La grande boucle toujours aussi populaire


Si certains sports sont appelés sport d’élite, la petite reine, elle, reste ancrée dans le cœur des classes populaires, tant des villes que des campagnes. Qui n’a jamais fait de vélo ? Le regretté Poupou n’est-il pas le sportif le plus populaire de France depuis des lustres ?

Chaque année, le Tour de France continue d’attirer environ douze millions de spectateurs le long des routes, des traversées des villages de plaine, aux cols de montagne pris d’assaut 24 heures avant le passage des coureurs. Même si la majorité des gens avouent venir sur les bords des routes pour la caravane et ses petits cadeaux distribués à la volée.

Cette année il devrait y avoir moins de monde à cause de la rentrée et des mesures sanitaires. Mais, outre ces aficionados des forçats de la route qui font le déplacement, le Tour c’était aussi jusque-là 3,5 milliards de téléspectateurs dans le monde entier, couvert par près de 140 chaînes de télé. Soit le troisième événement sportif à l’échelle de toute la planète après les Jeux olympiques et la finale du Mondial de foot. Bref, le Tour, c’est un succès populaire réitéré chaque année, malgré ses affaires et ses imperfections.

Cette course est en effet intimement liée à l’histoire et la géographie françaises. Depuis ses origines en 1903, le Tour est un moment d’appropriation symbolique du territoire. Ce n’est pas un hasard si en 1919, il passe dans Metz et Strasbourg tout juste reconquises sur l’ « ennemi prussien » ! En 1989, pour le bicentenaire de la Révolution, le Tour offre une prime de 17 890 francs au premier coureur qui passe le kilomètre 1789 de la grande boucle. Plus simplement, il permet aux Français de (re)découvrir l’Hexagone.

Les commentaires des journalistes sur la télé publique font office de manuel d’histoire et de géographie, une sorte de visite guidée gratuite. Aujourd’hui 20% du temps d’antenne sont consacrés aux paysages en général et aux monuments historiques en particulier. Et depuis plusieurs années, les réalisateurs ont mis le paquet avec des hélicoptères faisant de splendides prises de vue. Sur les bords des routes ou devant son poste on en prend toujours plein les yeux.

À bicyclette

Comme le refrain de la célèbre chanson d’Yves Montant, la bicyclette, le vélo, le biclar, le biclou, est resté dans la tête de nombre de Français. Moyen de locomotion puis/et de détente, le vélo est un incontournable. En 1936, sur une population de 42 millions d’habitants on comptait 16 millions de vélos immatriculés (à l’époque, il fallait acheter sa plaque pour 12 francs par an).

Avant la démocratisation de l’automobile dans les années 1960-70, le vélo était le moyen de déplacement privilégié pour les paysans dans les campagnes, mais aussi les ouvriers allant rejoindre les ateliers. Et lors des premiers congés payés de 1936, c’est en vélo que des milliers de nouveaux vacanciers sont partis découvrir la mer et ses plages, en tandem pour les jeunes couples, voire avec une poussette accrochée à l’arrière pour les bambins. Les chemins de fer avaient même aménagé des wagons marchandises pour embarquer les cycles.

De la fin du XIXe au milieu du XXe siècle, le vélo a donc été le plus fidèle compagnon des travailleurs, remplaçant le cheval ou l’âne. Avec les Trente glorieuses, le cyclotourisme a aussi connu ses heures de gloire, moyen économique et agréable pour les vacances. Bref, le vélo c’était la liberté et les mollets étaient indifférents à la fluctuation du prix du baril de pétrole. Ce n’est pas un hasard si le journaliste Pierre Mac Orlan a écrit dans le journal L’Auto en parlant du Tour : il offre l’apparence d’une manifestation sociale à peu près irrésistible.

Aujourd’hui le vélo revient à la mode, en particulier en ville pour éviter les embouteillages et pour certains pour ne plus polluer. Mais ses utilisateurs ne sont plus les mêmes. Il s’agit beaucoup moins aujourd’hui de prolos qui vont au turbin comme jadis que de jeunes plus aisés. D’ailleurs les prix des vélos ne sont plus les mêmes !

Il est donc normal que le Tour de France reste encore de nos jours fermement ancré dans l’imaginaire populaire du monde du travail.


Source: Éditoriaux de jean-claude Mailly

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