La preuve du préjudice d’anxiété : un parcours semé d’embûches !

L’engagement de la responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité dont il découlerait un préjudice d’anxiété pour un ou plusieurs salariés est un chemin tortueux pour le ou les demandeurs. En témoigne un arrêt du 4 septembre 2024 (Cass. soc., 4-9-24, n°22-20917).

En l’espèce, plusieurs anciens salariés demandent réparation à leur employeur pour un préjudice d’anxiété qu’ils auraient subi en raison de l’exposition à des produits chimiques cancérigènes durant leur travail. Les juges du fond déboutent les parties qui forment alors un pourvoi en cassation.

Plusieurs arguments sont invoqués par les anciens salariés.

Ils affirment, tout d’abord, que la condamnation de l’employeur à produire une attestation d’exposition aux produits chimiques cancérigènes démontre l’existence d’un préjudice d’anxiété qu’il convient de réparer. Ensuite, il est reproché aux juges du fond d’avoir estimé que les salariés n’apportent pas des éléments personnels et circonstanciés qui démontreraient l’existence d’un préjudice. En réplique, les salariés argumentent que les postes occupés étaient identiques, de même que les gestes et méthodes de travail, de sorte que l’exposition aux produits cancérigènes avait été la même pour tous, sans qu’il y ait besoin de produire des éléments personnels et circonstanciés. Enfin, les salariés estiment que la production de procès-verbaux de réunions avec les IRP dans lesquelles l’employeur reconnaît des manquements à son obligation de sécurité, caractérise également l’existence du préjudice d’anxiété.

La Cour de cassation ne retient pas cette appréciation, préférant celle des juges du fond. Elle affirme que les juges du fond apprécient de manière souveraine les éléments de preuve pour caractériser ou non l’existence d’un préjudice d’anxiété. Partant de ce postulat, elle énonce que la seule attestation d’exposition à des produits chimiques et cancérigènes ne prouve pas l’existence d’un préjudice d’anxiété. Le pourvoi des anciens salariés est donc rejeté.

On sait depuis un arrêt du 11 septembre 2019 (Cass. soc., 11-9-19, n°17-24879) que l’exposition à l’amiante n’est plus l’unique cause pouvant caractériser un préjudice d’anxiété. La Cour de cassation ayant étendu le préjudice à toute substance nocive ou toxique nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave.

Cette extension à d’autres substances que l’amiante, bien que louable et constituant un pas supplémentaire vers l’amélioration des conditions de travail, ne s’est pas accompagnée d’une facilité procédurale pour les salariés demandeurs.

La Cour de cassation est stricte dans la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété. Elle applique sans le dire le droit commun de la responsabilité civile, lequel exige : un dommage, un fait générateur, et un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage.

Toutefois, appliquer le droit commun dans un contentieux de droit du travail tel que celui de la présente espèce, est à la fois inique et complexe à l’égard du salarié.

Ce que l’on cherche à réparer, ce n’est pas une pathologie grave qui se serait déclarée à la suite de l’exposition à des substances nocives ou toxiques, mais plutôt l’anxiété générée par la pensée qu’une telle pathologie puisse advenir.

Par ailleurs, une pathologie, quelle que soit sa gravité, peut avoir des causes multiples. Mais il est certain que l’exposition au travail, à des substances reconnues par les autorités comme dangereuses pour la santé, est un facteur qui multiplie le risque de développer une pathologie. La responsabilité de l’employeur, qui peut potentiellement être engagée, devrait être un levier incitatif pour ce dernier, dans la recherche permanente de l’amélioration des conditions de travail.

La Cour ne semble pourtant pas vouloir user de cette arme. Elle complexifie la charge probatoire qui pèse sur le salarié. La solution rendue n’est d’ailleurs qu’une confirmation d’une série d’arrêts (Cass. soc., 13-10-21, n°20-16583 ; n°20-16593 ; n°20-16617) dans laquelle la Cour affirmait déjà que la production par un salarié de l’attestation d’exposition à des produits nocifs ou toxiques ne permet pas à elle seule de caractériser un risque de développer une pathologie grave et ce faisant, un préjudice d’anxiété.

On retiendra donc que la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété nécessite l’apport de plusieurs éléments, qu’en outre, le salarié doit prouver une exposition personnelle et circonstanciée, à l’amiante ou tout autre produit nocif. Le chemin à parcourir est ainsi long et difficile.

Quitter la version mobile