’une indexation des salaires à l’inflation. Quant au ministre du Travail, Olivier Dussopt, il estimait, lui, que l’État ne peut être seul au carrefour des attentes et des revendications. L’État a cependant des moyens d’actions et de contraintes.

La moitié des salariés gagnent moins de 1,6 Smic

Car si l’exécutif joue d’immobilisme, pendant ce temps, les travailleurs du public comme du privé, eux et même s’ils affichent de l’ancienneté, voient leurs salaires stagner, au mieux enregistrer de si faibles hausses qu’ils sont malgré tout toujours en voie d’être projetés vers le Smic. Et conséquences, avec un pouvoir d’achat qui vacille, d’autant face à une inflation qui à la fin de l’année se situera autour de 5% sur un an.

Personne n’aspire à passer toute sa carrière au même niveau de rémunération. Chacun doit avoir des perspectives, à la fois de carrière et de salaire déclarait la Première ministre, Elisabeth Borne lors de la conférence sociale, souhaitant que le travail paye mieux et appelant les employeurs à la négociation collective pour la révision des grilles de classification.

Mais le patronat est peu enclin à procéder à des hausses de salaires qui le conduiraient à perdre le bénéfice de mesures d’allègements sur les cotisations sociales. Lesquelles ont représenté un manque à gagner de près de 80 milliards d’euros en 2022 pour les comptes publics. Selon certaines études il pourrait atteindre 90 milliards d’euros en 2024.

Les cotisations employeurs représentent un montant de 60 milliards d’euros chaque année indiquait Patrick Martin. Ce montant est donc moitié moins que ce qu’il serait sans les exonérations. Or, c’est dans les allègements, qui agissent comme une « trappe à bas salaires », que se situe un des gros moteurs de la Smicardisation.

De 1 à 1,6 Smic, les exonérations de cotisations générales sont si fortes, voire totales au niveau du Smic que l’employeur a donc tout intérêt à maintenir les salariés dans cette fourchette salariale. Et c’est ce qui se passe. La moitié des salariés est ainsi rémunérée à un salaire inférieur à 1,6 fois le salaire minimum notait la Dares en 2019. En mars dernier (donc avant la dernière revalorisation, en mai, du Smic, ainsi porté à 1383,20 euros nets), l’Observatoire des Inégalités indiquait, à partir des statistiques 2021 de l’Insee, que 60% des salariés percevaient un salaire mensuel net inférieur à 2241 euros, soit à 30 euros près, moins de 1,6 fois le Smic revalorisé en mai.

PLFSS : le choix gouvernemental de ne pas froisser le patronat

Si le gouvernement vient d’entrouvrir une porte, menaçant certaines branches affichant des minima inférieurs au Smic de calculer bientôt —si elles ne se mettent pas en règle— les exonérations non plus sur Smic mais sur le minima dans la branche, il n’est aucunement question pour l’instant d’une réduction des exonérations de manière générale et/ou de leur conditionnalité totale. Ce que revendique cependant FO et a notamment porté le 16 octobre lors de la conférence sociale.

Le projet de loi de financement de la Sécurité pour 2024 (PLFSS) auquel a été appliqué le 25 octobre à l’Assemblée un 49.3 —le gouvernement visant ainsi à faire adopter sans débat et sans vote le volet Recettes— donne le ton. Le PLFSS porte une mesure (via un amendement apporté par le député Ferracci de la majorité gouvernementale,) de léger toilettage des exonérations sur les cotisations patronales. Doux euphémisme.

Car pour réduire l’augmentation des allègements de charges —exit le mot cotisations— la mesure consiste à adopter un mécanisme basé sur l’octroi d’exonérations en fonction de seuils de salaires (calculés en euros) et non plus prenant pour base un multiple du Smic. Le gouvernement l’ayant refusé, il n’a donc plus été question à l’Assemblée de supprimer purement et simplement le Bandeau famille, soit les exonérations sur les cotisations sociales familiales concernant les salaires allant de 2,5 à 3,5 Smic, proposition trans-partisane initialement portée par les députés Marc Ferracci et Jérôme Guedj (auteurs en septembre d’un rapport sur l’efficacité des exonérations).

Or, le texte adopté prévoit que la mesure permettrait a priori de diminuer le manque à gagner (pour les comptes sociaux), induit par les exonérations de cotisations sur les salaires dits élevés, d’environ 500 à 600 millions d’euros. La suppression des exonérations sur le seul bandeau famille aurait permis, selon les projections, de réduire le manque à gagner de 1,5 milliard d’euros… Pour ne pas froisser le patronat refusant toute action sur les exonérations dont il bénéficie, le gouvernement accepte donc toujours de priver les comptes sociaux de recettes provenant des cotisations sociales patronales. Recettes que l’État devra compenser, ce qui risque de creuser la dette publique laquelle est régulièrement brandie par l’exécutif lorsqu’il conçoit de nouvelles mesures d’austérité qui pèsent sur les travailleurs.

Quitter la version mobile