La Poste : les guichetiers en grève contre la mobilité forcée

La direction de La Poste tente d’imposer à ses chargés de clientèle des déplacements jusqu’à 60 kilomètres de leur lieu de travail habituel. À l’appel d’une intersyndicale, le personnel était en grève le 2 avril, protestant contre cette dégradation de leurs conditions de travail.

On ne fait pas une grève pour se faire plaisir, mais parce qu’on n’a pas réussi à se faire entendre lors des négociations qu’on a essayé de porter, assure Christine Simon, responsable du secteur Poste à la fédération FO-Com. À La Poste, où FO représente 19% des salariés, des mois de discussions sur les nouveaux accords internes se sont soldés l’année dernière par un échec. En cause, les exigences toujours plus grandes de la direction concernant la mobilité des chargés de clientèle – autrement dit, les guichetiers – d’un bureau de poste à l’autre.

Toutes les organisations syndicales, sauf une, ont décidé de ne pas signer l’accord, poursuit Christine Simon. La Poste a donc sorti des mesures unilatérales, dont nous n’avons eu connaissance qu’en février. Devant cette absence totale de concertation, une intersyndicale à laquelle participe notamment FO a appelé à faire grève mardi 2 avril. Objectif : obtenir la réouverture de négociations pour valoriser le travail des chargé·es de clientèle et des chargé·es de clientèle remplaçant·es par un recrutement pérenne à la hauteur des postes vacants, un meilleur salaire et une réelle amélioration des conditions de travail pour une réelle qualité de vie au travail.

Risque routier et fatigue accrue

Dans ces nouvelles mesures édictées unilatéralement, La Poste changeait les conditions d’exercice des chargés de clientèle en augmentant leur périmètre de déplacement, dénonce Alain Pelletingeas, du secteur Poste de la fédération. Pour combler les manques de main d’œuvre occasionnels ou durables, les guichetiers pourraient ainsi être amenés à se déplacer à 60 kilomètres de leur lieu habituel de travail – qui s’ajoutent, pour certains, à l’incontournable temps de trajet domicile-travail.

Les personnels concernés ne veulent pas de cette détérioration de leurs conditions de travail, déjà difficiles, insiste Alain Pelletingeas. FO n’est pas contre toute évolution dans le cadre de l’entreprise, mais on ne peut pas dégrader à tout va les conditions de travail, surtout quand on parle de risque routier et de fatigue sur la route, renchérit Christine Simon.

Vers une reprise des négociations

Pour la militante, la grève du 2 avril a été une réussite : La direction parle de 8,9% de salariés grévistes, mais en calculant sur une population qui n’est pas directement impactée par la mesure. Parmi les concernés, on estime que 25% se sont mobilisés : pour La Poste, c’est exceptionnel ! Après le dépôt du préavis de grève, la direction était déjà en partie revenue en arrière pour tenter de calmer la colère. Au départ, ces déplacements devaient être obligatoires, maintenant, ils se feraient sur la base du volontariat, détaille Alain Pelletingeas.

L’objectif de FO est désormais de pousser La Poste à revenir à la table des négociations, afin d’obtenir davantage de garanties et de poser plus largement la question des conditions de travail des chargés de clientèle – et donc, la question de l’attractivité du métier. L’exercice du guichetier est de plus en plus compliqué aujourd’hui, on lui demande d’être multitâches, de faire de la téléphonie mobile, de la vente bancaire, etc., explique Christine Simon. On n’est pas contre, car il est vrai qu’il faut trouver de l’activité. Mais à force de toujours en rajouter, et sans la reconnaissance qui va avec, la situation devient compliquée pour les salariés.

Le bénéfice net de La Poste en chute libre

Derrière ces questions de mobilité des guichetiers, se cachent en effet les difficultés économiques rencontrées par La Poste, les problèmes de recrutement et de précarisation de l’emploi. En 2023, le bénéfice net du groupe a été divisé par deux, sous l’effet entre autres du déclin inéluctable de son activité historique, la distribution de courrier. Selon le P-DG de La Poste, Philippe Wahl, la chute de celle-ci a fait perdre au groupe 6 milliards d’euros de recettes ces dix dernières années.

La Poste n’en reste pas moins en charge de quatre missions de service public confiées par l’État au groupe : le service universel postal, le maintien d’un réseau de « points de contact » afin de contribuer à l’aménagement du territoire, la distribution de la presse et l’accessibilité bancaire. Mais celles-ci ne sont pas compensées par l’État à l’euro près, dénonce Christine Simon. Sur ces quatre missions, l’entreprise est en déficit, et ce sont les agents qui trinquent au niveau des salaires et des conditions de travail.

Une force de travail de moins en moins pérenne

Le maintien du service public nécessite alors une flexibilité toujours plus grande des personnels. Aujourd’hui, on est confrontés à des postes vacants et à une absentéisme important, expose la responsable FO. Alors que nous demandons du renfort d’emploi et des remplacements pérennes, c’est désormais la fermeture des bureaux qui sert de variable d’ajustement : s’il manque du personnel quelque part, on ferme un bureau pour pallier cette absence. Entre enjeux économiques et nécessité d’assurer un maillage territorial de proximité, La Poste peine à trouver son équilibre.

Le groupe a ainsi de plus en plus recours à une force de travail variable et non pérenne, formée de CDD étudiants et d’intérimaires. Avec à la clé, des compétences qui se raréfient et des titulaires qui fatiguent. À force, La Poste aura du mal à trouver des gens pour faire ce métier, craint Christine Simon. Dans certaines zones, notamment les régions limitrophes où la main d’œuvre traverse les frontières pour trouver du travail mieux payé, La Poste connaît déjà des difficultés de recrutement. Car, comme le rappelle la responsable FO, 60% des postiers sont payés en dessous du salaire médian français.

Fanny Darcillon

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